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L’Université : marche ou grève
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par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Well, ça va pâââs ben, comme on dit par che-nous…
Comme vous le savez, les profs d’UNB ont mis a exécution leur mandat de grève et ont formé les lignes de piquetage à compter de 7h30 lundi (L’Acadie Nouvelle). L’Université a immédiatement suspendu les cours à tous ses campus (à l’exception de quelques cours en ligne). Remarquez, la situation se détériorait depuis des semaines et les négociations – vous me passerez le mot – entre l’AUNBT (association des profs) et UNB ne menaient nulle part.
En un mot : inévitable.
Le lendemain et le surlendemain, à Sackville, la MAFA (association des profs de Mount Allison) votait à 86% en faveur d’un mandat de grève, dans l’espoir de relancer les négociations avec l’Université, qui sont actuellement au point mort (L’Acadie Nouvelle).
Si pour l’AUNBT la question salariale a suffi à déclencher la grève, les demandes salariales de la MAFA, soit une augmentation de 5,5% répartie sur quatre ans, semble une question moins épineuse. À Mount Allison, l’enjeu majeur est plutôt la préservation de la liberté académique et la charge de travail des professeurs (Times and Transcript). En clair, on veut que l’administration sorte son nez des tâches d’enseignement et de recherche, et engage plus de profs afin de répondre à la croissance de la population étudiante. C’est une question de maintien de la qualité de l’enseignement.
Il y a donc plus d’espoir à Mount Allison qu’à UNB, clairement. La partie n’est pas gagnée pour autant, remarquez.
Devant l’immensité des demandes salariales de l’AUNBT (23% d’augmentation en 4 ans), la dernière contre-offre d’UNB (à 9,5%) établit que le recteur Eddie Campbell, d’une part, reconnaît l'injustice, mais d’autre part adopte la ligne dure. On pourrait même penser qu’il cache ses cartes, qu’il garde une arme secrète en réserve. Hé bien, tout doute est rapidement dissipé : dès la première journée de grève, le recteur fait appel au gouvernement pour qu’il légifère et force un retour au travail (Telegraph).
Campbell adoptait donc la ligne molle : ne rien faire pour régler son problème (et à près de 350 000$ par année (CBC), il aurait pourtant intérêt à démontrer sa valeur pour l’institution, on s’entend) puis laisser le tout entre les mains du gouvernement.
Mais comble de malheur pour le pauvre Eddie, Super-Dave et Carr-Boy ne voleront pas à sa rescousse : David Alward a confirmé jeudi dans les médias que le gouvernement n’interviendra pas dans ce conflit (CBC). Comme je le disais il y a quelques jours, une telle intervention aurait créé un précédent dangereux (à la Harper), et les divers syndicats d’UNB voyaient d’un très mauvais œil les méthodes de Campbell, qui a fait appel à une loi spéciale dans les vingt-quatre premières heures d’une grève légale.
Et croire que le gouvernement Alward allait se mettre la main dans ce nid de guêpes en pleine année électorale, franchement, était un pari fort mal éclairé. On est trop lois de s’entendre pour que les Bleus gagnent des points en intervenant. De plus, l’abstention du gouvernement cadre parfaitement avec le désengagnement dont il fait preuve envers l’éducation postsecondaire.
Pas de chance, Eddie!
Il va faire quoi, maintenant? A-t-il épuisé ses ressources stratégiques? Une chose est certaine, il est à souhaiter qu’une majorité d’étudiants ont écouté les conseils de leur président Ben Whitney et attendu la date-limite pour payer leurs droits de scolarité. Cela dit, UNB a repoussé indéfiniment cette date en attendant une résolution du conflit de travail (Brunswickan). Au moins l’administration démontre un minimum de bon sens. Cela doit-il nous signifier que le semestre est réellement en péril, et qu’une rupture des négociations est imminente? Sinon, pourquoi?
D’autres voix s’ajoutent au débat de jour en jour. Aujourd’hui, c’est l’association des payeurs de taxe du Canada (CTF) qui déclare que les demandes de l’AUNBT sont «déraisonnables». Le directeur de la section Atlantique de la CTF, Kevin Lacey, compare la dispute à UNB à une partie de poker où les deux joueurs misent de l’argent qui ne leur appartient pas, en l’occurrence l’argent des contribuables (CBC).
Je ne suis pas un fan de la CTF en temps normal, mais la métaphore de Lacey dépeint bien la situation : deux organismes qui se battent pour (leur vision respective de) l’avenir d’une institution, avec de l’argent qui, effectivement, ne leur appartient pas. Cependant, et c’est important de le dire, c’est bel et bien l’administration qui joue avec l’argent des contribuables, et si cet argent avait mieux été investi dans le maintien et l’amélioration de la qualité de l’enseignement à UNB, on en serait peut-être pas là aujourd’hui.
En revanche, la vision marchande de l’AUNBT, qui réclame un salaire comparable à celui des profs dans d’autres institutions de taille semblable, ne vaut guère mieux. Leur contribution se résume-t-elle donc à la valeur monétaire de leur service? Et se servir de la question salariale comme axe central des négociations avec l’Université, à mon point de vue, c’est garantir un échec. D’un point de vue médiatique, certes, l’attrait est là : toute le monde ne comprend pas ce qu’est la liberté académique; mais l’équité salariale, ça, c’est un concept sans équivoque. Mais on sait pertinemment que le N-B est dans le trou financièrement, et que des fonds supplémentaires ne sont – nous dit-on du moins – pas disponibles présentement. À mon avis, il y a certainement plus de terrain à gagner du côté des conditions de travail, qui sont à peine mentionnées dans cette avalanche de chiffres et de moyennes.
Et les moyennes, comme le mentionnait l’ineffable Yves Doucet dans sa plus récente chronique scientifique, «sont comme les bikinis : elles révèlent beaucoup mais cachent l’essentiel».
J’ai demandé plus tôt quel était le jeu du recteur, mais on peut également se demander quel jeu jouent les profs. Je doute que l’AUNBT rallie la population (les contribuables) à sa cause en demandant une moyenne salariale de 127 000$ au N-B, sur le bras des Néo-Brunswickois par-dessus le marché, qu’ils soient contribuables ou étudiants.
Toute cette histoire pousse(ra) l’administration et le corps professoral à faire sa lessive au grand jour, sur la place publique. Aucune trace de brakes ne sera épargnée. Car l’impression sous-jacente aux doléances de l’AUNBT, inscrite en filigrane dans le processus entier qui a débouché sur la grève, est celle d’un manque de respect venant de l’administration. À quel niveau, à quel moment et par quel moyen cela peut être résolu, par contre, aucune idée.
Leur 23% d’augmentation, ils ne l’auront pas. Le 9,5% de l’administration, ils ne le prendront pas. Le reste s’estompe devant la prépondérance des enjeux salariaux.
Assurément, rien dans ces vides querelles de pouvoir au monde du salaire à six chiffres n’est aussi estompé, présentement, que l’impact immédiat – et à plus long terme – qu’elles auront sur les étudiantes et étudiants.
Et c’est là le grand malheur : quelle université existe sans étudiants? Et pourtant, quelle université s’en préoccupe en pareille situation?