Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Il y a de cela quelques semaines, par un mercredi bien tranquille, un coup de tonnerre secouait notre petite province: les deux députés de la People’s Alliance of New Brunswick (PANB) rejoignaient les rangs du gouvernement progressiste-conservateur (PC).
Faut quand même pas sauter trop haut non plus, là. Y’étaient déjà accotés depuis un bout de temps, comme on dirait par chez nous.
Quand même, c’est le genre d’annonce qui se fait plus tard en temps normal - le vendredi aux alentours de 16h30 dans la plupart des cas; à l’heure où les téléphones sonnent dans le vide et les courriels restent sans réponse. Sortir ce genre de truc une fois que les gens ont la tête et les yeux ailleurs donne l’occasion d’apprendre son texte, en vue d’un lundi chargé.
Il y a plus que ça derrière le choix du moment, sans aucun doute. En ce qui concerne la décision ci-haut, annoncée le 30 mars pour entrer en vigueur le 31, présumons que la crainte était bien réelle que ça passe pour un poisson d’avril de mauvais goût.
Peut-être fallait-il agir vite pour couper l’herbe sous le pied à une résistance interne, aussi: non seulement le chef du PANB quittait son poste, il annonçait la dissolution de son parti. Et à quelques semaines des élections partielles dans la région de Miramichi, où ses appuis sont parmi les plus forts dans la province, il fallait s’attendre à un certain désaccord.
Dissoudre le parti semblait en donner plus que le client n’en demande. Le PANB n’a pas l’habitude de contredire le PC, du moins pas sur des enjeux majeurs. Leur degré de retenue à critiquer le bilinguisme officiel est souvent tout ce qui les distingue. J’imagine quand même qu’à droite de l’échiquier politique, il y en a pour qui Austin est trop, et Higgs pas assez. Leur enlever une option en période électorale aurait pu jouer en faveur du PC.
Quant à Kris Austin, peut-être voyait-il son parti suivre la même trajectoire que celle du CoR? Ce précurseur du PANB fut un feu de paille politique dans les règles de l’art, avec 8 députés élus en 1991 - ce qui en faisait l’opposition officielle à sa première année d’existence, avant de perdre tous ses sièges en 1995, pour enfin récolter 0,7% du vote populaire en 1999, à sa dernière présence sur le bulletin de vote. Le PANB n’est pas monté si haut (et tant mieux); mais rien ne l’empêche de tomber aussi bas.
On peut y voir le propre des partis à un seul enjeu - peu importe comment le PANB fait son propre inventaire. Alors s’il faut deviner le raisonnement d’Austin pour mettre la clé dans la porte et brûler la bâtisse en partant, on pourrait chercher longtemps. Le premier ministre affirme qu’il ne lui a pas promis une place dans son Cabinet, et Austin ajoute que la dissolution du parti n’était pas une condition imposée par le Premier ministre.
Les transfuges du PANB ne changeront pas leur position sur le bilinguisme officiel, pour ceux qui croyaient à une épiphanie. Comme s’il fallait le prouver, Austin suggère déjà à son parti d’accueil de mettre fin à la dualité en Santé. Oui, encore. Le Premier ministre a vite rejeté l’idée, en affirmant qu’il « mise plutôt sur une meilleure collaboration entre les deux entités ». L’intention semble bonne - mais sa réponse n’inspire pas exactement confiance.
Désolé, mais la position de Higgs sur le bilinguisme officiel n’est pas assez éloignée de celle du PANB pour que leur union favorise « un équilibre » qui saurait « réduire les tensions linguistiques », comme il dit. Toute notion d’équilibre présume une valeur égale aux besoins des parties, prémisse rarement évidente dans les “débats” sur les droits des francophones.
Alors, qu’importe les raisons derrière leur décision respective, si l’idée était de redevenir le seul stop à droite, c’était sans compter que le PANB ne se laisserait pas dissoudre. Le 31 mai, l’ex-député Rick Desaulniers est nommé chef du PANB, et le parti présente un candidat dans chacune des circonscriptions en jeu à l’élection partielle. Poin poin.
N’allons pas dire que ce soit une défaite pour autant, même si Higgs avait sûrement autre chose en tête. Puis, dans les faits, Higgs a quand même gagné deux sièges de plus jusqu’à la prochaine élection, ce qui pourrait l’aider en cas de… dissensions internes? Mettons qu’il voudrait tenir - on jase, là - un vote pour lever le moratoire sur la fracturation hydraulique: il faudrait quasiment laisser ses députés libres de voter pour bien montrer « l’acceptabilité sociale » de la décision. Plus t’en auras, meilleures seront tes chances. On joue les chiffres.
Au-delà des conséquences immédiates, la prochaine élection générale s’annonçait déjà difficile pour le PANB, une fois que le sort de la LLO sera fixé pour un autre 10 ans. Ironie du sort, le statu quo serait vu comme un recul par la minorité francophone ET la minorité anglophone qui s’oppose à l’égalité des droits linguistiques, tout à la fois.
Les misérables résultats du PANB “rénové” à l’élection partielle parlent fort en ce sens.
