
Par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Les gouvernements aiment ça, faire des annonces: jusqu’à faire des annonces pour annoncer d’autres annonces qui s’en viennent. Et qui pourrait les blâmer, quand il s’agit de moments où leur travail se manifeste d’une manière concrète et observable pour l’électorat?
C’est pour la classe politique l’occasion de courtiser le vote, de souligner ou de rappeler ses bons coups à des moments opportuns, d’engranger du capital politique, de faire avancer des projets-phares, de faire des suivis sur ses promesses électorales ou de remettre les pendules à l’heure quand le besoin s’en fait sentir.
Et l’horloge de l’éducation postsecondaire s’est fait donner un petit coup de crank au début janvier, alors que le premier ministre Brian Gallant répondait aux questions des journalistes sur le dépôt du prochain budget de son gouvernement, le dernier avant les élections provinciales de l’automne.
Un brin de contexte, d’abord:
Dans le discours du budget 2016-2017, le ministre des Finances de l’époque, Roger Melanson, annonçait l’intention du gouvernement « d’assurer la prévisibilité des frais de scolarité pour les étudiants, [en travaillant] avec les universités à exécuter, d’ici à la fin de notre mandat, notre engagement électoral visant à faire en sorte que les étudiants reçoivent un barème des frais de scolarité sur quatre ans » (GNB).
Il affirmait de plus que le gouvernement « [travaille] avec les universités publiques en vue d’élaborer une nouvelle formule de financement [...] fondée sur le rendement et qui permet aux universités de se concentrer sur la croissance. Une fois cette formule établie, nous lèverons le gel de l’enveloppe globale d’aide à mesure que les universités dépasseront leurs objectifs de rendement. »
Dans le discours du budget suivant, sa successeur Cathy Rogers donnait suite à ces propos en ajoutant un certain nombre de précisions: « Au cours des prochaines semaines, nous espérons annoncer des protocoles d’entente avec chacune de nos quatre universités, lesquels stipuleront ce qui suit :
• les engagements financiers du gouvernement pour les quatre prochaines années ;
• la prévisibilité au chapitre des frais de scolarité pour les étudiants du Nouveau-Brunswick au cours des quatre prochaines années ;
• le financement de projets pilotes dans les universités qui appuient les efforts que nous déployons afin d’augmenter les inscriptions [...] ;
• une entente selon laquelle des représentants des universités comparaissent annuellement devant l’Assemblée législative. »
On proposait alors une enveloppe de 45 M$ supplémentaires, une somme insuffisante (qui plus est, après deux années de gel des subventions) qui semblait choisie pour forcer les universités à faire des coupures que le gouvernement n’a pas le pouvoir de leur imposer (FÉÉCUM).
Étant donné que rien n’a transpiré des discussions entre le gouvernement et les universités sur cette question (tant sur la formule de financement que sur les ententes séparées), nous n’étions pas en mesure à l’époque de juger du réalisme des attentes de la ministre. Évidemment, nous étions plutôt sceptiques (FÉÉCUM). Les universités ont de la difficulté à changer un rouleau de papier de toilette sans passer par trois comités et une série d’audiences publiques, alors penser négocier et signer une entente aussi importante en quelques semaines tenait de la fantaisie.
Évidemment, Rogers se donnait une marge de manoeuvre en évitant de parler d’échéancier.
Sans surprise, aucune entente n’est encore signée, plusieurs semaines plus tard. Plusieurs mois; pratiquement une année. Mais là, voici qu’on relance le gouvernement sur cette question: comme il s’agit d’une promesse électorale (Libéral N-B) et que les élections approchent à grands pas, c’est de mise.
Aux questions des journalistes, le premier ministre répond qu’il juge son gouvernement « assez proche de signer des ententes avec la plupart, si pas toutes les universités publiques de la province ». Il a admis ignorer les raisons pour lesquelles les négociations se prolongent, mais garder espoir que les quatre universités signeront bientôt l’entente car il a « l’impression que tout va bien et que les pourparlers vont dans la bonne direction » (Acadie Nouvelle). Il faut admirer son optimisme.
