Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets


Une des grandes anomalies du dernier discours du budget, c’est l’absence complète du secteur postsecondaire.
Et quand je dis complète, ce n’est pas de l’exagération: on n’y est nulle part.
En toute candeur, on a déjà entendu des discours où les universités avaient une place de choix, mais dont les bonnes intentions ont vite plié bagage une fois le temps venu de livrer la marchandise. Ici, pas d’hypocrisie: juste du bon vieux néant.
Le jour avant le dépôt du budget, l’Université de Moncton dévoilait une entente de financement additionnel en science infirmière. Le but visé est d’augmenter le nombre d’inscriptions, le taux de rétention, et le nombre de diplômé.es en science infirmière.
Cette entente pourrait valoir jusqu’à 30 M$ (12 M$ à Moncton, le reste à UNB) sur 10 ans. La somme de 35 000$ par diplômé.e au-dessus du seuil de 126 sera versé à Moncton, jusqu’à un maximum de 160 (alors, 34 places). Du côté de UNB, les critères sont les mêmes, mais le seuil est plus élevé, à 155, pour un maximum de 206 (51 places).
Les défis ne sont pas les mêmes aux deux institutions: là où Moncton peine à remplir les places existantes, UNB accumule les noms sur sa liste d’attente. À première vue, ces fonds peuvent sembler plus faciles d’accès pour UNB, mais la chose n’est pas si simple.
Tout diplôme est l’aboutissement d’un programme d’études, et celui en science infirmière dure 4 ans. Mais, fidèle à son habitude, le gouvernement Higgs ne financera pas autre chose que des résultats. Sachant qu’on comptait 111 nouvelles inscriptions en science infirmière à Moncton l’automne dernier, et que 10% à 15% quittent le programme avant la deuxième année, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Mais bon, le gars trippe crédits d’impôt, aussi. Ça vient avec le personnage.
Suggestion, ici: si des candidat.es bilingues ne peuvent avoir de place à UNB, on pourrait les rediriger vers Moncton. Est-ce que ça fait partie de la réflexion? Je dis, vieil homme, bilinguisme et toute cette sorte de choses. Plutôt.
Une partie du calcul est probablement liée au recrutement et à la rétention, mais rien n’est moins sûr. À date, comme tout indique que la part du lion dépendra du nombre de diplômé.es, plusieurs doutes sont exprimés quant à l’impact réel de l’aide annoncée.
Et pour cause: un coup d'œil à la liste officielle des finissant.es à l’Université de Moncton suffit à voir combien les objectifs visés par l’entente peuvent tenir de la pensée magique: j’en compte 98 pour le baccalauréat en science infirmière en 2021-22.
Alors, avec 126 sièges (en principe) ouverts pour la cohorte qui se termine cette année, on serait déjà à -29 d’obtenir quoi que ce soit. Pour accéder au plein montant de 1,19 M$, ça descend à -62. Et ce problème n’est vraiment pas neuf - il n’y a aucune raison logique pour que ce soit une surprise; ni pour le gouvernement, ni pour l’Université.
Et si ce n’est pas une surprise, l’objectif n’a probablement jamais été d’y mettre des fonds. Comme le veut l’adage: « Qui ne risque rien, n’a rien ». Notez, s’il faut identifier qui de l’Université ou du gouvernement devrait s’exposer au risque, tout devient une question de perspective. Dès qu’on parle de difficultés financières dans nos universités publiques, ils semblent contents de se pointer l’un l’autre sans vraiment chercher de solutions.
La province demande plus de personnel infirmier et n’en reçoit pas assez; les universités demandent plus de fonds pour la formation, et n’en reçoivent pas assez. Beau mess.
Dans le cas de UNB comme le nôtre, ce sont surtout les frais associés à la supervision clinique qui vont gonfler la facture. Ajouter des places dans un cours théorique ou un laboratoire, ça peut se faire en changeant de local, en ajustant le contingentement; ajouter des places de stage, ça implique l’ajout de personnel enseignant en milieu clinique. Il y a une limite au nombre d’étudiant.es que chacun.e peut avoir sous sa responsabilité.
Alors si les moyens lui manquent déjà, l’Université de Moncton est censée faire quoi?
