
Par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
C’est désormais officiel: Raymond Théberge démissionne comme recteur de l’Université de Moncton: la date de son départ a été fixée au 26 janvier (Acadie Nouvelle). Il nous quittera donc pour entamer un septennat en cette terre d’opportunité bureaucratique que l’on nommait autrefois le Haut-Canada. Ce n’était plus qu’une formalité, mais un vote de la Chambre des communes a confirmé sa nomination au poste de Commissaire aux langues officielles le 13 décembre (Parlement du Canada).
Ce sera le vice-recteur du campus d’Edmundston, Jacques Paul Couturier, qui va assurer l’intérim du poste durant le processus de sélection de la prochaine rectrice ou du prochain recteur. M. Couturier, qui affirme qu’ « une période d’intérim [...] il ne faut pas que ce soit une période de stagnation», et souhaite « que l’Université puisse continuer à se transformer pour mieux répondre aux besoins des étudiantes et des étudiants », n’a pas l’intention de poser sa candidature au poste (Radio-Canada). Il faudra donc chercher ailleurs.
Mais on cherche quoi? Il est clair que l’institution a besoin d’une « perle rare », mais ce n’est pas chose faite considérant que « l’U de M s’est ridiculisée dans sa façon de gérer la succession d’Yvon Fontaine » (Acadie Nouvelle). Ça prendra des reins solides, et beaucoup d’ambition: bien malgré le sirupeux jargon de circonstance que déploiera sans faute l’Université, l’affaire ne sera pas nappée de prestige. Tsé, on cherche la personne qui voit un nid de guêpes et qui se décide d’agir, pour relever celle qui a attendu 5 ans qu’elles se tannent et qu’elles partent. Y’a comme qui dirait du mess à ramasser, et la cabane est pas exactement top shape.
Alors pas un autre fonctionnaire, SVP. Évitons, dans cinq ou dix ans, de remercier encore une personne qui « a su gérer avec brio des dossiers très importants » (UMoncton). Gérer c’est bien joli, mais l’Université de Moncton a besoin de beaucoup plus que ça.
D’ailleurs, cette charge ne revient-elle pas au Conseil des gouverneurs (UMoncton)? Le rôle de recteur, selon les Statuts et règlements de l’Université, est d’être « le premier dirigeant » de l’institution, pas son premier gestionnaire (UMoncton, p. 68).
Sauf qu’avant d’aller plus loin, il faut parler des circonstances du départ de M. Théberge: son contrat actuel, signé le 9 août 2016 et valide entre juin 2017 et juin 2022, stipule que le recteur doit donner un avis de 12 mois avant de quitter ses fonctions (UMoncton).
Sachant que le processus de sa nomination comme CLO a débuté en juillet dernier, il faudrait que M. Théberge ait signifié son intention de quitter ses fonctions un mois avant de signer son nouveau contrat pour respecter sa clause de départ. La chose est impensable.
Qu’il soit ou non en situation de bris de contrat, son départ ne peut pas être sans conséquences. Mais quelles seront ces conséquences?
Certaines choses sont relativement claires. Ayant complété un mandat comme recteur, M. Théberge a le droit de recevoir une année de salaire à la dernière année de son contrat initial, en lieu d’une année sabbatique (UMoncton Voir 8.b), c’est-à-dire 264 002$ (UMoncton).
S’il avait complété son second mandat, il aurait alors touché une somme équivalente à 1.5 fois son salaire à la dernière année, en remplacement d’un congé administratif de 18 mois. Au salaire actuel, ça aurait représenté 432 000$. Gardons cependant en tête que le salaire du recteur aurait continué d’augmenter jusqu’en 2022, atteignant au moins 300 000$. Évidemment, M. Théberge n’aura pas droit à cette somme.
En fait, son second congé administratif de 6 mois (dont la valeur s’ajoute à celui de 12 mois lié à son premier contrat) serait réduit de 1,2 mois par année de contrat non-complétée (UMoncton Voir 8.b). Il serait entièrement annulé, car M. Théberge n’a pas complété une année de ce contrat. De plus, il a amorcé le processus de nomination au poste de CLO au cours du mois suivant le début de son mandat actuel (au plus tard); difficile d’argumenter en faveur du contraire.
