Par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Si la santé, l’éducation, le secteur privé et même l’environnement (!) ont figuré dans le discours du trône du gouvernement Higgs, l’éducation postsecondaire en était entièrement absente.
De fait, mis à part une brève mention de la qualité de nos programmes de formation en enseignement, le seul élément du discours lié au postsecondaire visait l’étude des programmes d’aide financière mis en place par le gouvernement précédent. La chose fut abordée en ces termes:
« Votre gouvernement entreprendra, en se fondant sur les faits, un examen des programmes visant à faciliter l’accès aux études postsecondaires, et comparera leur efficacité avec celle des crédits d’impôt généraux qui ont été supprimés. Nous comptons sur tous les partis pour examiner les données sur l’inscription et s’appuyer sur les faits afin d’assurer aux étudiants la sécurité et la prévisibilité dont ils ont besoin pour pouvoir envisager leur avenir.» (GNB)
Les programmes en question sont le programme des droits de scolarité gratuits (DSG) et le programme d’allègement des droits de scolarité pour la classe moyenne (PADSCM). Ces deux programmes de réduction de l’endettement étudiant s’appliquent directement et automatiquement au coût des études, au moment de verser le prêt étudiant.
Or, concrètement, qu’est-ce que l’annonce du discours peut signifier pour les étudiant.e.s?
D’entrée de jeu, l’étude de ces deux programmes a récemment été confiée à un centre de recherche indépendant, l’Institut de la recherche des données et de la formation du N-B (IRDF). L’échéancier prévoit cinq années d’analyse des données avant le dépôt d’un rapport final, ainsi que des mises à jour annuelles sur les statistiques. Logique, puisque l’impact réel des nouveaux programmes ne pourra être mesuré de manière fiable que lorsque la première cohorte en ayant bénéficié de la première à la dernière année d’études au premier cycle aura obtenu son diplôme.
Il semble donc présomptueux de juger de l’efficacité de ces programmes avant ce moment. En termes vulgaires, ce que Gallant a fait en signant ce partenariat avec l’IRDF dans les derniers mois de son mandat équivaut à péter en sortant de l’ascenseur. Rien à faire pour le gouvernement suivant, il allait falloir vivre avec (FÉÉCUM).
Par ailleurs, l’évaluation continue des programmes par le biais des données de l’IRDF permet d’y apporter des modifications mineures sur une base annuelle. Une bonne chose, selon moi, plutôt que d’éliminer et remplacer.
J’ai eu l’occasion récemment de discuter avec deux membres du personnel de l’IRDF. Pour autant qu’ils le sachent, l’examen se poursuivra comme prévu dans le contrat signé avec le gouvernement Gallant. Évidemment, des contrats ont été annulés par le gouvernement avant aujourd’hui mais, puisque le mandat remis à l’IRDF correspond d’assez près à ce que Higgs propose de faire de toute façon, en plus d’enlever l’élément partisan de l’équation, pourquoi l’annuler?
La réponse est simple: Higgs veut des résultats - et vite.
Ce que propose le discours du trône, c’est de comparer l’efficacité du DSG et du PADSCM avec celle des crédits d’impôt qui ont été abolis pour les financer. Puisque la seule mesure évoquée est les données d’admission, l’efficacité sera probablement liée à l’augmentation des inscriptions aux universités. Toutefois, la chose n’est pas aussi simple à juger. Suffit de songer à la source principale de croissance/stabilisation des inscriptions, soit les étudiant.e.s provenant de l’international. Puisque ces derniers ne sont pas éligibles au DSG/PADSCM, ces programmes ne sont pas un facteur dans leur décision d’entreprendre des études universitaire dans la province.
Par ailleurs, la question de l’accès des étudiant.e.s internationaux au régime public d’assurance-santé (Medicare) n’a pas encore été abordée par le gouvernement Higgs mais, nul doute, le programme sera réévalué au même titre que tous les autres afin de relever les « dépenses inutiles ». Attendons.
Mais revenons aux crédits d’impôt. D’entrée de jeu, la recherche - les faits - indique qu’ils ne sont pas un incitatif suffisant pour garder/ramener les diplômés dans leur province d’origine/d’étude, pas plus que pour convaincre davantage d’élèves du secondaire à entreprendre des études supérieures (HESA).
Comme mesure d’accessibilité, les crédits d’impôt sont également bien moins adaptés à remplir leur mandat que les bourses ciblées d’après le besoin (comme le sont pour l’essentiel le DSG et le PADSCM). Les crédits s’appliquent seulement après les études si c’est l’étudiant.e qui en bénéficie (certains anciens crédits provinciaux étaient transférables), et seulement dans les cas où l’impôt provincial sur le revenu est perçu. La chose est rarissime, dans l’année suivant la graduation - quand le besoin de fonds supplémentaires se fera le plus cruellement sentir. Je veux dire, autre que PENDANT les études....
L’ancien Rabais sur les droits de scolarité (RDS) était accessible à la fois aux diplômés ayant contracté un prêt étudiant et à ceux qui n’en avaient pas eu besoin. Problème #1. Notons cependant que la majorité des étudiant.e.s du N-B ont recours aux prêts étudiants.
Le RDS rendait, sous la forme d’un crédit d’impôt provincial, 50% des coûts de la scolarité déboursée pendant les études (FÉÉCUM), pour un maximum de 20 000$, et jusqu’à 4000$ par année. Alors, si le montant maximal était le même pour tous, les personnes mieux nanties - qui n’avaient pas besoin du RDS pour survivre après les études - en bénéficiaient, sinon davantage, du moins plus rapidement que ceux dans le besoin. Parce que revenu sur l’impôt = bénéfice lié à la taille du revenu. Problème #2.
La logique conservatrice suggère habituellement que les gens qui n’atteignent pas leurs objectifs de carrière ne travaillent tout simplement pas assez fort. Or les données montrent que la jeunesse canadienne est de plus en plus surqualifiée - au sens qu’elle fait des études bien plus poussées que ce que l’emploi occupé après l’obtention du diplôme ne requiert (Statistique Canada). Le salaire gagné par les jeunes qui travaillent à temps plein, par ailleurs, a diminué en termes réels au fil des dernières décennies (Statistique Canada).
Bref, est-ce vraiment une question de travailler ou non assez fort? J’en doute énormément.
Enfin, revenons aux mesures: si l’objectif était d’améliorer l’accès aux études, le succès serait évalué en termes de nouvelles inscriptions: or, les étudiant.e.s internationaux formant le bassin de population le plus susceptible de contribuer à une croissance des inscriptions n'ont pas accès aux programmes évalués. Problème #3. Parce que la population d’âge scolaire au N-B n’est pas en phase d’expansion, il serait déjà plus sensé de parler en termes de pourcentage que de chiffres bruts pour mesurer l’efficacité.
Enfin, l’ancien RDS, combiné aux autres mesures d’aide financière disponibles aux étudiant.e.s de l’époque, coûtait plus cher que le DSG et le PADSCM tout en étant moins susceptible de réduire la dette étudiante. Parce qu’il était lié au revenu après les études, de un, qu’il ne faisait rien pour diminuer l’intérêt payé sur la dette, de deux, et qu’il s’appliquait après l’obtention du diplôme, de trois. C’est dire que le RDS était non pas un outil pour faciliter l’accès aux études, mais une récompense pour avoir complété des études, avec toute la dette que ça comporte.
Son coût en augmentation perpétuelle a d’ailleurs été l’une des raisons à l’origine de sa disparition: les montants versés par le RDS ont pratiquement décuplé en sept ans, sans que le programme n’ait subi de modification, et malgré une diminution du nombre de diplômé.e.s (FÉÉCUM). Il est pratiquement impossible d’exercer un contrôle sur la variation des montants versés par un programme de ce genre. Problème #4.
Si j’étais à l’aise financièrement, c’est certain que je préférerais un crédit d’impôt. En revanche, si j’étais inquiet d’avoir les moyens nécessaires pour entreprendre, poursuivre, ou terminer des études, y’ aucun doute qu’une bourse d’études non-remboursable serait mille fois mieux adaptée à ma situation.
Répétons-le: rien ne montre que les crédits d’impôt soient une mesure d’accessibilité efficace.
Mais ça, ce sont d’après des faits établis à l’échelle canadienne, et quelque chose me dit que M. Higgs serait intéressé dans une nouvelle étude qui prenne ses faits ailleurs…
Au pays des crédits d’impôt.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.