Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
La rentrée amène toujours son lot de changements pour les étudiant.e.s universitaires: nouvelle ville, nouveau programme, nouveaux profs, nouvel appart, nouvelles règles et nouvelles questions n’en sont que quelques-uns.
D’autres affectent plus qu’une personne, comme en Ontario, où le “gouvernement pour la population” a imposé la “Student Choice Initiative” (SCI) en mars 2019.
Pour nous rafraîchir la mémoire: la SCI, en plus d’imposer une diminution de 10% des droits de scolarité aux universités - diminution non-financée, d’ailleurs -, rend le paiement d’une partie des frais associés aux services étudiants optionnels. Sans exception, ces services relèvent des associations étudiantes.
Une formule “opt-out” (choisir d’être remboursé) devait être mise en place par les institutions en ce qui concerne les frais désignés «non-essentiels», en fonction des priorités de chacune. Des discussions avec des collègues ontariens nous ont appris que les relations avec l’administration universitaire ont pu peser dans le choix des frais dont le paiement devient optionnel, afin de protéger - ou non - les associations des répercussions de la SCI.
Mais peu importe l’état des relations, aucune institution n’a maintenu le statu quo: le gouvernement n’offrait pas l’option. Ceci dit, une contestation judiciaire a été lancée conjointement par l’association étudiante de l’Université York et la FCÉÉ-Ontario, questionnant l’autorité du gouvernement Ford à imposer des politiques dans les relations entre les universités et les associations étudiantes. (The Varsity) Entre temps, la SCI s’applique à l’ensemble des institutions.
Tout ça dans l’intention de «diminuer le coût des études.»
Et à première vue, ça peut paraître comme un bon « deal » pour l’étudiant.e moyen.ne: moins cher en scolarité, et un rabais sur la cotisation étudiante.
Sauf que certains frais sont désignés « essentiels » sous la SCI et doivent continuer d’être payés par les étudiant.e.s (Ontario) et comme de raison, ces derniers font rapidement grimper la facture:
- Sports et loisirs universitaires;
- Santé et counselling;
- Soutien académique;
- Aide financière;
- Sécurité.
Rien de bien cheap dans cette catégorie, dont la liste complète est détaillée sur le site du gouvernement (section 6. B.3) Les premiers calculs révèlent d’ailleurs, sans surprise, que les économies promises par la SCI n’étaient qu’un écran de fumée: de 60$ à 150$ sur un total de 2000$ en frais afférents. (CBC)
Non, son grand impact se ressent au niveau du financement des associations, plutôt que dans les poches des étudiant.e.s. De fait, la SCI semble spécifiquement conçue pour punir les associations étudiantes. (FÉÉCUM)
C’est que ces dernière agacent la droite conservatrice en Ontario et ailleurs, particulièrement en ce qui touche la liberté d’expression. Des figures controversées de la droite alternative ont vu des visites prévues sur les campus ontariens soit annulées à cause des protestations, ou perturbées par des contre-manifestations (Radio-Canada)
La liberté d’expression est évidemment un droit inaliénable au Canada (dont la limite se situe au seuil du discours haineux), sauf qu’il y a liberté d’expression et il y a provocation délibérée. Si l’objectif poursuivi est de créer des martyres pour rassembler les extrêmes, peut-on vraiment parler d’attaque sur la liberté d’expression? (FÉÉCUM)
Songez aussi que ces personnalités dont la rhétorique intolérante, sexiste, raciste ou suprémaciste divise les campus ont accès à plus d’une plateforme (incluant au moins un parti politique...) pour livrer à leur guise ces propos qui sèment la division et la haine, et ce sans répercussions. Ça en dit assez long sur la menace.
Sur ce, revenons-en à la SCI: le gouvernement a laissé une fenêtre assez large aux institutions pour placer la période obligatoire de deux semaines où le processus de retrait devait prendre place. Certaines universités, comme Ottawa, l’ont placée en septembre (CBC); d’autres, comme Laurier, l’ont placée en juillet (ULaurier). Il y a du bon et du mauvais dans les deux cas: comment valoriser un service étudiant en juillet? Comment recruter du personnel en septembre, en ignorant si le service sera financé? Enfin, dans chacun de ces cas, comment s’assurer que les étudiant.e.s sont attentifs, de un, et de deux, bien informés sur leurs choix?