Premièrement, il faut recruter davantage. OK, mais n’oublions pas qu’une inscription cette année, c’est au mieux 90% de chances d’avoir un.e diplômé.e en science infirmière dans 4 ans. Pas super encourageant, quand les convaincre de s’inscrire au programme est déjà un défi.
Le recteur Prud’homme estime que l’Université devra se tourner vers la Francophonie internationale pour atteindre ses cibles. Ça va entraîner d’autres défis d’ordre financier, tant pour les étudiant.es que pour l’Université, car les inscriptions internationales ne sont pas incluses dans le calcul des subventions octroyées aux universités. Ça fera plus de monde, mais pas forcément plus de fonds.
Difficile d’espérer plus de Fredericton, car on ne peut garantir que les diplômé.es resteront au N.-B.; mais dès qu’il est question de créer une voie accélérée vers l’immigration, c’est un risque inévitable. La hausse précipitée du coût de la scolarité en est un autre.
Notre premier défi en matière d’immigration n’est pas l’attraction, mais la rétention - en 2017, 30% des nouveaux arrivants quittaient la province dans l’année suivant leur arrivée. Il faut comprendre que l’attachement au Nouveau-Brunswick n’est pas le même, à la base; il en découle que la décision de partir ou de rester dépend aussi d’autres facteurs. Le premier de ces facteurs reste l’emploi. Toute aide en ce sens fait pencher la balance en notre faveur. D’autres mesures, comme des avantages fiscaux pour les diplômé.es internationaux qui resteront ici, pourraient rendre la décision de rester après les études plus facile.
La Nouvelle-Écosse a l’air de l’avoir compris, si on regarde son programme Graduate to Opportunity. Celui-ci appuie la création de nouveaux emplois pour des diplômé.es internationaux, en finançant une partie de leur salaire pendant 2 ans.
Deuxièmement, il faudra retenir les étudiant.es qu’on recrute. OK, mais ça signifie la mise en place ou l’amélioration d’appuis offerts tout au long de leur parcours: il faudra aussi des dollars pour y parvenir. La rétention ne peut reposer uniquement sur la résilience étudiante. Les études postsecondaires sont déjà difficiles en partant, plus complexes encore quand on y ajoute les exigences et les défis propres à la profession infirmière. Alors chaque difficulté additionnelle réduit les chances de succès, qu’elle soit d’ordre académique, cognitif, financier, racial, physique, mental et j’en passe. Puis il faudra aussi répondre aux besoins du corps professoral en termes de soutien et de formation en appui à tout ceci.
Le nœud du problème reste donc le financement des places additionnelles. Si Moncton part déjà loin sous la cible minimale, c’est justement parce que son financement de base ne suffit pas à couvrir les coûts plus élevés de l’éducation en science infirmière. Ce coût supplémentaire était estimé à 12 000$ par étudiant.e en 2019, comparativement à la majorité des autres programmes. La “solution” facile ici serait d’augmenter les droits de scolarité en science infirmière (un peu comme UNB l’a fait en d’autres circonstances), mais cette avenue comporte aussi des risques évidents en termes d’accessibilité, qui vont jouer à la défaveur de l’Université de Moncton en compliquant un processus de recrutement déjà problématique. Sans compter que cette logique du coût différencié peut rapidement se répandre à l’ensemble des programmes offerts. Une fois n’est pas coutume.
En somme, le gouvernement Higgs force la main aux universités, qui doivent trouver les fonds pour créer des sièges le temps que la magie de l’éducation fasse son œuvre. En revanche, si on arrive à retenir ici les diplômé.es internationaux après les études (l’observation s’applique à l’Université de Moncton, car rien n’indique que UNB peinerait à combler ses sièges via son bassin de recrutement traditionnel), les gains seront les mêmes à long terme pour la province. Et ceux qui quittent avant, ou qui changent de programme, ne coûtent rien au gouvernement. Le risque n’est clairement pas égal de part et d’autre.
Alors, d’où viendra l’argent pour financer ces places, si le coût d’admission dépasse les moyens de l’Université de Moncton mais que, ô paradoxe, elle n’a pas le luxe de s’en passer?
La réponse, on s’en doute. Que dis-je: on la connaît.