Parlons-en de la LLO, tiens: Higgs est toujours muet sur le rapport de révision de la LLO déposé à la mi-décembre. Il a seulement déclaré que son plan serait dévoilé en juin, en ajoutant ne pas prévoir un vote au printemps. Mais nous v’là-ti-pas en juin et Monsieur repousse encore l’échéance, rapport qu’on manquerait de temps.
Sauf que le temps, ça se gère. Si tu peux déblatérer ad nauseam sur les inégalités dans le système d’immersion française - qui ne relève pas de la Loi sur les langues officielles - ou d’un complot Libéral pour augmenter le coût de la vie, mais que tu manques de temps pour débattre de la LLO, vient pas blâmer le calendrier parce que t’es retard, champion.
Ça renforce l’impression que son principal souci était l’élection partielle. Il reste encore des jours en juin après l’élection, et la pause parlementaire fournit une bonne excuse pour esquiver les questions sur la LLO. Ce sont là deux épines enlevées du pied de qui espère convaincre au moins une partie de l’électorat mauve de revenir au bleu.
Bon, sans dire que parler de droits linguistiques pendant la campagne électorale aurait nui au PC (et les résultats nous disent que non), les choix du Premier ministre portent à croire que c’est un risque qu’il cherchait à éviter. Ça nous envoie le message que gagner deux sièges dont il n’a pas besoin pour rester au pouvoir importe plus à ses yeux que de réaffirmer les droits - et l’égalité - de la minorité francophone. S’il faut y voir autre chose qu’un reflet de sa relation compliquée avec le bilinguisme officiel, c’est au minimum un signe qu’il est conscient de l’importance de ne pas froisser une partie de l’électorat dont l’appui dépend de son inaction sur les langues officielles.
Malgré tout, même si le prix du gaz a pesé plus lourd que la LLO chez l’électorat, le vainqueur du côté du PC dans Baie-de-Miramichi-Néguac, Réjean Savoie, considère qu’il sera « une voix forte pour toute [sa] région, peu importe la langue ». Considérant qu’il serait le deuxième francophone dans le gouvernement Higgs (et le seul au nord de la ligne de la Miramichi), il aura beau parler fort - les chiffres ne sont pas de son côté, tristement.
Le volume n’est qu’une partie de l’équation: cette « voix forte » sera-t-elle écoutée?
On s’entend que le Commissariat aux Langues officielles a « déçu » comme réglage par défaut (ça vient avec le métier); le 10 juin, la Commissaire Maclean a crinqué son piton jusqu’à « grandement désappointée ». L’inaction prolongée du Premier ministre dans la révision de la LLO en est la cause. Higgs répond qu’il a promis une réponse en juin, et que juin n’est pas fini. Ça vous donne une idée de sa position - et de l’état des relations.
Le moment choisi par la commissaire, dont la déception n’a rien d’inattendu, n’est pas anodin: le jour marquait la fin de la session parlementaire et, par la force des choses, le report de toute forme de débat ou de vote sur la LLO à l’automne prochain… au plus tôt. Et on devine facilement que ce ne sera pas le premier item à l’agenda au retour.
Ne vous en déplaise, Monsieur n’est pas en retard. Il est exactement là où il veut, et quand il veut. Il est libre de son temps, car rien ne l’oblige à passer au vote sur la LLO plus vite qu’il ne le fait: seule la révision avait une date d’échéance, qui fut respectée. Dès le départ, Higgs a dit qu’il fera les choses « comme nous devons le faire »: libre à vous de deviner le fond de sa pensée. Avouez que ce serait baveux de proposer l’ajout d’un délai sur le vote de la prochaine révision, si et quand son plan sera connu. Le processus a déjà le dos large.
Dernier nid de guêpes à pigouiller avant de partir: la révision de la carte électorale.
En bref, un comité parlementaire doit évaluer chaque 10 ans les limites des circonscriptions et les réviser, au besoin, en fonction de la démographie. La communauté francophone envisage le tout avec une certaine appréhension en raison des reculs subis en 2014, entre autres, mais rien qui cloche côté processus. Le comité doit être formé en août au plus tard.
Le ding dong n’était pas loin, bien sûr: les délais sont respectés, mais le processus de nomination prévu par la loi n’a pas été respecté. Les membres ont été choisis par le bureau du Premier ministre - à partir des suggestions des partis. Les libéraux n’y voient rien de mal, parce que « c’est la tradition » de procéder ainsi. Les Verts ont soumis leurs suggestions au comité prévu par la Loi, et donc ignorées (ou rejetées) par Higgs & Co: semblerait-il qu’il faut jouer le jeu ou quitter le terrain, et que les Verts ont fait leur choix.
Toute cette mascarade se déroule en période d’incertitude, car on ignore toujours les plans d’avenir de Blaine Higgs, qui souffle le chaud et le froid quant à son avenir comme chef du PC (il dit tout et rien en même temps, fidèle à son habitude).
Quoi qu’il advienne, la vigilance est de mise - la route vers l’égalité réelle pour les francophones du N.-B. reste semée d’embûches et de trous de… mémoire.