Par Pierre Losier, directeur général et Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Image: Cédric Ayisa, agent de communication
Avant de repartir, un brin de contexte: un prof commet en toute impunité, pendant des décennies, des gestes interdits sous la Politique sur la violence à caractère sexuel (PVCS), se fait congédier après (beaucoup) trop longtemps, et le syndicat des professeurs porte la sanction en appel, parce que convention.
Dès lors, on peut oublier la PVCS et tout semblant de protection pour les victimes. Plusieurs sont contactées directement par les avocats de l’ABPPUM, qui les somment de leur transmettre la totalité de l’information en leur possession. Disons encore qu’il y a une enquête externe derrière la décision de congédier le prof, donc cette information est disponible, mais gardée confidentielle.
Mais que signifie « confidentiel », à l’Université de Moncton? On se le demande.
C’est très inquiétant d’apprendre que les victimes et les témoins dans cette affaire sont contactés directement par les avocats de l’ABPPUM. Comment ont-ils pu avoir accès à leurs noms et adresses, sans qu’elles y aient d’abord consenti? Puisque la PVCS établit que « la confidentialité [...] assure que les renseignements personnels recueillis lors du processus de signalement et/ou de plainte demeurent confidentiels » (UMoncton), il y a sérieusement matière à questionner les méthodes employées du côté de l’ABPPUM.
Cela dit, il y a plusieurs politiques au-dessus de la PVCS, dont la Politique de confidentialité de l’Université (UMoncton). Celle-ci définit l’information confidentielle comme: « tout renseignement concernant un individu identifiable, à l’exclusion du nom et du titre d’un employé d’une organisation et des adresses et numéro de téléphone de son lieu de travail. » (je souligne) Alors, en ce qui concerne les personnes étudiantes, ces infos-là seraient protégées.
Bien entendu, il y a des exceptions. L’Université doit avoir le consentement de toute personne avant de partager son information, sauf s’il y a raison de juger que demander ce consentement risque de rendre l’information indisponible, ou inexacte. Autrement dit: si on pense que la personne refusera de collaborer. L’information dont l’Université n’a plus besoin est « détruite, effacée ou dépersonnalisée», donc les personnes diplômées ne devraient pas avoir à craindre que leur information personnelle ne soit dévoilée. À plus forte raison que les plaintes fondées sur des professeurs sont effacées de leur dossier après deux ans. Alors, plus de victime, plus de plainte, plus de trace; et plus d’information confidentielle, on pourrait le croire.
Mais il y a toujours (au moins) deux parties responsables quand on parle de confidentialité. Entre le congédiement et l’appel subséquent, l’identité de plusieurs plaignantes fut révélée de façon volontaire, quand leurs réactions furent partagées par les médias. Ces personnes, sans surprise, étaient d’anciennes étudiantes sans lien immédiat à l’Université. L’info a pu venir d’ailleurs, dans leur cas. D’autres, en revanche, sont encore à l’Université.
Alors on aimerait comprendre.
À l’article 11 de la PVCS, intitulé Confidentialité, on peut lire: « Les noms des parties impliquées ne sont pas rendus publics par l’Université de Moncton. » On pardonnerait aux victimes de croire que leur identité ne sera pas dévoilée à la première personne qui le demande. Mais au-dessus de la Politique de confidentialité, il y a les conventions collectives, et au-dessus de celles-ci il y a encore les lois et règlements provinciaux et fédéraux.
Sans compter que les plaintes datant d’avant 2017 auraient été déposées sous une autre politique, avec des règles différentes. À l’époque, les documents écrits étaient aussi détruits après un délai de deux ans sans nouvelle plainte, et les « données anonymes » conservées « à des fins statistiques » n’incluaient ni le nom ni l’adresse des personnes plaignantes. (UMoncton)
La PVCS, si elle représente assurément un meilleur guide pour la communauté universitaire, peut néanmoins bien mal prétendre offrir davantage de protection aux victimes. Plus d’aide, oui - absolument; mais les protéger c’est une autre paire de manches. Défendre les victimes futures, encore pire.
Mais le pire du pire, après tout le stress et l’anxiété causé aux victimes et aux témoins, est qu’il semble maintenant que les deux parties aient conclu une entente à l’amiable. À nos yeux, c’est une nouvelle claque au visage des victimes. S’il est possible de s’entendre sans obliger les victimes à étaler à nouveau l’inventaire de leur douleur, devant le public, pourquoi ne pas commencer par là avant d’envoyer des lettres d’avocats à la pelle?
On en vient presque à se demander si l’objectif était de montrer que la PVCS - sinon l’ensemble des politiques universitaires - protège moins les victimes que la convention collective ne peut protéger l’agresseur. La seule limite deviendrait alors ce que le syndicat est prêt à défendre. Et on ne la cherche pas juste un peu ces temps-ci.
