Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Image: Anthony Doiron, agent de communication
Le conflit entre le gouvernement provincial (et au premier chef le premier ministre Higgs) et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP, ou CUPE en anglais) a pris ces derniers temps une tournure carrément ridicule.
En toute franchise, c’était déjà ridicule. Sauf que refuser des conditions de travail décentes aux personnes qui sont chargées de fournir la majorité des services à la population ne suffisait plus. Le gouvernement crée maintenant des campagnes de salissage pour convaincre le public de s’indigner des demandes syndicales. (NB Media CO-OP: https://nbmediacoop.org/2021/09/26/higgs-uses-public-money-to-attack-his-employees/) C’en est rendu insultant.
Il n’y a pourtant aucune raison de s’indigner pour une augmentation qui ramènerait les salaires à un niveau tout au plus correct. Si les chiffres semblent élevés, c’est qu’il y a énormément de rattrapage à faire - notre fonction publique a la triste distinction d’être la moins bien rémunérée au Canada. (Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1829702/scfp-vote-metiers-concierges-mandat-greve-nb)
Puis, indigné ou pas, le public n’a pas directement le pouvoir de décider. Ce pouvoir est délégué au gouvernement. Je suis prêt à parier que si l’électorat au grand complet lui disait de mieux payer les fonctionnaires, il ne changerait pas sa toune. Monsieur sait mieux.
En face, les travailleuses et travailleurs, sans contrat de travail depuis des mois sinon des années, confrontés à un gouvernement qui « négocie à reculons », ont toutes les raisons de s’indigner. Les actions récentes du gouvernement Higgs disent essentiellement que les surplus budgétaires sont plus importants que des conditions de travail et une rémunération acceptable - et que la qualité des services publics, il s’en fout un peu dans le fond.
700 millions de dollars en surplus ces quatre dernières années, dont 446,2 millions ces deux dernières années, (Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1831230/resultats-finances-budget-nouveau-brunswick) et quand même cette intransigeance sans bornes envers les gens qui livrent des services essentiels à la population… c’est insultant.
Le reste de la population aussi a raison de se sentir insulté. D’abord, parce qu’on tente bassement de l’instrumentaliser pour forcer l’issue des négociations, et ensuite parce qu’on le fait tout en sachant que l’impasse fragilise la qualité des services reçus - et la réduit inévitablement en cas de « succès ». Enfin, quand on répète sans cesse au public que ses besoins ne valent pas la peine d’investir davantage, parce qu’on veut éviter d’avoir à augmenter les impôts. On se demande qui ça peut aider.
Quand le gouvernement dépense lui-même des fonds publics (la publicité n’est gratuite nulle part, et sachant qui établit les tarifs...) dans l’espoir d’assurer le maintien d’un statu quo déjà inacceptable pour les travailleurs, alors qu’on engrange des surplus, comment peut-on y voir de la gestion financière responsable plutôt que du mépris? (Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1823362/scfp-vote-greve-nouveau-brunswick-plainte-higgs).
C’est doublement insultant. Surtout que ces satanés pubs, ÇA, on juge pertinent de les offrir dans les deux langues officielles.
Mais passons - le résultat des votes de grève tenus au cours du mois de septembre, dont le plus « mitigé » se chiffre à 83% et tous les autres passent la marque de 90% (SCFP: https://nb.scfp.ca/nouvelles/), illustre bien l’urgence de changer les choses.
Beaucoup sont des travailleurs essentiels, qui sont restés en poste tout au long de la pandémie sans contrat de travail. (GNB: http://142.139.25.88/CARS/CARSsearch/collectiveagreementsearch.aspx?lang_cd=2) Le syndicat des travailleurs hospitaliers, par exemple, a voté à 94% en faveur de la grève (Acadie Nouvelle: https://www.acadienouvelle.com/actualites/2021/09/29/les-syndiques-des-hopitaux-votent-pour-la-greve/). Peu après, le gouvernement Higgs a jugé le moment bien choisi pour accepter la reclassification de 1900 infirmières auxiliaires, autrefois rejetée, qui dès lors sont retirées du groupe en position de grève. (Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1830170/transfert-reclassement-infirmieres-auxiliaires-scfp-nouveau-brunswick)
En bout de ligne, les auxiliaires ont obtenu ce qu’elles revendiquent depuis longtemps. Le SCFP décèle néanmoins « la pire forme d’antisyndicalisme qui soit » dans ce geste qualifié de « représailles », en raison du moment choisi.
Bien que les enjeux et les demandes peuvent varier, plusieurs groupes ont atteint un point de rupture où un personnel insuffisant et surchargé a besoin d’une aide qui ne vient pas et qu’elle n’attend plus. Le gouvernement a refusé de revenir à la table, disant impossible de négocier avec un syndicat qui menace de déclencher la grève. Mais cette grève, le SCFP l’avait annoncée dès la fin mai, alors qu’il lança un ultimatum de 100 jours au gouvernement après des *années* à se faire niaiser dans ses négociations. (Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1796849/ultimatum-scfp-blaine-higgs-nouveau-brunswick)
En clair, personne ne VEUT faire la grève, mais c’est la seule option qui reste aux travailleurs s’il leur est permis d’espérer mieux.
Remplacer les départs à la retraite, notamment, s’avère plus difficile que jamais. Face à une charge en augmentation constante, le personnel se voit forcé d’ajouter des tâches, de faire des heures supplémentaires obligatoires, et ainsi de suite.
Pour changer les choses, et il le faut, c’est indispensable d’avoir des gens assis des deux côtés de la table de négociation. Autrement, comment trouver un compromis qui soit en mesure d’assurer le maintien des services et le bien-être des travailleuses et travailleurs qui en sont la pierre d’assise?
Or, quand il est à la table, le gouvernement négocie « à reculons » d’après le SCFP. D’importantes concessions sont exigées avant même de pouvoir parler salaires - position sur laquelle le gouvernement est resté inflexible dès le début. (SCFP: https://scfp.ca/higgs-insiste-sur-les-concessions-au-lieu-doffrir-des-salaires-equitables)
À la rupture des négociations, le gouvernement disait avoir fait preuve de « souplesse », un contrat de six ans avec 1,25% d’augmentation annuelle au départ, et 2% pour les deux dernières années. Alors de quoi maintenir le statu quo, sans plus. Higgs en est certainement conscient, car il offre « une augmentation salariale supplémentaire de 2,5 pour cent en échange de la fin de l’allocation de retraite », en assurant que « les employés ne perdraient pas leurs sommes accumulées jusqu’à maintenant» (GNB: https://www2.gnb.ca/content/gnb/fr/nouvelles/communique.2021.09.0620.html)
Lorsque le remplacement des départs à la retraite est déjà un défi, c’est assez clair que cet élan de « générosité » serait financé sur le dos des personnes nouvellement embauchées. Pour ceux qui sont près de la retraite, par ailleurs nombreux, Higgs pariait probablement que ce serait un boni de fin de carrière assez alléchant pour qu’il semble justifiable de sacrifier le bien-être de ceux qui viendront ensuite. Le résultat des votes de grève révèle le contraire, mais avec un cynisme sans fin, Higgs a ensuite cherché à soulever l’indignation du public.
Depuis le début de son mandat, le gouvernement actuel tente de convaincre le public que les syndicats en demandent trop, que ce serait injuste pour l’ensemble de la population de consentir à leurs demandes. En clair, qu’il ne voit aucun problème à laisser crever de faim celles et ceux qui prennent soin de cette même population dans ses moments les plus vulnérables. Triplement insultant.
Tout ça, dans les mots du premier ministre, « pour maintenir les salaires à un niveau qui ne nous force pas à faire augmenter les impôts ». Mais si la qualité des services publics diminue en conséquence - ce qui semble inévitable - pourquoi paie-t-on de l’impôt?
Je ne flirte pas avec l’impensable en suggérant que ce gouvernement verrait d’un bon œil la prise en charge d’une partie ou de la totalité de ces services essentiels par le secteur privé. On a déjà vu ce que ça peut donner avec Ambulance N.-B. On budgète X dollars, la compagnie fait X service: mais il n’y a pas cinquante façons d’étirer une piasse - et c’est souvent le personnel qui écope. Ça mine la motivation, ça favorise l’épuisement, et à terme, par la force des choses, ça réduit la qualité des services. Pensons aussi que la privatisation des services essentiels limiterait leur accessibilité pour la partie de la population qui paie peu ou pas d’impôt en raison d’un revenu insuffisant.
Soyons clairs que bien du monde serait content de recevoir une augmentation de 4$ de l’heure, comme le demandent les travailleurs de foyer de soins. (Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1827381/salaire-foyers-nb-ratio-employes-penurie) C’est le pari de Higgs, celui de la jalousie: mais bien peu seraient disposés à faire leur job.
Il faut pourtant que quelqu’un la fasse; au sens de quelqu’un d’autre, s’entend. Ce serait impensable que ces services-là ne soient plus fournis, ou réduits.
Mais bon, les ressources ne sont pas là aux dires du premier ministre, qui nous rappelle que « le Nouveau-Brunswick n’est pas immunisé contre les défis économiques entraînés par la pandémie ». (GNB: https://www2.gnb.ca/content/gnb/fr/nouvelles/communique.2021.09.0620.html)
Sauf que ces « défis » ne sont peut-être pas ceux qu’on suppose. En fait, le gouvernement Higgs s’en sort plutôt bien, beaucoup mieux qu’il ne le laisse croire à la population, lui qui annonçait il y a quelques jours que 2019-2020 ET 2020-2021 seraient deux années de surplus budgétaire. Pas du petit surplus, non plus: « probablement le surplus le plus important de l’histoire du Nouveau-Brunswick » - en pleine friggin’ pandémie! Ironiquement, ce surplus résulterait surtout de l’aide reçue du fédéral. Pourtant, on s’en souvient, Higgs était bien avare de fournir une aide quelconque à la population au plus fort de la crise, parce que dans sa vision des choses, un ventre creux et un compte dans le rouge, ça motive à travailler. (Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1831230/resultats-finances-budget-nouveau-brunswick)
Quadruplement insultant.
Enfin, en marge des travailleurs et des ménages de la province, de nombreux secteurs ont besoin d’investissements majeurs, à commencer par l’éducation postsecondaire.
Bien difficile en revanche de réclamer des fonds quand la situation est critique dans les soins de première ligne et les services essentiels à la population. Peu importe où on tourne le regard, un autre secteur est toujours en pire état que le nôtre, signifiant que revendiquer des investissements dans notre secteur, c’est aussi s’exposer aux critiques qui voient notre besoin comme moins urgent que celui des autres. Et d’autres encore, le leur.
Alors, tout le monde starve, et le gouvernement encaisse des surplus.
Quintuplement insultant.