L’une ou l’autre option semble bonne à une seule chose: semer la confusion.
Dans certains cas, les groupes étudiants ont saisi l’occasion de démontrer leur valeur aux étudiant.e.s. Les plus optimistes y voient l’opportunité de se faire connaître, d’informer davantage la communauté sur ce qu’ils font et pourquoi il est dans l’intérêt général d’y contribuer. (Ottawa Citizen)
C’est un choix. Tout revient à la question: « est-ce que l’intérêt des autres est moins important que le mien?» De plus en plus, les politiques publiques semblent développées pour cibler et plaire au «moi» plutôt que définir et améliorer le «nous». Triste chose.
Et d’autres choix difficiles suivront, pour les associations étudiantes. Elles sont d’abord conçues pour servir les intérêts (évidemment, multiples et diversifiés) de la population étudiante. Que cela se fasse en assurant une présence médiatique, le lobbying et la consultation sur le campus (et parfois au-dehors), le soutien nécessaire aux regroupements étudiants pour développer des initiatives et des activités, la défense des droits étudiants quand ces derniers sont brimés ou menacés, ou en fournissant des services demandés par la population étudiante et que l’institution n’est pas toujours disposée à offrir, elles transigent sans exception dans le «nous» avant le «moi».
La question de servir ou de ne pas servir ne se pose jamais vraiment: si la personne qui se présente devant nous est étudiante, en tant qu’association étudiante, évidemment que nous allons l’aider dans toute la mesure de ce qui est possible.
Mais là, on ne peut plus présupposer que la personne est membre… même si elle est étudiante: il faut choisir de payer les frais. Alors, qu’est-ce qu’on refuse à qui et comment on doit décider? Que les frais aient été payés ou pas, les attentes ne changeront probablement pas du côté des étudiant.e.s, qui peuvent très bien ne pas savoir que leur association est en charge de plusieurs services auxquels ils s’attendent de garder l’accès.
Prenons l’exemple du journal étudiant: on a beau refuser de payer le frais - qui va empêcher les gens qui n’auront pas payé de le lire, voire d’y contribuer (et n’oublions pas le cachet)?
À l’inverse, une infime minorité d’étudiant.e.s sont des athlètes universitaires - même la majorité peut très bien ne jamais se présenter à une partie des équipes du campus - mais le frais pour les sports universitaires (par ailleurs beaucoup plus élevé) n’est pas optionnel pour le gouvernement Ford. Rendu là, pourquoi payer pour un service d’aide financière si ma famille est assez aisée pour que je n’aie pas besoin emprunter pour mes études? Pourquoi payer pour un service de santé si je ne suis jamais malade? Pourquoi payer pour un service de sécurité si j’ai un garde du corps? Pourquoi déblayer les routes si je me déplace en hélicoptère? Dans le fond, si moi j’en veux pas, personne devrait en avoir.
Fausse logique que tout cela. Mais tel est l’attrait pervers du «gros bon sens».
Par ailleurs, combien d’ontariennes et d’ontariens, si le choix leur était offert, cesserait immédiatement de financer le salaire du premier ministre Ford? On a beau aimer ce qu’il dit (il y en a certainement pour le faire), rien ne garantit qu’on aime payer pour. C’est dans la nature même de gouverner: impossible de plaire à tout le monde tout le temps - le but étant de viser le bien du plus grand nombre. Et c’est aussi vrai pour les assos étudiantes.
Et les services étudiants c’est encore l’aspect plus concret de la chose; on peut exercer un certain contrôle au niveau de l’accès. La politique étudiante, c’est une autre paire de manches, qui compte pour une large part des services rendus pas les associations étudiantes. Pensons simplement aux comités universitaires: continue-t-on de défendre les intérêts de tout le monde en tant qu’étudiant.e? Et si oui, pourquoi?
Au nom de qui on (ne) parle (...pas?)
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.