Pour la première fois de son histoire, le Nouveau-Brunswick a élu une femme à la tête de son gouvernement. En 2024. Y’était temps et pas à peu près - mais l’égalité n’est qu’un des multiples enjeux qui ont pu sceller la victoire du Parti libéral.
On s’attendait à une élection serrée - et nous n’étions pas les seuls. Mais à l’approche du scrutin on a eu écho de gens proches du sujet, disant que ce ne serait peut-être pas tant la capacité du Parti libéral (PLNB) à faire « sortir le vote » qui serait le facteur décisif. Au contraire, ce serait le rejet de la forme finale de Higgs par son propre parti.
Forme bien plus proche de sa forme initiale que n’aiment le croire ses fans, d’ailleurs.
N’importe qui avec une vision fonctionnelle pouvait voir que le Parti progressiste-conservateur (PCNB) battait de l’aile progressiste à la veille de l’élection. Le “leadership” de Higgs a dégoûté son propre électorat à un point tel que Monsieur a été défait jusque dans sa circonscription, où il siégeait depuis 2010. Mais, ô ironie, le taux de participation à Quispamsis est parmi les 3 plus élevés de la province, à 74%, alors les gens sont sortis voter, mais contre lui. Ouch.
Peu de gens auraient parié que Higgs serait battu dans sa cour, et moi le dernier.
Toutes choses étant égales, les résultats préliminaires du scrutin laissent supposer qu’une masse critique d’électeurs progressistes a voté contre son propre parti. Les Verts ont perdu du terrain au PLNB, certes; mais pas suffisamment pour causer pareil revirement. Tout ça sans oublier les indécis.
Critiquement, le vote exprimé et le taux de participation sont essentiellement les mêmes en 2020 (376 903 = 65% de l’électorat) et en 2024 (376 026 = 66% de l’électorat).
On pourrait tergiverser longtemps sur les causes profondes - mais ça se résume en 3 mots: éligibilité, capacité, volonté. La population du NB a bel et bien connu une croissance (record) depuis 2020, mais pas son électorat.
Alors le PCNB n’a que lui-même à blâmer pour sa cuisante défaite. On aurait pu s’attendre à du pointage de doigt vu l’attitude qui régnait à sa tête, mais sa réaction à la défaite semble plutôt marquée par une certaine introspection.
L’assemblée générale du PCNB le 9 novembre, où Glen Savoie fut élu chef par intérim, n’en fut pas moins dénoncée comme une « réunion secrète » où seul un groupe restreint a pu voter sur les questions critiques, dans « un effort pour maintenir le statu quo. » Science infuse tu n’es pas mienne, mais je n’en vois pas le bénéfice.
Malgré tout: le coureur, la chance - vous connaissez la chanson.
Car une chose est claire en dépit des fluctuations du vote et/ou des allégeances, et c’est le rejet de l’attitude méprisante et limite malveillante du gouvernement sortant envers de nombreuses minorités (femmes, autochtones, francophones, queer, trans, itinérant.es - et j’en passe) que les marcharrièristes voudraient voir retourner dans les marges - là où on peut se sentir libre de les ignorer, elles et leurs besoins.
Les marcharrièristes crient fort - et souvent - mais on voit combien leur opinion est loin de convaincre la majorité. Ça dénote une rare erreur de calcul pour Monsieur, qui avait un grand talent pour la politique à numéros. Et c’est pourquoi je pense que le résultat de l’élection provinciale du 21 octobre se résume en un mot: soulagement.
Mais est-ce que tout va changer pour le mieux du jour au lendemain? LOL, non.
Il y aura quand même du changement dans l’immédiat: on remarque déjà une différence dans le ton et l’atmosphère à la Législature provinciale, où les débats sont résolument axés sur des données solides et la recherche de solutions/compromis pouvant faire consensus. Tout ça en faisant preuve de candeur et de respect face aux questions de l’Opposition. Blague à part, la barre est basse de ce côté-là.
N’empêche, c’est irréaliste de croire que des problèmes structurels, historiques, anciens au point d’être incrustés dans le tissu social de notre province (un bon exemple serait le racisme systémique, si profondément ancré dans les pratiques qu’on le perpétue sans même s’en apercevoir) vont disparaître comme par magie parce que Susan Holt est aux commandes.
La pauvreté, l’accès au logement, les soins de santé, les revendications autochtones, le coût de la vie, la transphobie, l’itinérance, le traitement des dépendances, le racisme systémique, le coût élevé des études, la hausse de la criminalité, le réchauffement climatique, rien de ça ne se règle en 4 ans. Rien. Ceci dit, quand on s’appuie sur la responsabilité financière pour justifier l’inaction (et en réalisant des surplus, tsé quand t’es efficace de nature?) non seulement on n’avance pas, mais on recule.
Et c’est là qu’il faut dire un mot sur les moratoires - les libéraux aiment bien les moratoires - ces « je m’informe et je vous reviens avec la réponse » de l’action politique, qui sont aux problèmes ce que le dessous du tapis est à la poussière.
C’est *peut-être* mieux que l’inaction, sauf que ça ne règle rien. Appuyer sur “pause” n’a jamais rendu meilleure la fin d’un mauvais film.
Malgré leur grande complexité, il faut voir les choses en face et reconnaître que ces problèmes existent, que leur impact est bien réel, et que même sans toucher l’ensemble (ou la majorité) de la population, chacun mérite notre attention. Aussi, la population mérite aussi qu’on fasse davantage de place aux groupes affectés pour identifier la vraie nature du problème et des besoins, question d’ouvrir la voie à des solutions qui feront toujours du sens dans 3 ou 4 autres gouvernements.
Et sur ce front-là, je crois sincèrement qu’il y a de l’espoir.
Au même moment, il faut appeler le gouvernement Holt à résister à l’impulsion toute libérale de lancer de l’argent par les fenêtres. Ça peut sembler contradictoire vu tout ce qui précède; mais le risque d’une générosité sans bornes c’est de chauffer la province pour quelques années avec un feu de paille, qui une fois éteint révélera qu’on aurait mieux fait d’isoler les murs de la maison. Il faut investir, oui, mais de façon durable.
Il sera tout aussi primordial pour ce qui reste du PCNB de se détacher rapidement de l’héritage de Higgs pour retrouver les valeurs qui en font la voix de la mesure et de la solidité dans la gestion des fonds publics. Le risque en cas contraire, c’est un Kris Austin en pleine confiance qui prend les rênes du PCNB d’ici la prochaine élection.
Je ne saurais vous exprimer à quel point je veux voir tort là-dessus.
Pour le moment du moins, le changement de ton à Fredericton fait déjà un bien immense. Et c’est tout à fait souhaitable qu’on revienne à un débat politique digne de ce nom, où le désaccord est permis, et où les critiques ne marquent pas la personne d’une turpitude qui la discrédite instantanément et justifie son bannissement.
Il est grand temps qu’on cesse de compter avant de penser - parce que des ambitions sans moyens c’est problématique, mais des moyens sans ambitions c’est dangereux.
On l’a vu.
Ceci dit, il faudra compter un moment donné et c’est là que l’opposition a son rôle à jouer; il serait bon d’adopter une vision plus longue que sous Higgs, qui n’a jamais cherché à voir plus loin que le surplus annoncé à la fin du quatrième trimestre.
Le tout sera de faire attention de ne pas aller trop à droite pour être right.
Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets