Par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Le gouvernement provincial doit dévoiler son prochain budget à la fin janvier, et il ne fait aucun doute que les élections d’octobre prochain devraient rendre l’exercice disons, plus généreux que d’accoutumée. Évidemment l’heure des bilans a sonné elle aussi, et le pari n’est pas neuf: on juge moins sévèrement quand on est de bonne humeur, que voulez-vous.
L’éducation postsecondaire a reçu son lot de coupures et d’investissements, comme d’autres secteurs, au cours du mandat de ce gouvernement. Dès le départ, des coupures estimées à 50 millions$ dans l’aide financière et un gel des subventions aux universités ont semblé contredire le message maintes fois répété en campagne. On pouvait sérieusement douter que l’éducation serait une priorité pour Brian Gallant et ses acolytes, au départ.
Ça n’a pas duré par contre; passé le cap de la deuxième année, le postsecondaire (ou du moins les étudiant.e.s) a reçu des investissements. Règle générale, ce fut bien accueilli même si ça filait plus stratégie de marketing que politique publique. Mais bref, pour l’instant on en sait juste assez sur la situation des étudiant.e.s pour croire qu’elle s’est améliorée; réservons cependant notre jugement pour l’automne.
Déjà, il persiste un petit écart entre les montants coupés et ceux réinvestis en aide financière par un gouvernement qui fait de l’éducation une priorité. Mais quoi, 25 M$ à peine?
Et pour les institutions, la situation reste peu encourageante; mais comme les universités n’ont pas le droit de vote, aussi bien prendre leur mal en patience.
Au final, les étudiant.e.s ont accès à deux nouveaux programmes de réduction de la dette: le Programme de droits de scolarité gratuits (DSG), qui élimine les droits de scolarité pour les étudiants de familles au revenu de 60 000$ et moins (GNB); et le Programme d’allègement des droits de scolarité pour la classe moyenne (PADSCM), qui élimine une part variable du coût de la scolarité en fonction du revenu et de la taille de la famille (GNB).
Le DSG aura connu une première année relativement fructueuse en 2016-17, malgré quelques problèmes. Les données d’inscription à l’Université de Moncton, notamment dans les campus du Nord, laissent déjà supposer un impact positif sur les inscriptions (FÉÉCUM), bien qu’il serait hâtif de tirer des conclusions.
Selon le Profil statistique 2016-2017 du Programme d’aide financière aux étudiants du N-B, 36% des demandeurs d’aide financière ont accédé au DSG l’année dernière, alors qu’on dénombre 5063 bénéficiaires sur 13 902 étudiant.e.s ayant reçu des prêts étudiants. Au total, ce sont 16,6 M$ qui ont été remis sur les 26,5 M$ réservés au programme (GNB). Puisque le DSG fonctionne en comblant l’écart entre les bourses reçues et le coût de la scolarité, on peut expliquer le montant moyen de 3290$ remis aux bénéficiaires, alors que le coût moyen de la scolarité était de 6563$ dans les unversités de la province (CESPM), et en aucun cas inférieur à 5716$.
Le DSG est aussi accessible aux étudiant.e.s du NBCC et du CCNB, où les coûts de scolarité étaient de 3215$ l’an dernier (Radio-Canada).
Est-ce que le programme fonctionne comme prévu? Selon le gouvernement du moins, oui.
Début décembre, le ministère de l’Éducation postsecondaire annonçait que 76% des bénéficiaires d’aide financière inscrits dans les établissements publics d’enseignement supérieur du N-B en 2017-2018 étaient admissibles au DSG ou au PADSCM (GNB).
Ça semble énorme. Et de fait, plus loin dans l’annonce du gouvernement, on lit que « Plus de 6000 étudiants sont admissibles au [DSG] et plus de 1300 sont admissibles au [PADSCM] pour l’année scolaire 2017-2018. »
Alors là, je suis perdu. Le Profil parle de 13 902 bénéficiaires d’aide financière l’an dernier; 76% de ce nombre serait 10 565. Les inscriptions diminuent, je veux bien, mais pas à ce point. À moins que les critères d’admissibilité à l’aide financière aient été terriblement resserrés? Pour passer de 13 902 bénéficiaires à [(7300 x 100)÷76=] 9605 en l’espace d’un an, il faudrait avoir perdu 4300 étudiant.e.s - presque 1 sur 5 - ou gagné 4300 millionnaires.
En 2016-2017, 36% des emprunteurs ont accédé au DSG: 5063 au total. On en compte 6000 cette année. Si ces derniers représentent encore une proportion semblable des bénéficiaires, environ 40% des emprunteurs seraient admissibles au PADSCM. Ce sont des estimés: mais peu importe le nombre réel, 1300 n’est pas même proche de ça.
Ouais. Cherchons ailleurs.
Il y a peut-être un détour de langage qui m’échappe. L’annonce dit bien que: « 76 pour cent des bénéficiaires d’aide financière aux étudiants, qui sont inscrits en 2017-2018 dans les universités et les collèges financés par des fonds publics dans la province, étaient admissibles au Programme des droits de scolarité gratuits ou au Programme d’allègement des droits de scolarité pour la classe moyenne. »
OK donc, les 4 universités publiques, plus le CCNB et le NBCC. En 2016-2017, on y comptait respectivement 16 080 (CESPM), 2446 (CCNB) et 3758 (NBCC) inscriptions à temps complet, pour un grand total de 22 284.
La baisse - il est vrai, constante - des inscriptions à temps plein dans les universités du N-B n’a pas dépassé 4,5% au cours des cinq dernières années (CESPM); la diminution annuelle moyenne est de 3,1%.
Appliquons ça aux chiffres de l’an dernier, ce qui nous donnerait 21 592 inscriptions à temps plein pour 2017-2018, puis:
- 62% des étudiant.e.s à temps complet recevaient un prêt en 2016-17: alors, 13 387.
- 82% de ces emprunteurs sont inscrits dans le système public du N-B: 10 977
- 76% de ces emprunteurs seraient admissibles au DSG ou au PADSCM: 8 342.
Repartons à l’envers, alors, ce qui nous donnerait les chiffres suivants:
- [(7300x100)÷76] = 9605
- [(9605x100]÷82] = 11 714
- [(1672x100)÷62] = 18 893
Impensable.
Malgré les limites au niveau de l’accessibilité et les nombreux millions qui se sont évaporés de l’aide financière, le DSG et le PADSCM restent des programmes prometteurs. Mais il y a quelque chose qui cloche dans l’annonce du 6 décembre. A-t-on été trop pressés de se féliciter du côté du gouvernement pour regarder les chiffres?
D’ailleurs, on ne donne pas tous les chiffres avec cette annonce, ce qui complique l’affaire.
J’en reviens à la question du langage. Peut-être que ce ne sont pas tous les étudiant.e.s admissibles au DSG et au PADSCM qui reçoivent des bénéfices de ces programmes, alors? Mais si c’est le cas, pourquoi le gouvernement s’en vanterait? Comment est-ce que cela serait une mesure du succès de ces programmes, si tous ceux qui y ont accès n’en retirent pas les bénéfices? D’ailleurs, l’accès au programme est automatisé.
On lit bien « admissibles aux » et non pas « bénéficiaires des » deux programmes au début du texte. Ça pourrait être la solution. Mais là, on revient avec la même formulation plus loin pour faire le détail des 7300 bénéficiaires.
Aaaargh, ma tête!
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.