Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Avec la fin de semestre à tout point atypique que l’on vient de connaître, nous voilà arrivés à l’heure des bilans. On a fini par passer en travers, mais pour plusieurs c’est à peu près là que les éloges s’arrêtent.
N’oublions pas que les cours à distance, ça peut aller quand on raboute une solution à la va-vite pour gérer un crise inattendue à la fin d’un semestre, sans donner de choix, mais que ça pourrait s’avérer insuffisant quand c’est ce qui est proposé au moment de s’inscrire. À en juger par les critiques entendues après seulement deux semaines de ce régime (il est vrai: sans grande préparation et en prenant pour acquis que ce serait une solution temporaire), on nous pardonnera de croire que bien des étudiant.e.s seront difficiles à convaincre cet automne.
Règle générale, deux choix s’offrent à nous quand il est question d’éducation: répondre à nos besoins, ou offrir une expérience qui suppose une quelconque valeur ajoutée. Que cette valeur soit réelle et manifeste, ou complètement imaginée importe d’ailleurs peu. En fait, même ceux qui disent répondre aux besoins vous diront qu’ils y répondent mieux que les autres. Parlez-en à votre voisin la prochaine fois qu’il sortira sa nouvelle tondeuse, s’il faut vous en convaincre.
Puis, en éducation comme en toute chose, le public associe généralement le coût et la qualité; plus cher = plus meilleur, quoi. (FÉÉCUM)
On peut être d’accord ou pas, mais difficile de s’en surprendre. Nous vivons après tout dans une société de consommation, où nous sommes encouragés comme consommateurs à comparer la gamme d’options qui s’offrent à nous, pour choisir celle qui nous convient - suivant nos propres critères. Quasiment comme si on cherchait à nous donner l’illusion que nous sommes en contrôle; achète ce que tu veux… tant que tu achètes.
Je divague, mais vue sous cette lentille, l’éducation devient ni plus ni moins qu’une marchandise. On a beau se battre contre l’aberration que constitue la phrase précédente, demander de penser autrement cause un conflit cognitif quand il est question d’établir et de comparer sa valeur. Au prix exigé pour accéder aux études postsecondaires, on peut pardonner à bien des gens - la majorité sans doute - d’y songer comme un bien de consommation. N’allons pas jusqu’à dire qu’on s’achète un diplôme, mais quasiment.
Et puis, même en dénonçant le problème du coût des études et de leur accessibilité, on tombe dans le panneau de la marchandisation.
Entre vous et moi, on a parfois l’impression de se donner un élan suffisant pour avancer sur la question de la valeur intrinsèque de l’éducation pour l’individu et pour la société; mais le hamster dans sa roue pense la même chose.
Comme pour toute chose qui s’achète de nos jours, une fois le besoin créé et le lien établi entre la somme demandée et le résultat promis (i.e. une carrière, un salaire au-dessus de la moyenne, l’appartenance à un club sélect, etc), la valeur devient une fonction du coût déboursé. Le diplôme à 40 000$ et celui à 160 000$ ont essentiellement la même valeur, même si le deuxième laisse supposer un parcours différent vers les sommets espérés. Soyons réalistes: si le diplôme à 160 000$ est une option viable, le plancher des vaches est peut-être plus éloigné que le sommet en partant. Bref: avoir de l’argent peut faciliter le parcours.
La recherche dans le domaine pointe certainement en ce sens: le lien est démontré entre le niveau de scolarité des parents et le taux d’obtention du diplôme chez leurs enfants, (Statistique Canada) et il devient clair que l’épargne-études (les REEE) favorise aussi les familles des quintiles supérieurs, menant à une plus grande participation chez les jeunes de ce groupe. (Statistique Canada) Alors, sans établir de causalité entre le statut économique et le niveau d’éducation, la corrélation est un peu difficile à balayer sous le tapis. C’est comme un cercle vicieux qui se touche tout seul.
Malgré tout ceci, à la base tout diplôme - le diplôme en soi - émis par une institution accréditée aura essentiellement la même valeur intrinsèque que celui émis par une autre. Ça demeure une partie du forfait; et peut-être pas celle qui justifie les zéros ajoutés à la facture. Je verrais difficilement quelqu’un récupérer le coût de ses études en vendant son diplôme, disons: il ne vaut essentiellement rien détaché de la personne qui l’a mérité.
Parlant de valeur, un sondage récent révèle que près d’un tiers des étudiant.es songent à ne pas s’inscrire cet automne, si les cours sont livrés à distance. (Eduvation)
Si les droits de scolarité augmentent encore l’année prochaine - rien n’a encore été annoncé à cet effet à Moncton, mais ça ne saurait attendre - bien des gens vont questionner la valeur obtenue pour le prix exigé. (CBC) Déjà, UNB a adopté une hausse de 2% en moyenne (UNB), soit le maximum permis par l’entente de financement qui arrive à échéance en 2021. (GNB)
Plus que tout si l’expérience et la vie étudiante sont retirées de l’offre: sans pouvoir être sur le campus, comment justifier le coût sur l’étiquette? La réponse à cette question dépend entièrement de la valeur perçue de l’apprentissage et de l’évaluation à distance. Je ne veux froisser personne, mais l’apprentissage peut très bien être la partie la moins attrayante des études universitaires.
Et puis, si je ne peux pas aller sur le campus, mais que rien ne m’empêche d’aller souper au restaurant ou de me rendre au gym, la question ne se pose plus de la même façon, hein?
