
Texte de réflexion par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
On nous répète ad nauseam que l’éducation est importante. Dans notre province, dans notre pays, à l’échelle mondiale on entend la phrase répétée sur toutes les tribunes et dans – à peu près – toutes les langues.
C’est beau, c’est noble, c’est facile et, généralement, ça ne déplait à personne.
Si ce n’était pas du système de santé, qui reçoit à peu près le même traitement, je dirais que c’est l’équivalent d’une photo de minou. Mais on place l’éducation juste en-dessous alors, je sais pas, une photo d’une batch de canetons? C’est cute au boutte des canetons, mais ça peut bloquer le trafic dans le Marais. Mais c’est cute.
On reste pas enragé longtemps après une trâlée de canetons.
Bref. L’une des grandes ambitions de notre gouvernement provincial, du moins tel qu’exprimé dans son programme électoral, touche à l’apprentissage du coding dans les écoles (Libéral NB). Il faut que tous les petits néo-brunswickois soient capables rendus en 12e année de concevoir des logiciels, des applications, etc. C’est l’économie de demain! On n’a pas réglé la question de notre taux d’analphabétisme record, pendant ce temps-là. Mais y’a pas grand monde qui fait de l’argent à lire I guess.
On ne dira pas que ça risque aussi de nous faire une belle génération de hackers, mais bof, je m’en remets à Rousseau sur la question de la bonté fondamentale de l’homme.
Ouf. Dissipé aujour’hui, le vieux! Revenons-en à l’idée de départ : la massification du coding.
Je lis régulièrement le blogue d’Alex Usher, qui est une sommité dans le monde de la politique publique en éducation postsecondaire, et président d’une firme d’experts-conseil en la matière, Higher Education Strategy Associates (HESA). Le monsieur est d’orientation un brin conservatrice à mon goût, ce qui fait que la lecture est parfois frustrante, mais il est indéniable qu’il sait décortiquer des enjeux comme à peu près personne d’autre dans le domaine. Ses positions, si enrageantes puissent-elles s’avérer à l’occasion, s’appuient sur des bases solides. Ça donne des textes souvent très techniques, assortis d’une analyse fine et intelligente des données – souvent lacunaires et difficiles à comparer dans leur forme première – rendues disponibles par les institutions, les gouvernements et les think-tanks.
Et parfois, ce qu’il propose reçoit non seulement toute mon approbation, mais une dose généreuse de mon enthousiasme. Il y a des moments magiques, dans la vie!
Ce matin, il s’attaque à une déclaration récente du ministre fédéral de l’innovation, Navdeep Bains, voulant que le coding doive être enseigné dans les écoles, parce que c’est « aussi important que la lecture et l’écriture ». C’est une position qu’il a déjà énoncée dans son forum Twitter #AskBains (Twitter).
Et c’est le genre d’affaire que t’entend et qui passe tout droit, en général. Des canetons.
Mais là, wô menute mon ami; aussi important que la lecture et l’écriture? Usher se crêpe le chignon, toi. « Aussi con qu’une poche de marteaux ». Ses mots.
Il explique l’imbécilité de cette affirmation : la massification d’une technologie ne veut pas dire que tout le monde doit en comprendre les moindres détails. Il donne quelques exemples à l’appui : tout le monde utilise de la plomberie et de l’électricité quotidiennement, mais pourtant la majorité d’entre nous n’a aucune idée de comment installer une toilette ou entretenir le filage dans les murs de sa maison. Tout le monde utilise un réfrigérateur mais à peu près personne ne comprend le cycle de réfrigération par compression de vapeur (HESA).
Pis la Terre continue de tourner. En fait, y’a du monde assez bien payé pour connaître – ou parce qu’ils connaissent, plutôt – ces choses-là. Si le lien n’est pas évident, c’est que j’ai oublié une partie de l’histoire : le lendemain du discours du ministre Bains, Melissa Sariffodeen, qui est à la tête d’un organisme nommé « Ladies Learning Code » (LLC), a déclaré que le Canada aura besoin de 10 millions de personnes (un peu plus que la moitié de la force ouvrière) capables de coder s’il veut assurer sa prospérité sociale et économique.