Comment croire que nos membres soient en sécurité sur le campus quand les professeures possèdent tout ce pouvoir? Quand le syndicat juge que c’est « correct » de contrevenir à la PVCS, que reste-t-il aux victimes pour se protéger? On peut les appuyer, les aider à cheminer dans la guérison, oui, mais est-il réaliste de croire que ces situations ne se reproduiront plus? Qu’est-ce qu’on peut faire, à part recoller les pots cassés à chaque fois? Quand pourra-t-on dire que les choses sont à la fois légales ET équitables?
Pour toutes ses vertus, avouons qu’il est difficile de mettre son sort entre les mains d’une politique qui peut aussi aisément être balayée de côté. La FÉÉCUM fut la première à louanger la PVCS pour le progrès qu’elle permet et l’espoir qu’elle représente - mais son premier vrai test s’achève sur un constat démoralisant. Elle reste, comme les autres, un banal bout de papier dès qu’elle pose un risque aux professeurs.
Heureusement - heureusement - dans la grande majorité des cas, la bonne volonté l’emporte et la communauté arrive à fonctionner dans le cadre qu’elle se donne et dans le respect des limites qu’elle juge nécessaires et acceptables à la bonne conduite de sa mission. Par contre, on nous le rappelle périodiquement, ce ne sont pas tous les membres de cette communauté qui ont le pouvoir de décider des limites de l’acceptable.
On peut encore espérer que des recommandations soient faites en réponses aux questions qui doivent absolument trouver réponse après la conclusion de ce sombre chapitre, et que ces recommandations soient mises en application avec l’intérêt des victimes en tête de liste.
Oui, espérons.
Sachant le coût émotionnel et psychologique de tout processus de plainte pour violence à caractère sexuel, on peut craindre que l’impact transformateur du travail (par ailleurs excellent) de l’intervenante en violence à caractère sexuel, et par extension de l’Ombud, soit fragilisé par les embûches procédurales qui truffent leur parcours. On en reviendrait bien vite à l’époque du « pas de plainte, pas de problème » à l’Université de Moncton.
Tant que l’ABPPUM pourra apporter en appel public les décisions prises suite à l’application de la PVCS, il est difficile de croire que les victimes sont protégées. Si c’est impossible de changer cette façon de faire, car la loi est la loi, mieux vaudrait retirer toute mention de confidentialité de cette politique car cette situation démontre que cette confidentialité dépend presque entièrement de l’ABPPUM. Il faudrait sans doute pour cela que le gouvernement mette en place des mesures qui garantissent le respect des victimes au sein du système judiciaire. Cela dit, l’histoire nous apprend que son intervention est bien peu probable.
Il y a d’autres pistes de solution, par exemple en s’assurant que toute nouvelle convention collective des employées et employés de l’Université indique sans équivoque que la PVCS doit, dans certaines circonstances, primer sur le contrat de travail - ne serait-ce qu’au nom de la confidentialité. J’invite les deux parties à y réfléchir en prévision de leurs prochaines négociations. Ou encore, un peu comme le Québec cherche à le faire, en créant un tribunal spécialisé pour la violence sexuelle et conjugale, axé sur la protection des personnes plaignantes, pour « faire en sorte que le système de justice ne constitue pas une épreuve pour la personne victime. » (Radio-Canada)
Car dans tout ça, les seules sans contrat ni droits garantis sur le campus, ce sont encore les personnes étudiantes. Et ce sont aussi les seules qui doivent payer pour courir le risque de subir de la violence sexuelle. C’est décourageant.
Pour terminer, soulignons la bravoure de l’ABPPUM, qui dans son empressement à prendre «toutes mesures susceptibles de sauvegarder et promouvoir les intérêts de ses membres», a jugé acceptable de le faire au détriment de toutes les victimes passées et futures. (Radio-Canada) Quant à savoir quels sont ces intérêts - ça c’est pas de nos affaires.
Également, félicitations d’avoir démontré que la PVCS n’est qu’un bout de papier au regard des conventions collectives, qui sont réellement rois et maîtres sur nos campus.
Il faut souhaiter courage à notre Université, « la plus humaine », si elle veut convaincre les personnes étudiantes qu’elle met tout en œuvre pour les protéger. Ses meilleurs efforts resteront des coups d’épée dans l’eau face à ce processus clairement libre d’oublier l’impact humain en se réfugiant dans la technicalité.
Bravo, enfin, à ce système qui renforce les puissants avant d’épauler les vulnérables.
Si rien ne change, ce n’est pas la PVCS que la FÉÉCUM devrait promouvoir auprès de ses membres; c’est la convention collective de l’ABPPUM.
Peut-être que ça, ça saura les protéger.