Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Qui pourrait dire de la communauté francophone et Acadienne du Nouveau-Brunswick qu’elle n’a pas laissé de chance au coureur?
Certaines personnes pourraient y voir de l’indolence ou de la passivité. J’y vois plutôt la même attitude qu’on aurait, par exemple, face à un ouragan ou une tornade.
Elle avance, gagne en intensité, dévastant tout sur son passage puis, éventuellement, perd de sa force et disparaît. Alors on remet le nez dehors, on constate les dégâts.
On ramasse les débris, puis on rebâtit du mieux qu’on peut. Que peut-on faire de plus?
C’est un peu comme ça que je vois la “relation” entre le premier ministre et la communauté francophone. Elle sera encore là après lui - même si ça brasse plus fort qu’on le voudrait pendant son passage. Normalement, le reste du caucus servirait de rempart contre le pire du dommage. Je dis bien « normalement »; car nos « voix fortes » se perdent dans le vent.
L’oeil de la tempête semble avoir été le dépôt du rapport des commissaires sur la révision de la LLO - ce qui nous laisse encore au moins deux ans à se faire brasser. Le dommage pourrait être plus dur à réparer qu’on l’aurait cru une fois l’accalmie.
Ne vous méprenez pas: on sera toujours là. La francophonie du Nouveau-Brunswick a vécu essentiellement sous terre de 1787 à 1970, car sa place n’était pas dans l’espace public aux yeux des élites dirigeantes. Je dis « vécu » - elle est restée vivante envers et contre tout, elle a évolué, elle s’est bâtie, elle a développé une identité et une culture bien à elle: c’est plus que survivre, ça. Tout ça sans pouvoir compter sur l’appui d’un gouvernement qui la traitait un peu comme une plante qu’on “oublie” d’arroser.
L’époque coloniale ne semble pas si lointaine ces temps-ci; entre vous et moi, il y a des jours où c’est difficile d’espérer. Francophones et Autochtones dénoncent le « manque de respect » du Premier ministre, mais clairement, le Sieur de la Tornade s’en fout.
Quand la composition du comité chargé de réviser le rapport sur la révision de la Loi sur les langues officielles (LLO) fut dévoilée, c’est surtout la nomination de l’ancien chef de la People’s Alliance, Kris Austin qui a dérangé. Señor Tornado, pour sa part, ne voit pas où est le problème ni pourquoi ça devrait retenir l’attention de qui que ce soit.
Il justifie son choix en disant que: «nous avons un équilibre dans le comité.» Pas certain que le mot soit le bon - un reflet de l’inégalité coutumière je veux bien, mais n’allons pas si loin.
Mais il y a plus, et de nobles intentions: « Je ne veux pas voir un autre conflit dans la province qui mènerait à la création d’un parti politique représentant des gens qui ont des inquiétudes sur leur capacité à parler les deux langues » ajoute-t-il. Que c’est joli!
Mais c’est diluer les objectifs du PANB (et pas juste un peu) que de le décrire comme ça. C’est comme dire qu’on aide les droitiers inquiets de ne pas être ambidextres en coupant le bras gauche aux gauchers. Pas de bras = pas de choix = pas de droits = pas de problème!
La division du vote de droite, on le déduit, serait déplorable. La comment/pourquoi - bof.
Quant à Austin, il a été clair que ses convictions sur le bilinguisme et la dualité ne changeront pas à son arrivée dans les rangs du gouvernement Higgs, puis à l'intérieur du cabinet. En somme: les services dans la langue de la minorité, il en voit peut-être le coût, mais jamais la valeur. Higgs savait ça en l’acceptant comme député, ET comme ministre. Il ne l’a pas choisi malgré tout ça, il l’a choisi en raison de tout ça.
En réponse aux inquiétudes sur sa nomination au comité, Austin dit qu’il a «toujours soutenu et [continuera] à soutenir le droit des francophones et des anglophones de recevoir des services dans la langue de leur choix dans notre province officiellement bilingue»
Ça peut sembler rassurant - c’est le but: sauf qu’en se limitant à parler du droit de « recevoir des services » il évite “habilement” la question de la prestation des services - qui est la raison d’être de la LLO. Disons encore que les francophones du Parti progressiste-conservateur qui sont satisfaits de cette réponse se soucient peut-être plus des apparences que des conséquences.
Et soyons sincères: personne ne s’inquiète pour le droit à recevoir des services en anglais.
Qu’à cela ne tienne, on aura quand même des gens sur le comité de révision de la LLO qui sont contre l’égalité linguistique. Parce que « équilibre ». Vu comme ça, on pourrait se demander quand Higgs va ajouter des ministres libéraux dans son Cabinet.
Être unilingue n’est pas en soi un obstacle à siéger au comité - la LLO protège de façon égale les deux communautés linguistiques. Chacune des perspectives mérite une place dans les discussions. Rien n’empêche d’être unilingue ET défendre les droits des autres, ni de comprendre qu’un seul et même droit peut impliquer davantage de travail quand il s’applique à la minorité. Ça, c’est l’égalité; ce n’est pas un problème.
Être bilingue non plus, évidemment. Les chances sont que tout se passe en anglais de toute façon, vu que c’est la langue du boss. On a l’habitude du bilinguisme à sens unique.
Mais dites-moi comment on favorise un quelconque « équilibre » avec des membres dont le principal désir est d’éviscérer une loi qu’on souhaite - et qu’on doit, parce que Constitution - améliorer et reconduire pour un autre dix ans? Et dans le tout de suite, hein - ça fait plus de 2 ans que le gouvernement traîne ses bottes à ce point-ci.
Sans surprise, dès que le public passe à autre chose, de quoi on discute soudainement? Monsieur critique ouvertement le Commissariat aux Langues officielles (CLONB), dont Austin - tout comme Higgs - a déjà suggéré l’abolition, et ce à plusieurs reprises.
À en juger par les propos du Premier ministre, offrir un porte-voix au député de Minto n’a pas changé grand-chose. Lui aussi s’en sacre de ce que pensent les francophones.
Or quel est le problème avec le CLONB? Higgs se « demande à quel point [le traitement des plaintes par le CLONB] offre une capacité d’avancer significative. »
Je vais lui sauver une couple de nuits blanches: la réponse est aucune. Pas en soi, du moins. Doit-on (encore) lui rappeler que le mandat du CLONB se limite à recevoir les plaintes, enquêter et faire rapport, puis émettre des recommandations? Qui dans l’histoire de l’humanité à déjà porté plainte pour une raison positive? Come on, champion.
Toute avancée repose sur la volonté du gouvernement à agir, sur la base des recommandations - à commencer par le Premier ministre, en tant que principal responsable de l’application de la LLO. Et par agir, je ne veux pas dire abolir le CLONB parce que c’est trop dur sur ton égo d’entendre ses critiques.
Dude: C’EST TA FAUTE SI ON FAIT DU SURPLACE - pas celle du Commissariat. Change de toune ou change de job, un moment donné.
Vous voulez des exemples? Eh bien, quand ses (in)actions sur la révision de la LLO sont à ce point atroces que le gouvernement fédéral sent le besoin de commenter (typiquement Ottawa s’abstient d’intervenir dans les affaires des provinces), loin d’aborder le problème, le Baron de la Bourrasque fait tout ce qu’il peut pour changer le sujet.
On parle de droits linguistiques et de protection du français, lui nous parle du prix de l’essence et de la pénurie de main-d’oeuvre: comme quoi les gens membres d’une minorité linguistique valent moins à ses yeux que 5$ de plus ou de moins à la pompe à gaz.
Ironie suprême: il lance la hausse du coût de la vie dans le tas, comme s’il n’avait même jamais levé le petit doigt pour aider les gens qui en souffrent le plus.
Tout au long du processus de révision, Higgs a tout fait pour éviter la question des droits linguistiques et centrer le discours sur l’amélioration du bilinguisme chez la majorité anglophone - qui ne relève aucunement de la LLO. Il a même ajouté ça à la charge des commissaires alors que la révision prenait déjà du retard.
Et le problème serait que les commentaires négatifs nuisent à la vibe du Premier ministre? Il faudrait être terriblement déconnecté de la réalité pour y voir une vendetta personnelle. Surtout que la Commissaire MacLean a été nommée à ce poste par Higgs en personne (plusieurs mois en retard et au terme d’un processus truffé d’irrégularités, pour ceux qui s’en souviennent).
Tu l’as choisie pour faire la job, et tu chiales qu’elle… fait sa job? Cibole, fais donc la tienne!
Donc, si le CLONB « est un bureau très négatif », c’est justement parce que le gouvernement ne montre aucune intention de progresser sur la protection des droits linguistiques, et que la crainte de reculs est bien réelle. Bon, l’idéal pour Higgs, c’est que tout le monde parle les deux langues. Je me demande dans quelle langue fonctionnerait le gouvernement, dans cette utopie? Probablement la même que les travaux du comité.
Sa gestion de la révision de la LLO (je dirais même digestion, vu les perles qu’il nous sort dernièrement) jusqu’ici a été, demeure, et restera à coup sûr, positivement atroce.