Oui, la technologie va affecter une proportion toujours grandissante des emplois. Mais pourquoi cela voudrait dire qu’une personne sur deux doit devenir un expert en technologie?
D’après cette logique, vu la quantité de nourriture qu’on consomme, on est des caves de ne pas tout être des fermiers. Mais elle est à la tête d’un groupe d’intérêt, pas d’un ministère, Mme Sariffodeen, il faut le souligner.
La valeur associée à tel ou tel métier dépend fondamentalement de deux choses : l’étendue de l’expertise démontrée et attendue, et la volonté du reste de la planète de laisser quelqu’un d’autre s’en charger à sa place. On parle du salaire en tant que « compensation » : on te paye pour le temps que tu perds et qu’on gagne, quoi. Quand on dit que le temps c’est de l’argent, hein?
Et si, véritablement, le coding est la clé du prochain grand boom économique – et c’est une idée qui se défend, il faut l’admettre – les grandes entreprises qui vont se lancer dans cette aventure auront besoin d’une masse d’ouvriers, idéalement bon marché, si elles veulent espérer maximiser leurs profits. De un, ça réduit les coûts de formation, ce qui augmente les profits. Pensons seulement à l’exemple de BBM Testlabs, qui a promis de créer 1000 emplois au N-B, et pour qui le CCNB a plus ou moins produit un cours sur mesure (Acadie Nouvelle). Et de deux, ça augmente la compétition pour les places disponibles, ce qui enlève de la pression sur l’offre
Quand les gouvernements provincial et fédéral nous disent que le coding doit être enseigné dans nos écoles, ils savent pertinemment que tous nos diplômés ne seront pas des codeurs. L’objectif proposé de 10 millions de codeurs est irréaliste (et considérant qui l’a proposé, à prendre avec un grain de sel aussi), mais on en aura pas mal plus en enseignant le coding qu’en ne l’enseignant pas. Surtout si les élèves n’ont pas le choix de suivre le cours; on est à l’école. Et si on a plus de codeurs, guess what, ça veut dire que l’employeur pourra les payer moins. À qui on rend service dans tout ça?
Vous me direz que des entreprises prospères sont un moyen de soutenir nos programmes sociaux, et vous auriez raison de le dire. Mais nos gouvernements disent d’un côté qu’il faut augmenter le nombre de travailleurs spécialisés, et de l’autre qu’il faut améliorer les incitatifs aux entreprises. Oui, t’as besoin d’une job. Mais t’as besoin d’une job qui te paiera pas un salaire de crève-faim, histoire de vivre un peu à côté.
Si les jobs sont là, les gens vont aller chercher la formation : on n’est pas des sans-desseins (FÉÉCUM).
Il y a quelques années c’est des soudeurs qu’on voulait, et pourtant on en parle de moins en moins maintenant. C’est-tu qu’on en aurait suffisamment? En fait, peut-être qu’on en a pas tant qu’on en voulait et qu’on est obligé de les payer plus que ça nous adonne. Quand moi j’étais à l’école, on passait pour des fous si on ne voulait pas réparer des ordinateurs. Eh bien, ce ne sont pas toujours les salaires auxquels on était en droit de s’attendre qui se trouvaient au bout de cette-ligne là non plus. Ça payait quand on en avait besoin : quand on en avait trop ça payait moins (FÉÉCUM).
Alors il faut se le demander : quand nos gouvernements nous incitent à apprendre tel ou tel métier, à se doter de telle ou telle compétence (à l’ÉCOLE dans le cas du coding, c’est quand même significatif), est-ce pour le bien de la population ou pour celui du secteur privé? Parce que l’ « Économie » est une science large, qui touche au bien de l’une et de l’autre : il faudrait que nos gouvernements parlent en termes clairs.
Veut-on du monde plus éduqué, ou plus achetable?
Texte de réflexion - aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.