Après deux semaines de grève du personnel dans les services publics du N.-B., dont une partie a été forcée à reprendre le travail par l’adoption d’une loi spéciale, il est abondamment clair que toute la population de la province en a souffert, et pas uniquement les personnes en grève et/ou travail essentiel obligatoire et/ou lockout.
À en juger par l‘appui de la population aux membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) il est tout aussi clair que le gouvernement Higgs est considéré comme le principal responsable de cet arrêt de travail - incluant pour ceux qui ont appuyé le parti du Premier ministre lors de la dernière élection.
Il faut dire que Monsieur ne donne pas exactement dans la subtilité. Il est allé jusqu’à haranguer les membres du SCFP massés devant l’Assemblée législative pour leur mansplainer son offre et les raisons pour lesquelles ladite foule avait tort d’être fâchée.
Dans le showbiz, on dirait qu’il a *un peu* mal lu la salle.
Tout ça pour dire que l’impact direct et indirect de la grève déclarée en dernier recours par plusieurs sections locales du SCFP, après des mois ou des années de négociations « à reculons » avec le gouvernement Higgs, s’est vite révélé bien plus large qu’on paraissait le supposer du côté du gouvernement.
Parmi les victimes collatérales de la grève, on peut compter nos étudiant.e.s dans des programmes d’études qui comportent un stage non-rémunéré dans les services publics, et dont les plans à court terme, au minimum, ont été chamboulés.
Certain.e.s ont pu voir leur stage annulé, reporté ou interrompu quand le milieu de travail qui devait les accueillir a dû fermer, ou réduire le nombre de personnes pouvant s’y trouver. Par ailleurs, ce n’est pas que la grève qui a son impact, mais les mesures sanitaires liées à la pandémie aussi. On peut aussi comprendre que dans plusieurs cas, l’expérience de stage fut transformée (et pas pour le mieux) par la mise en œuvre des restrictions sanitaires.
Presque tout le monde a vécu l’expérience de l’apprentissage à distance ces derniers mois - imaginez à quoi ça peut ressembler dans le cas d’un stage.
C’est une conséquence importante, car les membres du personnel qui appuient et guident les stagiaires durant leur parcours ont été formés pour exécuter un ensemble de tâches définies - et les programmes de formation sont conçus pour préparer les étudiant.e.s à s’acquitter de ces tâches. C’est le principe même de la relève: il faut pouvoir assurer une prestation des services qui soit aussi stable que possible. L’évolution dans les pratiques en milieu de travail se produit donc graduellement, en réponse aux besoins ou aux défis qui se révèlent dans la durée, en s’appuyant sur les connaissances acquises en amont. Cette relation logique, presque symbiotique, entre l’apprentissage et la pratique devient beaucoup plus difficile à entretenir en situation de crise.
Pour identifier les besoins et les défis de sorte à améliorer la connaissance et guider les pratiques futures, il faut avoir le temps d’observer, d’étudier, d’analyser et de comprendre. C’est le privilège du milieu académique: sans dire qu’on saurait mieux faire le travail, on a le temps de décortiquer les problèmes. Le rythme y est fondamentalement différent.
Sur le terrain, il faut agir, s’adapter sans forcément avoir le luxe d'analyser et de réfléchir. Les ajustements apportés face aux crises peuvent se montrer efficaces, tout en restant plus ou moins improvisés en fonction d’une application temporaire. Il y aura sûrement des leçons à tirer de notre réponse à la pandémie, mais à posteriori - pas dans le feu de l’action.
Il reste que peu de stagiaires pouvaient se sentir préparés à travailler en mode pandémie, et encore moins en mode virtuel.
Pardonnez ma candeur, mais ma propre expérience des stages m’a appris que l’écart entre la théorie et la pratique est déjà assez grand en temps normal. J’imagine difficilement à quel point les stagiaires peuvent se sentir perdus dans tout ceci.
L’interaction en personne et le contact humain jouent un rôle d’importance dans la majorité des domaines affectés par la grève. Pensons au milieu scolaire, qui est sans doute l’exemple plus familier pour la majorité d’entre nous. Or, l’enseignement - et par extension, l’apprentissage - à distance peut-il vraiment être considéré de valeur égale à l’apprentissage en salle de classe? Les opinions peuvent certes varier au gré des expériences personnelles, mais on a clairement constaté une augmentation majeure du taux d’échec à la fin de la dernière année scolaire. Le ministre de l’éducation, Dominic Cardy, ne reconnaît-il pas lui-même que l’école à la maison est « un remplacement imparfait en temps de crise »?
Imparfait, je veux bien, mais en temps de crise il faut faire avec les moyens du bord. Qu’en est-il, cependant, si cette crise est délibérément causée par le gouvernement? En santé et en éducation, particulièrement, la question mérite d’être posée.
