Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Un nombre inhabituel d’interventions en provenance de l’Université de Moncton ont fait les manchettes ces derniers mois autour de la question de l’examen NCLEX. On a compilé un plein dossier là-dessus si ça vous intéresse. (FÉÉCUM) Disons d’abord qu’il fut rafraîchissant de voir l’Université réagir publiquement. Ça fait aussi du bien d’entendre un recteur parler, même si on sait qu’il est en poste de façon temporaire.
Hein, mon Raymond?
Malgré tout, depuis la rupture des négociations entre l’Association des infirmières et infirmiers du N-B (AIINB) et l’Université de Moncton, le dossier n’avance plus. L’Université a « claqué la porte » au processus de conciliation lancé par le gouvernement provincial à la fin janvier. L’AIINB a senti le besoin de préciser qu’elle s’était retirée des négociations dès le mois de décembre. (Acadie Nouvelle)
Faut croire qu’on les a pas souvent assises à la même table. Ça peut ben traîner.
Mais bref, depuis le dépôt du rapport du Commissariat aux langues officielles du N-B (CLO) sur l’examen d’entrée à la profession infirmière, tout doute est écarté sur ce que les finissant.e.s disent depuis des années: l’adoption de l’examen NCLEX par l’AIINB défavorise les francophones. Confiante, l’Université a - enfin - exigé un changement d’examen, et blâmé les déboires de ses diplômé.e.s sur l’AIINB, sans ambiguïté.
Mieux vaut tard que jamais, évidemment. La suite aura démontré à quel point c’était sincère.
Dès 2015 pourtant, l‘Université se disait préoccupée par les ratés du NCLEX. (Radio-Canada) Les interventions à l’époque se limitaient par contre à défendre son programme d’étude. Le vice-recteur à l’enseignement et à la recherche, André Samson, pointait vers l’examen comme la raison probable du taux anormalement élevé d’échec à l’Université de Moncton.
Le recteur Théberge, pour sa part, avait gardé le silence.
Cela dit, on ne sait pas quel travail a pu avoir lieu en coulisse. Des modifications ont été apportées aux critères du NCLEX en réponse au taux élevé d’échec, en augmentant le nombre de tentatives (donc d’échecs) permis. Ça adressait le problème en surface, en ignorant ses raisons profondes, qui résident dans l’examen à proprement dire.
L’enquête du CLO a confirmé que la traduction de l’examen est « satisfaisante étant donné qu’il n’y avait pas d’erreurs graves de sens ou de langue et qu’il s’agissait du bon niveau de français ». En clair, les questions sont équivalentes dans le deux versions; la traduction ne serait pas la cause directe d’erreurs dans les réponses. Le noeud du problème est ailleurs.
Pour le trouver, il faut examiner les outils préparatoires au NCLEX. Les francophones sont désavantagés tant au niveau de la quantité que de la qualité des ressources disponibles. Le rapport cite pas moins de 6 ressources jugées adéquates pour la préparation à l’examen d’entrée offertes uniquement en anglais, mais une seule en français, par ailleurs jugée largement insuffisante. (Langues officielles NB) Plus de chances de reprendre l’examen, dans ces circonstances, ne suffit clairement pas à remédier au problème.
Surtout quand les diplômé.e.s doivent débourser 360$ pour s’inscrire à l’examen (l’inscription est valide pour 365 jours, et sans avoir pu le confirmer, je crois que ce frais est payable annuellement et non à chaque tentative) en plus des frais de transport pour chaque essai. (Pearson) Et si l’envie leur prend de changer à l’anglais dans l’espoir d’améliorer leurs chances, c’est un autre 50$ qui s’ajoute à la facture.
L’AIINB maintient que le NCLEX ne défavorise pas les diplômé.e.s francophones; si elles et ils ont moins de succès, c’est dû à leur faiblesse, point à la ligne. (AIINB)
Pourtant, les données présentées par le CLO démontrent que dans les 5 dernières années de l’examen précédent, le taux de succès au premier essai n’a pas été inférieur à 84% à l’Université de Moncton, et que l’écart entre le taux de succès à UNB et Moncton n’a jamais dépassé 18%. (CLO)
L’AIINB indique pour sa part que « les données [disponibles] semblent indiquer que la traduction française de NCLEX-RN donne lieu à des résultats similaires à la version anglaise en ce qui concerne le temps de réponse moyen et les tendances dans les réponses. » (AIINB, CCOPRI) Lisez bien, ça ne dit pas vraiment ce qu’on croit que ça essaie de dire à première vue; ça ne parle surtout pas de taux de succès. Ni du N-B, où l’échantillon francophone serait suffisant pour établir des analyses poussées; l’affirmation est fondée sur l’échantillon canadien. Et le Québec n’utilise pas le NCLEX.
Ce choix n’a rien pour surprendre, car dès la première année du NCLEX, en 2015, le taux de réussite à Moncton chutait à 32% (on note une chute marquée du côté anglophone aussi, à 58%). En 2016, malgré les ajustements apportés, 39% des finissant.e.s ont réussi au premier essai à Moncton (contre 71% à UNB).