Quand l’Université de Moncton elle-même met de l’avant l’expérience étudiante dans ses campagnes de recrutement et de financement, que reste-t-il si cette expérience disparaît? Bien que la majorité des universités se répandent en promesses d’une vie académique engageante et d’une vie étudiante riche même à distance, le réveil pourrait s’avérer brutal. Par ailleurs, personne ne sait à quoi ressemblera cette supposée vie étudiante - si elle s’avère possible. C’est vendre un cochon dans une poche, comme dirait mémère.
Pour bien des gens, ailleurs et ici, l’offre à distance peut non seulement sembler moins alléchante, mais encore moins accessible que les cours en présentiel - il suffit de penser à l’accès aux technologies nécessaires, et à leur fiabilité là où elles sont accessibles. Certaines juridictions risquent d’être plus problématiques que d’autres, par exemple en Chine où l’accès au web fait l’objet d’un contrôle strict de la part des autorités, et où l’éducation à distance connaît déjà des ratés liés à la censure d’État. (Inside Higher Ed) Même si ce genre d’obstacle ne cause pas d’interférence, la simple réalité de tenir des cours à horaire fixe (comme le propose Mount Allison pour au moins une partie de ses cours) se frappe à la dure réalité des fuseaux horaires. Enfin, comme il semble clair que certains programmes devront absolument être livrés au moins en partie sur les campus - ceux avec une composante en laboratoire, par exemple, ou un aspect pratique - l’impossibilité de se déplacer pourrait aisément signifier l’interruption forcée des études.
Comme une tempête de neige ne vient jamais sans la charrue qui bloque ta cour (deux fois), le spectre des coupures budgétaires suit de près ces inquiétudes sur les inscriptions. Une mise à jour récente du gouvernement provincial permet d’estimer que la réponse à la COVID-19 a coûté environ 400 M$ jusqu’ici. Des estimés produits au même moment par la Banque Scotia avançaient un bilan beaucoup plus lourd, passant le cap du milliard de dollars. (Acadie Nouvelle) Le gouvernement Higgs a déjà annoncé qu’il ne procédera pas aux réductions d’impôt qu’il avait promises aux entreprises et aux propriétaires de chalets et d’immeubles à logements (Acadie Nouvelle) en raison des dépenses liées à la pandémie, ce qui nous donne une idée de sa disposition envers les dépenses au cours des prochains mois. Pour qu’un gouvernement conservateur renonce à des crédits d’impôt, faut qu’il fasse pas beau.
Ceci dit, une augmentation de 2,4% dans les subventions aux universités - assortie de coupures de 5,4 M$ dans l’aide aux étudiants, par contre - doit en principe aider ces dernières à faire face à l’augmentation des dépenses. (FÉÉCUM) Sauf que, même si l’enveloppe augmente, les fonds sont octroyés aux institutions en fonction des inscriptions. (FÉÉCUM) Ça... pourrait causer des problèmes.
Tout indique que les nouvelles inscriptions vont diminuer de façon plus marquée (50% à 60% des étudiant.e.s internationaux, et 25% à 50% des étudiant.e.s domestiques songent à ne pas s’inscrire cet automne), mais l’impact sera aussi présent du côté des étudiant.e.s déjà inscrit.e.s (30% à 40% des étudiant.e.s internationaux et 20% à 40% des étudiant.e.s domestiques), ce qui laisse entrevoir un avenir plus que sombre sur le plan financier. (Eduvation) De plus, les estimés “prudents” prédisent qu’il faudra cinq ans pour que la mobilité internationale revienne à la normale après la pandémie. (Eduvation)
Donc même en appliquant le “meilleur” des scénarios, L’Université de Moncton doit s’attendre au pire. En appliquant les prévisions citées plus haut aux chiffres de 2017-2018 (UMoncton), la part des revenus de scolarité qui peut s’évanouir se situe quelque part entre le quart et la moitié. S’il faut trouver de quoi se rassurer, disons quand même que les prédictions avancées sont fondées avant tout sur des données américaines, bien qu’une part des chiffres recueillis relèvent de sources canadiennes. Bien qu’un seul sondage ait ciblé les étudiant.e.s potentiels au Canada, 65% des répondants ont signifié leur réticence pour l’éducation à distance, et 43% ont affirmé soit qu’ils songeaient (36%) ou vont (7%) reporter le début de leurs études. Chez les étudiant.e.s déjà inscrits dans un programme à une université canadienne, les intentions étaient essentiellement les mêmes, avec 8% disant être décidés à prendre une pause d’un semestre, et 35% disant y songer. Précisons qu’on parle seulement ici du premier cycle.
Alors, jusqu’à 43% des inscriptions pourraient disparaître cet automne, ce qui laisse entrevoir une situation critique dans les finances universitaires, face à laquelle les solutions sont limitées. Une vague de mises à pied serait dure sur le prestige; personne n’est confiant à l’idée de louer une maison en feu. C’est sans compter que l’attrait de l’université sera déjà fortement réduit si on en retranche l’expérience étudiante, pratiquement impossible à reproduire à distance. Enfin, malgré quelques timides protestations face à l’augmentation constante des droits de scolarité, les inscriptions un peu partout au pays comme dans le monde continuent de grimper - lançant le message que le prix est plus ou moins problématique, vraiment. Les bottines vont à contresens des babines, si vous voulez.
Ce sont toutes des choses auxquelles il faudra songer - et ça se justifie dans les circonstances - si vous pensiez pouvoir étudier en spécial.
AJOUT : L’Université de Moncton a lancé une page d’information sur la rentrée 2020 sur son site web le 4 juin, que nous vous invitons à consulter pour en savoir plus long sur les modalités de votre programme d’études : https://www.umoncton.ca/umcm-etudiants/rentree2020
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
Notre blogue
Étudier en spécial
- Détails