On a appris assez tôt durant cette grève que la question des salaires était largement réglée et que les pensions peuvent être négociées séparément. Difficile de blâmer les travailleurs dans les circonstances. D’ailleurs, le gouvernement aurait volontairement manqué à ses obligations de financer plusieurs fonds de pension dont il lamente aujourd’hui les déficits. La décision à l’origine du trou dans la caisse de retraite remonte par ailleurs au gouvernement Alward, où le ministre des Finances était un certain... Blaine Higgs.
Les écoles ont été fermées au début de la grève et l’apprentissage a dû se faire de la maison. Le ministre Cardy, qui a déjà dit vouloir mettre fin à la dépendance des écoles envers les assistantes en éducation, a décrété un lockout (vite renversé par la Commission du travail) des assistantes dans des postes désignés essentiels au début de la grève.
Alors, plus qu’autre chose, disons que tout ceci sent un brin la vieille rancune. Au plus fort de la grève, le chef Libéral Roger Melanson disait que ce serait « un abus de pouvoir » de se servir de l’état d’urgence pour forcer l’issue des négociations, et on peut mal l’accuser de sortir ça de nulle part. La pandémie a le dos large sous le gouvernement Higgs, qui l’emploie à toutes les sauces pour peu que ça lui permette de contourner les obstacles procéduraux ou contractuels « parce que pandémie ».
Une fois que le gouvernement s’est rassis à la table de négociation dans l’intention de trouver un compromis au lieu d’imposer sa vision des choses, ça n’a pas été très long que c’était réglé - du moins pour la majorité des grévistes.
Mais bref, revenons à l’impact de la grève sur les stagiaires. Il est vrai que chaque secteur traversera des périodes de crise, dont l’impact varie selon le milieu, les circonstances, et les moyens disponibles dans le moment. Alors les programmes d’études ne sont pas conçus en fonction des situations de crise, mais en fonction du déroulement normal et attendu; et l’évaluation des stagiaires l’est tout autant.
Peut-on tenir pour acquis que l’évaluation des stagiaires sera juste et équitable? Je dis cela sans prêter de mauvaises intentions: tout le monde nage en plein mystère depuis une vingtaine de mois. Sur quelle base un échec peut-il être considéré comme le signe d’une réelle incapacité à intégrer la profession? On peut penser que gérer une crise se fait forcément mieux avec un bagage d’expérience que la majorité des stagiaires n’ont pas. Alors, comment le succès d’un stage en plein milieu d’une grève et/ou d’une pandémie devrait-il être mesuré? Je ne le sais pas, mais j’espère que les gens en mesure de répondre à cette question se la sont posée.
Nous n’avons pas tous la même capacité d’adaptation aux défis liés à la pandémie: on traverse la même tempête, oui, mais dans des bateaux différents. D’ailleurs, personne n’est à l’abri d’un trou dans sa coque, bien malgré l’allure de son embarcation.
Peu importe quand et comment se fera le retour à la normale, des questions resteront en suspens quant à la «valeur» réelle du stage pendant la pandémie. Malgré tout, peu importe la qualité ou la représentativité de l’expérience vécue en milieu de travail, la personne étudiante ne recevra aucun rabais - le meilleur des scénarios reste encore de ne pas devoir payer davantage pour reprendre le stage à une date ultérieure. C’est tristement ce qui attend les stagiaires qui vivront un échec, je le crains.
Tout de même, il serait difficile d’en vouloir aux membres syndiqués d’avoir tenu tête au gouvernement, car leur combat vise à améliorer les conditions de travail pour la relève - ce qui inclut les stagiaires. Si le SCFP avait cédé aux tentatives de Higgs pour semer la division dans ses rangs, après qu’il eut unilatéralement mis fin aux négociations, nul doute que bien des membres auraient posé des questions difficiles. Quand il est question de solidarité, tu te tiens ensemble, ou tu te tiens tranquille: un groupe isolé face à la machine est vite écrasé, et l’effet domino peut ensuite se charger du reste. Higgs a misé sur ce cheval-là très tôt.
D’ailleurs, les sondages en font foi, peu de gens en veulent aux grévistes. Le fait que gouvernement du N.-B. soit le seul au Canada à réaliser DES surplus budgétaires en pleine pandémie ne lui a pas attiré énormément de sympathie.
Enfin, grève ou pas, l’ensemble de la population subit les conséquences de l’attitude corporatiste du gouvernement Higgs, qui fut à son pire pendant la pandémie. Pensons par exemple à la hausse de l’évaluation foncière (qui, sans surprise, semble épargner les grandes entreprises) et aux loyers qui augmentent en flèche, au salaire minimum qui est maintenant le plus bas au pays, aux lignes qui s’allongent dans les banques alimentaires, à la détérioration constante des relations avec les Premières Nations - tout ça n’aurait peut-être pas pu être évité, mais son impact sur la population aurait pu être moins grave si, au lieu de viser des surplus à tout prix, on pouvait donc accorder un peu de valeur au bien-être de la population une fois de temps en temps.
Mais non: pas de ça. Y’a des jours où je me dis que l’oncle Picsou serait fier.