Je blague, évidemment: il faut qu’un certain travail ait pris place entre les premières annonces de 2016 et aujourd’hui. En fait, même avant 2016; on n’annonce pas ces choses sans faire de travail de terrain au préalable. On sait en outre que des discussions sérieuses ont eu lieu entre l’Université de Moncton et le gouvernement, sans pouvoir en révéler la teneur. Pas parce qu’on veut stooler personne; parce qu’on n’en sait franchement rien.
Je veux dire, c’est pas comme si l’éventuelle entente va affecter les étudiant.e.s, hein?
Appelé à préciser le sort qui attend les universités récalcitrantes, qui refuseraient de signer, le Premier ministre demeure évasif, sans exclure l’application de mesures punitives: « nous espérons que toutes les universités vont signer parce que je pense que c’est vraiment dans leur intérêt d’avoir les investissements que nous sommes prêts à faire. S’il y a une université ou quelques universités qui ne signent pas, il reste à voir ce qui arrivera ».
Pour un gars avec un plan d’éducation de dix ans, c’est troublant d’être à cours de précisions en la matière. Trumpesque dans sa réponse à une problématique à laquelle la solution est tout sauf claire, car c’est dans leur intérêt de signer et on verra ce qui arrivera si on refuse, il a néanmoins choisi de laisser planer la possibilité de répercussions dans un forum public. Francophone, du reste.
Or, l’administration de trois universités publiques sur quatre au Nouveau-Brunswick est anglophone.
Ajoutons encore que l’Université de Moncton est la seule des quatre institutions approchées par les journalistes à avoir refusé de commenter le progrès des négociations. Comme certains - avec justesse - qualifient notre « service des communications [comme] étant plus proche de celui de l’ancienne Union soviétique que de celui d’une institution moderne, branchée et transparente » (Acadie Nouvelle), faut-t'il s'en surprendre? Remarquez, les autres n’ont pas dit grand chose, mais ont quand même pris la peine de former une phrase pour ne rien dire. Tant qu’à ça, le gouvernement n’en dit pas plus qu’il n’en faut lui non plus.
Dès que ça touche aux universités, les portes closes ne sont jamais bien loin dans les pratiques. C’est comme si on ne parvenait à maintenir ces institutions qu’en évitant de parler de leur fonctionnement. Malheureusement, en Acadie, quand il y a anguille sous roche, notre premier instinct est de fouiner - au grand dam de nos camarades des communications.
À UNB et à Mount Allison, non seulement on répond aux questions des journalistes, mais on s’approche d’une signature. Alors qu’à Saint Thomas, malgré des discussions suivies au cours de la dernière année, on sent moins d’optimisme. Mais on a au moins pris la peine de le dire dans l’intérêt du public.
Ce n’est pas comme si on doit dévoiler sa main, il suffit de dire qu’on travaille et comment ça se déroule de manière générale. De quoi on a peur à Moncton, batince, si ce n’est de révéler notre inaptitude à gérer et faire progresser « la plus importante institution acadienne » (Acadie Nouvelle)?
Dans son éditorial du 8 décembre, François Gravel questionne le pouvoir de négociation de notre institution, alors que le recteur quitte ses fonctions au moment même du dépôt du prochain budget, la dernière occasion pour Gallant de tenir ses promesses. La question est légitime.
Malgré tout, c’est la réponse du Premier ministre qui reste la plus troublante dans cette affaire. Y verra-t-on autre chose que des menaces voilées à l’endroit des universités de la province? Ou peut-être cherche-t-il à affirmer son pouvoir (économique) sur des institutions qui, traditionnellement, échappent largement au contrôle gouvernemental?
Ça reste à voir. Mais on est peut-être dans le trouble; tant qu’à ça, l’Université n’a rien promis. On cherche à nous faire croire - à faire croire au public acadien - que Moncton doit signer, ou...
Ou quoi, Brian?
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.