Ce serait donc à la totalité de ces 144 000$ (288 000$/année à sa dernière année de contrat, coupé en deux) que M. Théberge devra renoncer. D’après notre lecture, il devrait recevoir les 264 002$ pour son premier mandat, et c’est tout.
Quand même de quoi partir sans laisser derrière soi un sentier de larmes, disons. Évidemment, ce ne sont pas les 550 000$ à 600 000$ consentis à Yvon Fontaine (Radio-Canada), mais que voulez-vous, les temps sont durs à l’Université de Moncton. D’ailleurs, en termes de montant reçu par année de service, Théberge détiendra quand même le record.
On peut maintenant se questionner sur ce qui l’a attiré là-haut à Ottawa. Vu le salaire de 314 100$ (Radio-Canada) on pourrait penser que l’appât du gain a eu son rôle à jouer. Disons par contre que M. Théberge est probablement mieux à Moncton avec un salaire de 288 000$ qu’il ne le sera à Ottawa avec un salaire de 314 100$.
Peut-être l’insatisfaction, alors? Il va sans dire que le premier mandat de M. Théberge à la tête de l’Université de Moncton a été un moment difficile pour notre institution. Plusieurs révélations, particulièrement sur la gouvernance, lui ont attiré l’indignation du public et les questions des médias. Reste qu’à la rigueur, on pouvait faire porter l’odieux aux administrations précédente. On comptait sur M. Théberge pour ramener l’Université de Moncton dans la bonne voie, en acceptant que ces choses peuvent prendre du temps.
Sauf que, plus ça avançait, et moins on était convaincu qu’il était l’homme de la situation.
Puis en février dernier, alors qu’il avait déjà signé son renouvellement, arrive une crise imprévisible qui force M. Théberge à réagir alors qu’il n’y était manifestement pas préparé. J’ai nommé l’affaire des courriels malveillants. On se remémore sa mine déconfite face au journaliste qui l’attendait à sa sortie de l’avion qui le ramenait d’Ottawa, à qui il a justifié l’inaction de l’Université en citant l’obligation de protéger la liberté d’expression (Twitter).
Minute... il était allé faire quoi là-bas? Je ne crois pas qu’on l’ait jamais su.
Si M. Théberge se trouvait à Ottawa, même en vacances et à ses propres frais, est-ce que ça signifie qu’il était impliqué dans le processus initial de nomination pour le poste de CLO, qui a débuté en janvier? S’il l’était, alors là, il aurait franchement été idiot de ne pas prévoir le coup pour l’Université.
Notons que les participants au processus initial devaient être contactés pour confirmer ou non leur intérêt à reprendre l’exercice en juillet (Radio-Canada). Si l’ancien bras droit de M. Théberge, Gino LeBlanc, était pressenti comme candidat en janvier 2017, le recteur lui-même ne l’était pas (Radio-Canada). Cela dit, Théberge a le don de passer « sous le radar ».
Quoi qu’il en soit, la crise des courriels fut un test difficile pour Théberge, au résultat décevant: cela aura-t-il suffi à le convaincre de quitter? C’est certain qu’en Acadie il aura toujours été scruté de plus près, comme recteur, qu’il ne l’aurait été à peu près nulle part ailleurs au Canada. La relation entre la communauté acadienne et le recteur de l’Université de Moncton, à certains égards, pourrait être comparée à celle entre les fans du Canadien de Montréal et son entraîneur. En clair, sans savoir comment faire la job à sa place, on va lui laisser savoir si on n’est pas satisfaits du résultat.
C’est de bonne guerre, en général.
Enfin, si on doit parler d’insatisfaction, on ne peut pas porter le blâme uniquement sur M. Théberge. Considérant les déclarations qu’il a faites à son entrée en poste (Acadie Nouvelle), et le peu d’actions décisives qui ont marqué son rectorat, on peut certainement regarder du côté de l’institution (au sens des personnes qui y travaillent et particulièrement celles qui l’administrent) aussi, qui refuse peut-être obstinément de changer ses façons de faire.
Remarquez, si c’est un désir inassouvi de changer les institutions qui motive son départ vers Ottawa, il a bien mal choisi sa destination. