
Par Pierre Losier, directeur général de la FÉÉCUM.
À l’université, on ne manque pas de règlements, mais souvent quand on prend le temps d’en lire les détails, on voit qu’ils sont construits pour créer des questions plutôt que de répondre à celles qu’on pourrait se poser. Remarquez que j’ai bien mis à l’université sans « de Moncton », car je présume que la situation est la même sur la majorité des campus universitaires.
Mais comme notre situation est celle qu’on connait le mieux, on va quand même en tirer quelques exemples.
De prime abord, quand on regarde la panoplie de règlements, politiques, lignes directrices, énoncés et autres documents qui encadrent le parcours académique de l’étudiant.e, on peut croire que ce dernier est très bien protégé. À titre d’exemple, il existe un règlement très clair pour l’étudiant qui veut demander une révision de la note finale (règlement 8.8). Ce règlement indique ce que sont les droits de l’étudiant.e, comment procéder pour s’en prévaloir, et quel sera le processus qui sera mis en oeuvre pour répondre à sa demande, incluant les délais. Enfin, on explique quel recours est disponible pour faire appel de la décision reçue à chacune des étapes du processus.
Sur papier du moins, le processus est clair et équitable pour les deux parties. Par contre, il n’y aura pas de représentation étudiante à chacune des instances et c’est l’université qui détient le monopole du jugement de la situation. C’est son règlement, après tout.
Donc dans ce cas, les droits et la procédure sont clairs, et il y a lieu de croire que l’étudiant.e a une chance d’être traité de façon équitable: en gros, soit la note sera maintenue ou alors elle sera changée. Il n’y a pas de conséquences supplémentaires qui sont prévues. Par contre, là où ça devient problématique, c'est dans le cas des règlements qui protègent l’étudiant en imposant (en principe) une conséquence au professeur pris en faute. Voici quelques exemples pour illustrer ce que je veux dire:
Commençons avec le Règlement 8.6.2 sur l’évaluation de la note finale (UMoncton), qui indique ceci :
« Sauf exception approuvée par le conseil de la faculté, l’une des trois évaluations représentant au moins 20 % de la note finale doit obligatoirement avoir lieu pendant la session d’examen prévue au calendrier universitaire de l’année en cours. Dans le cas d’une épreuve de contrôle, la professeure ou le professeur doit donner un préavis d’une semaine sur la nature de l’épreuve et en communiquer le résultat durant les deux semaines qui la suivent, à moins que cette période de deux semaines n’excède la fin d’une session (voir le règlement 10.4). »
Donc, la grande question : Qu’est-ce qui arrive si un professeur ne remet pas la correction de l’épreuve aux étudiants durant les deux semaines qui la suivent ?
L’étudiant se voit décerner un A+ automatiquement sur l’épreuve ?
L’étudiant reçoit un rabais sur ses droits de scolarité de 5$ par jour de retard ?
La vérité, c’est que personne n’en sait rien: chaque cas sera réglé différemment, car le règlement ne précise pas quelles doivent être les conséquences.
Poursuivons avec le Règlement 8.12 sur le plan de cours (UMoncton), qui indique, entre autre, ceci :
« Les modalités, les critères et la pondération des évaluations ne peuvent être modifiés sans l'assentiment écrit de toutes les étudiantes et tous les étudiants inscrits au cours. »
Une autre grande question! Qu’est-ce qui arrive si un professeur annule une évaluation sans l’assentiment écrit de toutes les étudiantes et tous les étudiants inscrits au cours ?
L’étudiant se voit décerner un A+ pour l’épreuve qui a été annulé ?
L’étudiant reçoit un rabais sur ses droits de scolarité qui est le même pourcentage que l’épreuve valait dans le plan de cours ? Donc une épreuve qui valait 20% de ta note finale te donnerait un rabais de 20%? Tout le monde reçoit la note S car les modalités d’évaluation prévues au plan de cours n’ont pas été suivies?
Je pourrais ressortir encore plusieurs règlements de ce genre, qui semblent protéger l’étudiant, mais qui posent plus de questions qu’ils n’offrent de réponse. Il faut dire que, en lisant l’Énoncé des droits et des responsabilités des étudiantes et des étudiants, à la partie Responsabilités, on peut voir que les étudiant.e.s aussi sont visés par des règlements dont les conséquences sont tout sauf claires. Ce qui reste clair, c’est qu’il y aura des conséquences, cependant: le Comité disciplinaire est là pour ça (UMoncton, p. 82). Mais le Comité disciplinaire a aussi ses problèmes, qui méritent qu’on y revienne dans un autre texte.
Ce serait pas mal plus simple à mon avis d’écrire des règlements clairs. L’Université est capable de le faire. Si on regarde le règlement 10.9.3 sur la fraude (UMoncton), par exemple:
«Si la professeure ou le professeur est convaincu qu'il y a fraude, elle ou il attribue dans les meilleurs délais la note E pour l'épreuve de contrôle ou pour le cours, selon la gravité du cas, et remet, par écrit, sa décision motivée à la doyenne ou au doyen de la faculté dont relève le cours (ci-après « la doyenne ou le doyen ») avec copie conforme à l'étudiante ou à l'étudiant et à la ou au registraire du campus concerné (ci-après « la ou le registraire »). La ou le registraire dépose la décision de la professeure ou du professeur au dossier officiel de l'étudiante ou de l'étudiant.»
Pas de doute quant aux conséquences, ici. Oui, l’étudiant peut faire appel de la décision, mais la conséquence qui s’applique en cas de fraude est claire. La mention de fraude au dossier de l’étudiant est appliquée dès le départ, même si l’étudiant va en appel de la décision du prof: on ne la retire que si l’appel est gagné. Malgré ça, la décision dépend de si la ou le prof est convaincu qu’il y a de la fraude, et de la gravité du cas à son avis, même si les définitions de ce qui constitue de la fraude sont claires dans ce même règlement. Il y a quand même pas mal de latitude.
Donc à l’Université de Moncton du moins, il y a vraiment un double standard quand il est question de réprimandes. Quand ça vise l’étudiant, la réprimande est très claire, mais dans le cas des professeurs, beaucoup moins.
On peut même donner un exemple plus concret de ce double standard.
Reprenons le cas du plagiat, mais cette fois, dans le sens inverse. Un professeur prend la présentation d’un étudiant pour l’enseigner dans son autre cours (malheureusement, cette situation est réellement arrivée), quelles sont les conséquences pour le professeur? Comment l’étudiant peut se prévaloir de ses droits ? Le règlement n’évoque même pas la possibilité: la loi du silence passe avant le droit des étudiant.e.s!
Pour les curieux, le prof a quand même terminé son contrat. Il n’a pas été réembauché.
De plus, que dire de la bureaucratie qui attend l’étudiant.e qui dépose une plainte. Dans bien des cas, même en cas de victoire, son semestre est perdu. Voici un exemple concret :
Un.e étudiant.e fait une demande de révision de la lettre finale (UMoncton) :
Le règlement 8.8 indique que l’instance de l’Université a deux semaines pour répondre à chaque étape. Quatre étapes sont prévues, soit la première demande au professeur, la deuxième pour la création d’un comité de demande de révision, la troisième pour appel auprès du doyen et enfin, en cas d’échec seulement, la quatrième pour un appel auprès du Sénat académique.
Donc, l’étudiant.e qui se rend jusqu’au comité d’appel du sénat peut attendre 8 semaines au total avant de rendre la décision finale. Je prend pour acquis que l’étudiant aura préparé et envoyé la demande pour chaque étape le jour même où il a reçu les résultats de la précédente. Si on applique cela au semestre qui s’est terminé le 22 décembre dernier, on aurait un processus qui se termine le 16 février. Ou probablement deux semaines plus tard, le 2 mars en fait, car l’Université est fermée pour le congé des Fêtes. Donc si l’étudiant.e gagne, cinq semaines du semestre au minimum sont déjà perdues, si même ça a été possible de s’inscrire à ses cours. Inutile de dire que son semestre est perdu même en cas de victoire.
Les professeurs sont là pour 30, 35, 40 ans; les étudiants pour 4 ou 5 ans au plus. Clairement, les choses pressent plus pour un des deux groupes. Ce n’est pas une question de respecter ou non les procédures, mais d’avoir des procédures qui sont utiles quand on doit les appliquer. On voit rapidement, même avec le paquet de règlements qu’on a déjà, que les étudiants sont généralement désavantagés, ou plutôt trouvent plus d’avantages à subir et se taire qu’à revendiquer leurs droits.
À quand des règlement avec plus de mordant et qui exige des professeurs d’être responsables de leurs actions? Comme la majorité des comités qui touchent aux règlements sont dominés par les professeurs, pas pour demain!
On finit avec des règlements où il y a beaucoup de blabla, mais qui protègent mieux certains que d’autres et offrent très peu de possibilités d’action. Ce qui fait l’affaire de certains, sans doute, mais qui n’est pas dans le meilleur intérêt de la communauté universitaire en bout de ligne.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.