Depuis la parution du blogue « Quand le « fine print » finit par ne rien vouloir dire » en janvier 2018, où nous avons constaté l’incapacité patente de l’Université à défendre les intérêts de groupes autres que le corps professoral, aucune action prise par notre institution ne permet de croire que les droits des personnes étudiantes les protègent de quoi que ce soit. Ou que “droit” soit même le bon mot. 7 années se sont écoulées depuis, peu de règlements ont changé, et là où il y a eu des changements, le but semble d’abord la protection des personnes enseignantes.
La réunion du Sénat académique, le 7 février 2025, nous a fourni un énième rappel que notre campus (comme bien d’autres) fonctionne « par et pour le corps professoral ». À cette réunion, un projet de règlement concernant le droit d’appel des personnes étudiantes (règlement 8.8) a été présenté par le comité de règlement de l’Université de Moncton. Un amendement fut immédiatement soumis au vote du Sénat pour retirer aux personnes étudiantes le droit de recevoir une copie de leur évaluation corrigée. La crainte de voir circuler des copies d’examens des années passées est à ce point omniprésente.
Je serais curieux de savoir combien de fois ceci s’est produit… et encore plus curieux de savoir où sont les preuves. Peut-être - je dis bien *peut-être* - que si l’examen n’a pas changé depuis 1985 et que les personnes étudiantes ont la capacité de, comment dire? … parler, il ne faudrait pas s’étonner que leurs examens ne surprennent personne.
Tsé, quand même tes parents peuvent deviner quelles questions seront sur l’examen, le temps serait peut-être venu de chercher le problème… du côté des profs?
Loin s’en faut: la chose à faire serait de protéger les profs qui ne sont pas capables de trouver de nouvelles questions d’évaluation. Et par “pas capables”, je veux dire “pas intéressés”. Et pour qui y verrait une interprétation malicieuse des échanges au Sénat; c’est presque mot pour mot ce qui a été dit. La proposition devait être amendée pour protéger les personnes enseignantes qui ne sont pas capables de changer leurs évaluations année après année. Oui, oui - on parle bien d’experts dans leurs domaines qui ne voient aucun moyen de modifier leurs questions. C’est d’un ridicule sans fin.
Sans surprise, la motion est adoptée par une large majorité, bien que les personnes étudiantes étaient 100% contre. Des 40 membres du Sénat académique (1 siège est vacant présentement - réservé au corps professoral de l’UMCE), on compte 19 professeur.es (sans compter 10 doyen.nes et vice-doyen.nes normalement issus du corps professoral et qui le réintègrent à la fin de leur mandat), et 5 personnes étudiantes. Aussi bien dire que c’était une formalité, sans plus. Si les profs le veulent, sans question, les profs l’auront. Et les profs l’ont eu.
Ceci est problématique pour les personnes étudiantes, pour plusieurs raisons. D’abord, mieux vaut avoir sa copie en mains au moment de préparer sa demande de révision. Sans cela, comparer ses réponses et le pointage accordé avec ses collègues, par exemple, devient presque impossible - ce qui ouvre la porte à un traitement injuste ou inéquitable d’une personne étudiante à l’autre. D’un coup que des experts puissent faire une erreur de correction à l’occasion - j’entends dire que ça arrive.
Puis, dans une perspective pédagogique, il semble insensé qu’une personne étudiante ne reçoive pas une copie corrigée de son évaluation qui lui permette de voir et de comprendre ses erreurs , afin de s'améliorer en vue des prochaines évaluations. Sans parler de la constance dans la correction et le pointage: si l’examen ne change pas, manifestement, la correction ne devrait pas changer non plus.
Et il y a une chose en particulier qui m’agace ici: la question de la propriété intellectuelle. Alors les profs veulent garder le contrôle de leurs questions, OK - mais qu’est-ce que ça veut dire pour les droits des personnes étudiantes sur leurs réponses? (ref. Article 13 du Code de conduite)
Enfin, il existe un règlement qui permet aux personnes étudiantes de contester leur note finale. C’est l’un des rares à fournir un cadre et des étapes clairs concernant la résolution d’un litige entre la personne en étudiante et la personne enseignante. Il y est clairement indiqué qu’en cas de litige sur la correction, la personne étudiante doit attendre la fin de la session d’examen pour faire sa demande, peu importe quand l’évaluation a eu lieu. Pour monter ce dossier, de toute évidence, il est préférable pour la personne étudiante d’avoir accès illimité à ses évaluations. Maintenant, avec l'amendement du règlement, il est seulement possible de consulter l’évaluation sur rendez-vous avec la personne enseignante. Ceci ne semble pas être idéal pour permettre de monter son dossier de façon réfléchie. De plus, ceci est doublement problématique dans le cas ou une personne étudiante subit de l’intimidation (ou se sent intimidée) par la personne enseignante. Là où cela se produit, la personne étudiante perd essentiellement son droit à une révision juste et équitable.
