Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Le gouvernement minoritaire de Blaine Higgs, en poste depuis maintenant deux ans, a déposé son 3e budget au début mars. Plusieurs croyaient - non sans raison - que ce moment marquerait sa fin. En principe, s’il devait tomber, c’est là que ça devait se passer.
Sauf que, confrontés à la menace de la COVID-19, les députés provinciaux ont résolu de devancer le vote sur le budget. En bout de ligne il fut adopté par une voix, une semaine avant la date prévue au départ.
À ne pas s’y méprendre, Higgs reste fragilisé par la défection de Robert Gauvin, qui ramène libéraux et conservateurs sur un pied d’égalité à la législature. Avec le chef libéral Kevin Vickers qui souhaite faire tomber le gouvernement « aussi tôt que possible », (Acadie Nouvelle) en rappelant le président d’assemblée, Daniel Guitard, dans les rangs des libéraux « si nécessaire », (Radio-Canada) c’est évident que l’avenir est truffé d’incertitudes.
Aidé par un contexte où des actions déstabilisantes auraient sans doute été perçues comme allant à l’encontre du bien de la population (Acadie Nouvelle), le gouvernement s’est tiré du pétrin pour cette fois.
Le chef du Parti vert fut le seul de l’opposition à voter en faveur du budget. Techniquement - *techniquement* - l’Alliance est dans l’opposition, mais soyons sérieux: pas vraiment. Évidemment, ils ont voté avec Higgs. Le résultat fut donc de 24 votes en faveur du budget, et 23 abstentions. Personne n’a voté contre dans les circonstances.
Par ailleurs, le chef du Parti vert disait dès le lendemain du vote que « les détails du budget sont devenus désuets » en raison de l’urgence de débloquer des fonds pour gérer la pandémie. (Radio-Canada). Urgence moins ressentie par Higgs sans doute, qui veut d’abord “analyser” l’aide reçue du fédéral avant de débloquer des fonds. Parce que contrer la pandémie, d’accord; mais en protégeant le surplus autant que possible, quand même. (Acadie Nouvelle)
Un fonds d’urgence pour limiter l’impact de la COVID-19 brille par son absence dans le budget déposé le 10 mars. Questionné à ce sujet le 13 mars en Chambre, Higgs répondit que ce genre de situation inattendue justifie la nécessité d’un surplus.
Je suis tout sauf un champion de la fiscalité, mais qu’est-ce qui empêchait de prévoir un fonds d’urgence, puis de conduire son analyse avant d’y puiser? Dès le 11 mars, c’était la pandémie; alors que la COVID-19 soit imprévisible, je veux bien, mais inattendue non. (Gouvernement du Canada)
L’adoption de ce budget « déjà désuet » est donc tout sauf un vote de confiance pour le gouvernement. La réponse libérale au discours établit sans équivoque que la confiance envers le gouvernement - et surtout le premier ministre - est irrémédiablement rompue. On y dépeint surtout le fiasco de la réforme en santé comme une démonstration concrète de l’échec des tactiques de division du gouvernement Higgs. (GNB)
Mais si désuet soit-il, ce troisième budget du gouvernement Higgs n’en reste pas moins assez révélateur.
D’abord, il démontre sans ambiguïté que le gouvernement craint de tomber; l’ajout de fonds à l’aide sociale va entièrement contre la philosophie du premier ministre, qui parlait il y a quelques mois à peine de mettre au travail 10 000 assistés sociaux. (Radio-Canada) Et comment comptait-il y parvenir? En siphonnant des fonds au budget de l’aide sociale pour subventionner les employeurs. (Radio-Canada)
Pour qu’il passe en si peu de temps de l’étalage éhonté de ses fantasmes capitalistes, à annoncer fièrement l’injection de 5,4 M$ dans l’aide sociale, on s’entend-tu qu’il faut avoir eu la chienne en maudit?
Mais bon, ses plans pour remettre au travail les assistés sociaux pouvaient très bien être un nouveau test des limites de l’acceptable chez l’électorat. On pousse, on pousse et on pousse puis quand les cris se font entendre un peu trop fort, on recule à l’étape d’avant en se disant à l’écoute des inquiétudes de la population.
On l’a vu, et on le reverra.
Bref: COVID-19 ou pas, et peu importe les raisons derrière l’augmentation des montants d’aide sociale, il faut dire que ça se classe au rang des bonnes mesures. Et même si le montant annoncé est « nettement insuffisant » pour hisser les bénéficiaires d’aide sociale au-dessus du seuil de la pauvreté (Radio-Canada) certains étaient d’avis dès le départ qu’il serait difficile de voter contre. Surtout pour David Coon, qui réclame depuis longtemps des augmentations à l’aide sociale.
Mais il y a plus.
