À larmes égales
La valeur (changeante?) du diplôme.
À la lointaine époque de mes propres études universitaires, un baccalauréat ne semblait pas être autre chose qu’une valeur sûre. Avec un diplôme, on avait une bonne job, une bonne vie, on faisait mieux que nos parents. Ga-ran-ti, vous dis-je.
Quelle job? On n’avait même pas besoin de le savoir avant de commencer. Tu croirais quasiment que l’univers allait nous payer pour finir nos études.
Même pour le monde “pas riche” (tsé, l’optimisme? T’étais pas pauvre, juste “pas riche”), il suffisait d’une demande de prêt et, comme par magie, tu passais de “pas riche” à “pas si pire” du jour au lendemain. À crédit et moyennant intérêt, mais bon.
Juste de même, tu devenais un étudiant de première génération.
Avant les prêts étudiants, quand tu venais au monde “pas riche” les chances étaient plus fortes de le rester. Ceci dit, le manque de moyens n’était qu’une raison parmi plusieurs autres pour ne pas s’éduquer (ou bon, pas plus que le strict minimum). Bien des femmes se sont fait dire que « les études c’est pour les autres », et quelle que soit “leur place”, un diplôme était optionnel dans la majorité des cas. D’ailleurs, le travail rémunéré était souvent vu comme une chose temporaire, en attendant le mariage.
Le même genre de préjugés existait pour les métiers “virils”, il faut le dire. Un “vrai homme” ça travaille avec ses bras et pas avec sa tête - vous voyez le genre.
Dans bien des familles acadiennes aux moyens limités, l’éducation était alors vue comme un luxe. La promesse d’un bon salaire dans 10 ans remplit bien mal un ventre vide dans l’immédiat. Mes grands-parents n’en avaient pas les moyens pour leurs enfants, point final. Ou en tout cas, pas pour leurs filles.
Même si la misère se ressemblait d’une place à l’autre, les opinions ont pu varier. Dans le Sud-Est, par exemple, le fait d’avoir une université francophone “proche” rendait le rêve d’un diplôme plus réaliste qu’ailleurs. En même temps, l’accessibilité n’est pas une garantie en soi - quand t’es à pied, tu juges tes distances différemment de la personne avec une voiture. Tout est une question de perspective.
Techniquement, le sommet du mont Everest est accessible.
Mais ceux qui y croyaient y croyaient fort. Un diplôme universitaire, jusqu’au début des années 2000, ça avait encore quelque chose de quasiment magique. Si je peux me permettre une hypothèse: moins on avait d’éducation, et plus ça pouvait avoir l’air du remède pour tous les défis de la minorité francophone. Puis quelque chose a changé.
Soit le diplôme postsecondaire a perdu de son lustre à mesure qu’il devenait la norme en termes d’employabilité (il y a 20 ou 30 ans c’était plutôt le diplôme secondaire), ou alors, plus on s’est éduqué et plus on a pu voir que cette magie, c’était une invention. Mais quoi qu’il en soit, l’avantage salarial lié au diplôme universitaire diminue plus rapidement que pour les autres types d’éducation postsecondaire.
C’est pire dans certains cas, par exemple si vous décrochez un emploi dans un domaine autre que celui de vos études, ou qui nécessite un niveau de compétence moins élevé que celui acquis pendant les études (ce qu’on décrit généralement comme sous-emploi). Les lois du marché font que moins c’est rare, et moins ça vaut cher.
Alors cet avantage diminue - mais ici encore, tout reste relatif. En termes de salaire à notre âge et à cette étape de nos carrières, il ne fait aucun doute que ma génération est de loin en meilleure posture que celle qui la précède. On fait plus d’argent, en termes de dollars courants, pour plus ou moins le même montant de travail. Mais - et c’est un “mais” très important - chaque dollar que nous gagnons a moins de valeur.
La Banque du Canada m’indique que mon 1$, en 2025, est l’équivalent de 0,38$ en 1985 - et que ce qui coûtait 1$ à mes parents en 1985 me coûte aujourd’hui 2,61$. Ce qui serait bien correct, si notre revenu - en dollars constants - était 255% plus élevé qu’en 1985. Mais on dépasse à peine la barre des 50% (revenu médian - pour le revenu moyen: 35%) d’augmentation réelle en 40 ans.
Le pire étant que nous, les “nouveaux vieux”, on s’en tire encore à bon compte. Si on ne fait pas tant d’argent qu’on l’aurait pensé, nos dettes d’études restent semi-gérables.
