Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Peut-être aurez-entendu que la dette étudiante moyenne au N-B a récemment été révisée à la hausse par Statistique Canada. En termes de dette de toutes les sources - prêts étudiants (i.e. gouvernement) et crédit personnel (i.e. banques) - les données les plus récentes nous donnent la somme de 40 000$ à l’obtention du baccalauréat.
Bon, y’a toujours des astérisques; d’abord ce ne sont pas tous les étudiant.es qui devront recourir aux prêts. La moyenne nationale se situe à 54% (pour un montant moyen de 28 000$), alors qu’au N-B elle est plutôt de 65%. Alors d’entrée de jeu, les étudiant.es du N-B (à vrai dire, de l’Atlantique en général) sont plus nombreux à devoir s’endetter pour étudier.
En fait, ils sont à la fois plus nombreux et plus endettés: le taux de dette importante (25 000$ et plus) est de 45% à l’échelle du pays, mais s’élève à 69% au N-B. (Statistique Canada)
Il faut dire que le N-B affiche aussi le 2e revenu médian des ménages après impôt le plus faible au pays, près de 10 000$ sous la moyenne nationale. (Statistique Canada) Ça y est forcément pour quelque chose dans nos ‘‘habitudes’’ d’emprunt.
Par ailleurs, la dette étudiante moyenne a augmenté de 40% entre 2000 et 2015 au N-B, contre 26% en moyenne au pays. L’inflation sur cette même période étant de 30% (Banque du Canada), on en déduit que certaines provinces font mieux les choses que d’autres.
Il y a un second astérisque, cette fois du côté du remboursement de cette dette plus fréquente et plus élevée. Ici en revanche, le rapport est inversé: au N-B, 26% sont libérés de leur dette cinq ans après le diplôme, alors qu’à l’échelle du pays cette proportion est plutôt de 34%. (Statistique Canada)
Et pourtant - certains se plaisent à nous le répéter - nos droits de scolarité sont ‘‘très compétitifs’’.
Un simple regard à vos factures mensuelles suffit pour constater que la dette étudiante ne se résume pas au coût de la scolarité; à vrai dire ce n’en est même pas l’élément principal. Règle générale, les droits de scolarité représentent environ un tiers du total, peut-être moins après déduction des montants d’aide financière de la facture.
Ceci dit, malgré l’aide disponible, une part importante des droits de scolarité reste financée par l’emprunt. Et tout emprunt engendre un coût, sous la forme d’intérêts:
Source: (Gouvernement du Canada)
Quand on pense à gérer ses finances, ça se fait habituellement en fonction du revenu mensuel à notre disposition. Comme vous pouvez le constater, moins on est en mesure de payer par mois, plus on devra être prêt à payer au total. Est-ce qu’étaler ses paiements sur 15 ans est la chose la plus responsable à faire, d’un point de vue financier? Absolument pas: payer en 5 ans réduirait la facture de 14 000$. Par contre, tout le monde n’a pas les moyens de consacrer 846$ par mois à sa dette étudiante.
Le fait est que les 29% de néo-brunswickois.e.s qui arrivent à rembourser leur dette d’étude en cinq ans se situent très probablement à gauche sur la courbe de la dette moyenne, c’est-à-dire parmi ceux qui doivent emprunter moins de 40 000$.
Pour résumer : les études coûtent cher, et leur coût ne se limite pas aux droits de scolarité. Ni à la seule période des études, d’ailleurs. Alors le problème du coût des études dépasse le prix affiché, qui n’est qu’un des symptômes d’une maladie infiniment plus complexe.
La FÉÉCUM milite pour l’accessibilité des études postsecondaires depuis des décennies; par contre, la définition de ce qui est accessible n’est pas la même pour la famille avec un revenu de 150 000$ et celle qui s’organise avec 50 000$, et le calcul peut s’avérer plus complexe encore quand on considère la question des déplacements, de l’alimentation et du logement. Si tu me dis que tout le monde a accès à de l’eau potable mais que le premier puits est à 300 km de chez moi et que je dois charrier l’eau à pied, ça a beau être accessible que je n’y ai pas accès au même degré que la personne qui vit juste à côté.
À titre d’information, le revenu médian des ménages au N-B, après impôt, était de 52 553$ aux dernières nouvelles. Seul le Québec affiche un revenu plus faible, sauf que si on regarde les droits de scolarité, c’est la nuit et le jour, (Statistique Canada) sans parler du filet social.
Alors - et on l’entendra encore - si la scolarité à l’Université de Moncton est effectivement moins coûteuse que dans les institutions anglophones (CESPM), il faut aussi penser que ça a un lien avec la situation financière de la minorité francophone du N-B, dans une perspective historique autant que contemporaine. Un financement spécial est octroyé à Moncton pour ces raisons, (Annexe I) qui devrait provenir d’ailleurs en cas contraire.
Devinez d’où?
Vous connaissez l’adage: quand on se compare, on se console… Ça a de quoi rassurer dans les moments difficiles, mais aussi dédramatiser les situations critiques et endormir les personnes en position d’agir. La nature humaine étant ce qu’elle est, il y aura toujours pire ailleurs. Désolé si je suis la personne qui vous l’apprend, mais ce baril-là n’a pas de fond. Réjouissant, j’en conviens.
La mesure de bien des solutions tient au rapport de chacun au problème soulevé: déjà, si son impact ne touche pas directement et/ou immédiatement, les chances de bouger s’amenuisent. Évidemment, difficile de s’indigner quand on reste libre de croire que les choix faits au cours d’une vie placent l’individu à l’abri des conséquences de telle ou telle crise, et d’autres carrément dans l’axe du viseur.
Mais posez-vous la question: à quel point ces choix sont-ils faits librement?
Songez par contre qu’il n’est pas donné à tout le monde d’avoir des options, et encore moins les mêmes que vous. Choisir, c’est souvent opter pour la moins pire de deux possibilités. Un jeu complexe de facteurs et de variables forme les particularités de chaque cas individuel.
Dans notre cas par exemple, on peut demander d’agir pour réduire le fardeau de la dette étudiante par l’entremise de l’aide financière ou de bourses, évidemment, mais il faut financer ces bourses. Pour le faire de manière durable, il faut aussi voir à réduire le coût à la source. Pour réduire le coût à la source, il faut que l’on ait les moyens d’investir. Pour avoir les moyens d’investir, il faut qu’on se sorte du bas du classement au niveau du revenu. Pour ce faire, il faut une relation basée sur la confiance entre les établissements et le gouvernement, car l’éducation est à la base du succès économique (certains inversent la formule, mais rares sont ceux qui ont quitté l’école en 6e année).
Ensuite, encore faut-il que ces personnes éduquées puissent trouver un emploi chez nous, et s’établir dans la province, peut-être y fonder une famille. Mais pour ça, il faut forcément appuyer les jeunes parents, aussi des professionnels, sans parler d’appuyer l’immigration…
Donc cette dette étudiante de 40 000$, oui elle pèse lourd, oui elle ralentit l’entrée dans la vie adulte, oui elle joue en bout de ligne contre les objectifs visés par le province en termes d’éducation postsecondaire, auf qu’elle dépend de facteurs qui débordent largement la décision de poursuivre des études, et dont l’origine précède de loin leur début.
Sans vouloir être simpliste, à regarder de trop près l’arbre, on manque la forêt.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
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L’arbre et la forêt
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