Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Je disais en terminant la dernière fois que, pour l’essentiel, tout en politique est une question de priorités, et un peu comme l’Histoire est une affaire de vainqueurs, les priorités sont une affaire de pouvoir. Un gouvernement (majoritaire *tousse*) peut juger avoir les coudées franches pour mettre en oeuvre son programme, en dépit du fait que la totalité de la population ne lui a pas accordé son vote. Il a un mandat suffisant pour établir les priorités, et le pouvoir d’établir à la fois les objectifs et les mesures.
Dans notre système actuel, environ 40% du vote peut donner la majorité. Ce qui vous laisse quand même en tout temps 60% de mécontents potentiels. En termes politiques, « un mandat clair ».
Cela dit, le gouvernement Higgs est minoritaire - en fait, un coup de vent peut le faire tomber à tout moment. (Radio-Canada) Alors il aurait peut-être intérêt à mettre la pédale douce sur ses priorités.
Au minimum, il serait bon de consulter AVANT de partir en peur avec les ciseaux.
À tout seigneur tout honneur, le gouvernement Higgs semble s’être rapidement positionné pour briser le cycle d’endettement de la province. Il faut le reconnaître. Ceci dit, l’objectif de remettre en état les finances publiques reste, à la base, la réduction du coût du service de la dette (i.e. l’intérêt payé sur la dette provinciale, qui se chiffrait à 677 M$ en mars dernier). Mais à quoi bon libérer ces fonds si ce n’est pour avoir les moyens d’améliorer l’appareil public, pour le bien, au nom de, et dans l’intérêt général de la population?
Tout au contraire, on semble décidé d’engranger des surplus en guise de manifestation concrète de notre « performance » comme province. D’un surplus de 23,1 M$ prévu au budget 2019, on était rendus à un surplus réel de 88,1 M$ à la fin du 2e trimestre, qui vient s’ajouter aux 67 M$ sortis de nulle part à la fin de l’exercice financier précédent. (Acadie Nouvelle) Cela dit, on doit plutôt s’attendre à l’égrénage d’un nouveau chapelet de compressions au dépôt du budget 2020-2021.
Et malgré sa situation précaire, Higgs insiste qu’il déposera ce budget, quitte à ce que ce soit son dernier geste comme premier ministre. Rien n’indique qu’il se berce d’illusions quant au vote de l’Assemblée sur le document. (Acadie Nouvelle)
Ces compressions ouvriront possiblement la voie à une nouvelle formule de (sous-) financement des universités, axée sur la performance. (Acadie Nouvelle). L’idée n’est pas neuve; elle circulait à Fredericton dès 2015 - raison de plus pour croire que ça pourrait se produire bientôt. (FÉÉCUM) Et si c’est bel et bien ce qui nous attend, parions que le but ne sera pas de donner davantage aux universités; on reviendra là-dessus d’ici le dépôt du budget.
Malgré son empressement à couper en santé, Higgs disait dans son dernier discours sur l’état de la province que la dette nette de la province sera réduite de 233 M$ à la fin du présent exercice financier. (GNB)
Si « le gouvernement Higgs s’apprête à imposer une vague de compressions budgétaires », la question qui se pose serait plutôt quand on va couper, pas quoi. (Acadie Nouvelle) On a vu récemment sa manière de procéder: Coupe, espère, recule, consulte, recommence. J’y décèle, comme bien d’autre j’en suis sûr, les traces indélébiles laissées par une vie passée dans le secteur corporatif.
C’est l’éternelle dialectique de la dépense et de l’investissement, quoi. Mille fois répétée, mille fois renversée, mille fois recommencée. Rince, savonne, répète. On la connaît également sous une autre forme, « besoins versus désirs». Cette dernière semble plus usitée par les temps qui courent car il ne faudrait surtout pas évoquer la possibilité d’investir. Ça donnerait de l’espoir, que voulez-vous, et l’espoir invite les demandes. Et si on commence à répondre aux demandes, adieu la performance!
Nous avons en poste à Fredericton un gouvernement qui se targue de fonder ses décisions sur les résultats. Voilà qui peut sembler rafraîchissant pour qui voit la province s’en aller à la valdrague depuis des décennies et se demande quand on fera enfin quelque chose pour redresser la situation. N’importe quoi, tant que ça ne les affecte pas directement; vous aurez compris. Ce genre de discours a possiblement plus d’attrait chez les gens d’un certain âge, qui voient le déclin de longue date, nombreux et fidèles aux urnes comme on le sait. Mais n’allez pas croire que le discours du gouvernement ait quoi que ce soit d’électoraliste.
On aura beau dire que les décisions « fondées sur les résultats » ne sont pas politiques, mais en politique, il n’y a rien qui ne soit pas, justement, politique. L’approche Higgs « des choix responsables » (qui dépeint forcément les propositions contraires comme irresponsables - tout sauf anodin) est d’abord sa marque. Car sans plan, sans mesure prévisible de ces « résultats », où on va? Et si on l’ignore, comment être responsables?
Et encore là, les résultats qui justifient les décisions sont ceux qu’on choisit de mesurer.
Le gouvernement nous a néanmoins partagé ses « priorités » sur un nouveau site promotionnel constituant, on le devine, une dépense responsable. (GNB) Soyons franc: c’est au mieux un vernis de façade, un simulacre de transparence qui nous avertit des dangers de dépenser sans avoir de plan… sans plan.
Je ne sais pas si ce sont ses années dans la brume de St-Jean qui le ratrappent, mais M. Higgs est rarement plus opaque que quand il essaie de faire preuve de transparence.
En bout de ligne, ce gouvernement peut, d’un côté de la bouche, déplorer qu’ « environ 25 pour cent de nos enfants vivent dans la pauvreté, et près de 34 pour cent des ménages du Nouveau-Brunswick ont un revenu si faible qu’ils ne peuvent pas payer d’impôts » (GNB) - venant des champions des crédits d’impôts comme mesure d’accessibilité au postsecondaire (FÉÉCUM), ça dit tout, hein? - et de l’autre côté, se féliciter de « l’enregistrement d’une croissance des recettes supérieures aux prévisions, recettes [qu’ils n’ont] pas dépensées. » (GNB)
Le langage est important: « dépensées », là; pas « réinvesties ».
Autrement dit: on a réalisé un surplus « inattendu » ET on reconnaît les besoins criants d’un tiers de la population (Statistique Canada), que dis-je: on les déplore - mais la dette passe en premier. Vraiment, ce serait une dépense inutile d’aider le tiers de la population dans le besoin. Évidemment, on gouverne pour les « payeurs de taxes » et les plus pauvres n’en paient pas, alors comment justifier l’amélioration de leurs conditions? Et ce, même si réinvestir ces millions inattendus ne poserait aucune menace au plan de réduction de la dette tel que présenté au budget. Parce que performance.
Car, plus vite on aura moins de dette, plus vite on pourra… on pourra quoi, à vrai dire?
Question d’être clair, le but n’est pas de dénoncer les surplus, mais l’absence d’une fin qui sache les justifier. Réduire la dette ne saurait être une fin en soi: il faut un objectif, plus que tout si on réalise ces surplus en coupant dans les fonds destinés à répondre aux besoins de la population de la province - incluant la partie trop pauvre pour payer des impôts.
Et même là, je réalise que les besoins ne sont pas tous égaux dans l’esprit des citoyens. Demeurons conscients que le fait de revendiquer pour le financement des universités et l’accessibilité des études, quand la menace de coupures est immédiate en santé, peut nous attirer son lot de critiques et accentuer la division. Rien n’est plus hasardeux que d’établir la formule du partage entre les affamés.
Le problème du côté des universités, c’est que ce n’est pas la majorité de la population qui y accède, soyons réalistes.
Il faudrait peut-être se demander à qui elle profite, cette division, en fin de compte. Et, quitte à devoir s’y limiter le temps que l’idée fasse son chemin, continuer de revendiquer.
Parce que où ça va s’arrêter si on accepte, dociles? La seule limite sera celle tracée par notre indignation. Il serait donc mal avisé de la ranger dans le placard au nom d’une vie sans vagues, troquée contre un apathie complice, dans un silence résigné où seul résonne l’écho du bruit des ciseaux.
Car on se plaît à nous le répéter: ce n’est qu’un début.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
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Ce n’est (encore) qu’un début
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