Vous pouvez trouver l’interprétation de mauvaise foi si ça vous amuse, ou gueuler que “tous les profs ne sont pas comme ça”; mais ce ne sont pas les personnes étudiantes qui ont demandé ce changement et l’explication fournie pour en justifier le besoin ne fait franchement aucune espèce de sens.
Mais il y a pire: une personne étudiante se rend coupable de fraude si elle [10.9.3.1 e)]:
- présente à des fins d'évaluations différentes, sans autorisation, un même travail, travail dirigé ou mémoire, intégralement ou en partie, dans différents cours, dans différents programmes de l'Université, ou à l'Université et dans un autre établissement d'enseignement;
La voyez-vous, l’hypocrisie? On dit clairement qu’une personne étudiante ne peut pas utiliser deux fois le même travail. Mais si on regarde ce que le Sénat académique a accepté, c'est de protéger le droit des personnes enseignantes à présenter le même travail semestre après semestre. La charge de travail normale d’une personne enseignante est basée sur 15 crédits: est-ce qu’on accorde quand même une charge complète à celles qui refusent de changer leurs évaluations ou leur matériel d'enseignement? Perdez pas trop de temps à y réfléchir, la réponse est oui.
Comme pour ajouter l’insulte à l’injure, l'amendement inclut une ligne qui ajoute à la définition de fraude:
« ... Trafiquer après correction le texte d’une évaluation est un manquement à l’intégrité intellectuelle qui peut mener à des sanctions allant jusqu’à l’exclusion de l’Université en vertu du règlement 10.9.3. »
Encore une fois: qui fait ça? Où c’est arrivé et quand? Et pourquoi - pourquoi - le ou la prof aurait besoin d’un règlement additionnel pour imposer une sanction? Si c’est une peur avec un minimum de crédibilité, bonyeu, organisez-vous donc pour limiter les risques au lieu de punir tout le monde!
Aussi, et tant pis si on se répète (punissez-nous, je suis certain qu’y’a aussi un règlement contre ça): si un seul et même travail peut cadrer avec les exigences de 2+ cours, démontrer l’atteinte des objectifs de 2+ cours, et crédiblement répondre aux questions de 2+ cours… faut-il uniquement blâmer la personne étudiante, ou est-ce que l’effort de la ou du prof mériterait d’être regardé de plus près?
Donc: il ne faudrait surtout pas qu’une personne étudiante brime le droit d’une personne enseignante à fournir l’effort minimum pour trouver des questions d’évaluation pertinentes et stimulantes, en demandant de recevoir une copie corrigée de sa propre copie d’examen, mais pire encore - il ne faut surtout pas lui faire confiance lors de la consultation de sa copie. Voilà qui vous donne une idée du niveau de confiance du corps professoral envers l’intégrité intellectuelle des personnes étudiantes.
Pour terminer, ce qui s'est produit au Sénat démontre à quel point la présence des personnes étudiantes sur ce dernier (et ses innombrables comités) est perçue comme un mal nécessaire par les universités. On le fait parce qu’on est obligés; hey, ça paraîtrait mal si on décidait de tout ce qui affecte les personnes étudiantes sans les avoir à la table! Alors on les invite pour les ignorer en direct, et leur montrer que c’est les profs qui mènent.
Faut croire que c’est la chose polie à faire.
La communauté étudiante peut placer son mot, mais quand on passe au vote on voit bien que personne ne l’écoute. On ne dit pas cela par simple frustration que notre demande ait été refusée, mais surtout en raison des “arguments” qui “justifient” ce refus. Si on avait au moins eu la décence d’appuyer l’amendement par des arguments réfléchis et soutenus par des principes pédagogiques, peut-être qu’on verrait la chose autrement.
La façon de fonctionner à l'université a pour résultat de favoriser les intérêts du groupe le plus représenté, soit les personnes enseignantes, en préservant l’apparence de chercher le consensus de la communauté. Tout ça au détriment de l’intérêt supérieur de l’Université.
On a beau dire que les personnes étudiantes sont « des membres à part entière de la communauté universitaire», difficile de sentir que ce soit le cas quand les intérêts étudiants vont à l’encontre de ceux de n’importe quel autre groupe. Évidemment, on pourrait penser qu’il est à l’avantage de l’Université de choisir ses batailles, puisque dans 10, 15, 20 ans la personne étudiante ne sera probablement plus sur le campus, et les problèmes qu’elle a pu causer seront chose du passé (réglés ou non, aucune différence). La personne membre du corps professoral par contre… là c’est une autre histoire.
Mais dans le fond, comment leur en vouloir? Iels font juste jouer avec leur zone zéro gêne.
Par Pierre Losier, directeur général
et Raymond Blanchard, Agent de recherche et de projets