Quant au choix de la langue de l’examen, le portrait a considérablement changé à Moncton en très peu de temps. Ce rapport est passé de 80:16 en 2015 à 45:51 en 2017. C’est dire qu’à la seule école de science infirmière francophone de notre province, la majorité des finissant.e.s choisissent de compléter l’examen d’entrée en anglais.
Tristement, pour qui veut pouvoir s’y préparer, c’est un choix qui se défend.
Doit-on voir autre chose dans ce mouvement vers l’examen anglais qu’une conséquence directe des problèmes patents du NCLEX? Le recteur par intérim semble de cet avis, déclarant que «les [diplômé.e.s] francophones de notre programme de science infirmière ont le droit à l’égalité des chances par rapport à leurs collègues anglophones au moment de l’examen d’admission à la pratique de la profession infirmière», dans son appel à l’adoption d’un nouvel examen. (Acadie Nouvelle) Les mots « égalité des chances » ne sont pas choisis au hasard.
Une fois la violation des droits linguistiques de la minorité francophone établie par l’enquête du CLO, ces paroles prennent plus de poids. Il demeure que le problème n’est pas nouveau et qu’on ne devrait pas les entendre de la bouche du recteur pour la première fois en 2018. En même temps, c’est pas comme si on avait un expert en linguistique, ou en francophonie minoritaire, comme recteur en 2015, 2016 et 2017 (Gouvernement du Canada).
L’ironie de la chose est tragique.
Mais peu importe maintenant les occasions ratées ou les erreurs du passé; il faut que ça change, et vite. D’abord, le NCLEX-RN, même adapté au contexte canadien, reste une ressource américaine. Un nouvel examen canadien et bilingue devrait entrer en période de rodage en 2020. (Radio-Canada) Mais d’ici à ce qu’il remplace le NCLEX-RN (ce qui n’est pas fait non plus), qu’est-ce qui peut être fait par l’AIINB pour se conformer à la Loi sur les langues officielles?
Car c’est bien ça l’enjeu: le respect de la Loi. L’AIINB a répondu au rapport du CLO en cherchant à réfuter les arguments pesant contre elle, sans admettre aucun tort. C’est l’attitude qu’elle maintient depuis, à commencer par une poursuite sans fondement contre le CLO, qui ne semble pas avoir été autre chose qu’une tactique pour allonger les procédures et repousser l’obligation d’agir. (Radio-Canada) Il en résulte qu’aucune suite ne fut donnée aux recommandations formulées dans le rapport. Voilà qui devrait mettre le ministre responsable de la Loi sur les langues officielles en beau fusil - au minimum, en mignon pistolet - en temps normal. Je dis bien: en temps normal.
Spécifiquement, le non-respect de l’article 41.1 (3): «Nul ne peut être défavorisé du fait qu’il a exercé son droit de choisir la langue officielle dans laquelle il satisfait aux exigences qu’impose l’association professionnelle.» (GNB)
Pourtant le premier ministre n’a pas dit un mot sur l’affaire. Même l’Université de Moncton s’est tenue assez tranquille après sa poussée de février. Sans vouloir être cynique (c’est devenu involontaire chez moi), une fois le diplôme remis, sa responsabilité envers l’étudiant.e est rompue, le contrat est honoré, elle est libre de passer à autre chose.
Dans le passé, l’Université a choisi de défendre la qualité du programme de science infirmière, avant de critiquer le NCLEX ou l’AIINB. Aujourd’hui, avec la Loi pour l’appuyer, sûre d’elle, l’institution devrait déployer tous les efforts pour faire ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. C’est maintenant ou jamais.
Ou alors, c’était avant ou pantoute.
Si on cesse d’appliquer la pression sur l’AIINB, elle a beau jeu de continuer comme si de rien n’était; c’est exactement ce qui se passe présentement et, vu l’empressement du gouvernement Higgs à entendre les appels à l’action des organismes francophones (le dernier datant d’avril) il y a de quoi douter qu’elle viendra de Fredericton.
Fredericton est pourtant heureuse d’annoncer la création de 24 positions réservées aux infirmières auxiliaires formées au NBCC (et non au CCNB) et à Oulton College et visant à créer une « passerelle de transition » vers le statut d’infirmières immatriculée. (GNB) 500 000$ pour 24 infirmières immatriculées, après 8,7 M$ en coupures dans les centres de formation infirmière et dans l’attente d’une « nouvelle stratégie de recrutement » chiffrée à 2,4 M$, pour faire face à une pénurie de 5000 infirmières sur cinq ans. (CBC) Disons qu’on a TRÈS hâte de voir à quoi ressemblera la stratégie complète, car pour l’instant l’effort est tout sauf évident.
Qu’il s’agisse de la pénurie d’infirmières ou de faire respecter la Loi sur les langues officielles, je ne dirai que ceci: c’est dur d’éteindre un feu de forêt en crachant dessus.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
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C’est dur d’éteindre un feu de forêt en crachant dessus

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