Par exemple, le ministre des Finances a laissé planer la menace d’une nouvelle hausse de la taxe sur le carburant pendant son discours, si le budget était rejeté. Si la chose n’est pas si évidente dans sa version écrite, il n’y avait pas de doutes sur ses intentions à l’oral:
« L’entrée en vigueur du plan est subordonnée à son adoption, par voie législative, et à l’octroi de la sanction royale avant le 1er avril 2020. » (p.21)
Ayant reçu l’approbation d’Ottawa en décembre dernier (Radio-Canada), le plan climatique du N-B bénéficiait déjà de l’appui de tous les partis; son adoption n’était vraiment qu’une formalité.
Alors, il fallait adopter le budget pour garantir une formalité. L’an dernier du moins, le vote sur le budget a été le premier item à l’agenda de la dernière journée de la session, juste avant la sanction royale des projets de loi. (GNB) En principe, si le gouvernement perd la confiance de l’Assemblée, il y a lieu de douter qu’un vote puisse être tenu par la suite
L’existence même de ce plan constitue une autre rupture importante pour Higgs, qui a fait campagne sur à peu près rien hormis le rejet de la taxe carbone du fédéral. (Radio-Canada) Très tôt après son élection, le N-B a rejoint les rangs d’autres provinces voulant contester cette taxe devant les tribunaux plutôt que de travailler à leur propre plan. Cette “solution” ne fut abandonnée qu’après la réélection du gouvernement Trudeau, où il devint clair pour Higgs que sa position était intenable. (CBC) La majorité du pays - et du N-B - avait voté pour une taxe carbone.
Mais de part et d’autre du clivage partisan, il s’avère que la crise aura délayé le vin de tout le monde. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 17 mars (GNB). Mais bon: circonstances exceptionnelles. Remarquez quand même que le budget a passé le premier, le 13 mars, ce qui donnait quatre jours de relâche pour stratégiser en cas de refus.
S’il faut une autre raison pour douter de la générosité du gouvernement Higgs, la voilà.
Et parlant de générosité; que dire de la place d’honneur accordée à Saint-Jean (mille pardons: Saint John) dans les plans du gouvernement? La ville est mentionnée pas moins de dix fois dans le discours du budget, (GNB) ce qui porte les maires du Nord à se demander quels appuis ils peuvent espérer, et le président de la SANB a déclarer qu’ « un surplus budgétaire pour le Nouveau-Brunswick, c’est un déficit total pour l’Acadie, parce qu’en fait le surplus se fait sur le dos des Acadiens et sur le dos du Nord. » (Radio-Canada)
Ajoutons seulement que le député libéral de Saint-Jean-Havre, Gerry Lowe, avait plus ou moins mis à l’enchère son vote sur le budget. (Radio-Canada) Rien pour alléger les doutes, encore une fois.
C’est encore sans parler des travailleurs des foyers de soins, toujours sans contrat de travail, qui voient 5 M$ réservés au transfert de certains patients des hôpitaux vers les foyers de soins dans le budget 2020, mais absolument rien pour les employé.e.s qui devront les prendre en charge. (Acadie Nouvelle)
Dire qu’il s’agit d’une demi-bonne idée serait exagéré, car à la fois les patients et les employés sont susceptibles d’en subir les conséquences.
Les universités ne figurent pas non plus au discours. Le financement doit augmenter de 2,4% (un peu plus que les 2% prévus par l’entente toujours en vigueur), mais l’aide financière est amputée de 5,4 M$. Là, on ne sait trop que dire, mais c’est pas youppi. (FÉÉCUM) Comme la formule de financement est présentement en cours d’évaluation par le ministère, on ne peut se dire ni étonnés, ni rassurés par ce silence sur le postsecondaire. (FÉÉCUM)
Enfin, Higgs changera-t-il sa façon de gouverner maintenant que son budget a été adopté? Dur d’y croire, tant plusieurs mesures annoncées au budget tranchent complètement avec l’attitude démontré jusqu’ici, dans les propos comme les décisions. (Acadie Nouvelle) D’ailleurs, tout indique que le vote était une finalité en soi, que le plan viendrait ensuite. C’est le grand défaut des gens axés sur les résultats que d’être incapables de se projeter plus loin que ce qui leur permettra de mesurer à quel point ils sont performants.
On peut douter des intentions, certainement, et se questionner à savoir quand et comment ces promesses, suffisantes ou non, deviendront une réalité. Et, malgré quelques mesures étonnantes, et surtout malgré la COVID-19, le budget demeure solidement campé à droite. (Acadie Nouvelle)
Tout devient alors une question de confiance. Et la “confiance” d’une moitié de l’Assemblée est clairement perdue pour le gouvernement Higgs, même si les priorités ont changé rapidement en l’espace de quelques semaines. Son prochain test sera le discours du Trône.
Qu’attendre d’un gouvernement qui doit être acculé à l’échec avant d’accepter le compromis? Que dis-je: de l’envisager.
Dur à dire, quand le budget nous livre un chèque en gris.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
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Un chèque en gris
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