Mi-vingtaine, la norme pour nos parents était d’être propriétaires de leur maison, mariés avec 2,5 enfants, deux voiture, et une “job steady” qui leur permettait assez facilement de payer les factures en pouvant croire à une retraite semi-confortable.
Cette “norme” aujourd’hui, s’est déplacée d’une quinzaine d’années - nous on l’a atteint vers la mi-trentaine, début quarantaine. Comme par hasard, c’est plus ou moins le temps qu’il faut pour rembourser un prêt étudiant. Il y a peut–être un lien.
Des années 1980 aux années 2020, le prix moyen des maisons au Canada est passé ±2 fois à ±6 fois le revenu annuel moyen d’un ménage. Ne vous demandez pas pourquoi on fait face à une pénurie de logements locatifs - l’achat relève de la fantaisie.
Et ça, c’est ce qui nous amène au point de l’histoire où mes enfants devront prendre leur propre décision concernant les études postsecondaires. Je peux les guider dans ce choix mais, soyons francs, ça va de plus en plus mal de plus en plus vite - et je ne suis pas certain que ma propre expérience puisse leur fournir des leçons pertinentes et applicables à leur propre avenir.
Heureusement pour moi (un peu moins pour le nous collectif), l’Histoire a le don de se répéter. Et sans vouloir créer inutilement de la panique, disons que les années 1920 et 2020 ont BEAUCOUP de traits communs sur les plans économique, social et politique.
Le krach boursier de 1929 est arrivé au terme d’une décennie où les Américains de tout acabit pouvaient tirer bénéfice d’un marché en furie par le biais d’actions achetées à crédit. C’est fantastique quand le marché est à la hausse, mais pas tant quand il s’effondre et moins que tout quand les banques réclament leur dû. On réalise vite que chaque dollar emprunté pour acheter des actions qui valent moins que rien a conservé sa pleine valeur, plus intérêt. Ça montre bien comment le profit est d’abord une idée.
Le parallèle avec les cryptomonnaies s’écrit tout seul.
Autre parallèle; l’ascension rapide d’un incompétent colérique aux ambitions territoriales démesurées, qui maintient son pouvoir par un état de chaos perpétuel. L’histoire contemporaine regorge de ces « hommes forts » blâmant tout et n’importe quoi sur des minorités sans défense, pour capitaliser sur la frustration grandissante en nourrissant la division. Évidemment, quand on passe plus de temps à blâmer nos problèmes sur les autres qu’à les régler… Les chances ne sont pas fortes que la situation ne s’améliore.
C’est pourquoi la propagande est un outil précieux dans les régimes autoritaires, où un strict contrôle des médias et du discours officiel maintient l’illusion de la compétence - du moins à l’intérieur de sa sphère d’influence directe. Si ça va mal, c’est des fausses nouvelles. On gouverne avec des slogans empreints d’un « gros bon sens » qui ne se questionne pas et qui s’explique encore moins…
Tiens, encore un parallèle.
En principe, le positif dans une histoire qui se répète serait qu’on s’y prenne mieux la deuxième fois. Mais fouillez-moi, l’humanité trouve toujours le moyen d’être complètement prise au dépourvu par un examen dont elle possède le corrigé.
Pour revenir à mes tergiversations sur la valeur de l’éducation: même en période d'incertitude, elle reste l’une des rares valeurs sûres. Ceci dit, cette valeur se mesure souvent mieux dans une perspective à long terme et il faut admettre que tout le monde n’a pas le luxe d’investir en temps de crise.
Le fait même de me trouver en position de questionner cette valeur aujourd’hui est une preuve de cette même valeur - d’ailleurs je ne demande pas SI mes enfants devraient poursuivre une formation postsecondaire, mais bien LAQUELLE serait la bonne.
Nos grands-parents ne voyaient pas le jour où les études seraient accessibles; nos parents y croyaient sans toujours savoir combien ça pouvait coûter; nous-mêmes y sommes allés sans nous poser trop de questions sur la manière dont on finirait par les payer; et nos enfants iront aux peut-être aux études dans le même esprit que nous avons financé l’achat de nos maisons - en sachant que ça va leur coûter un bras et que ça prendra une éternité à payer. L’avenir seul nous dira si ça en vaut la peine.
En bout de ligne, chaque génération a ses défis qui, dans l’immédiat, sembleront toujours pires que ceux des générations qui l’ont précédée et/ou qui la suivront - parce que ce sont SES défis. Et comme c’est vrai pour chacune, j’en conclus qu’on sera éternellement opposés dans une guerre de nombrils à larmes égales.
Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets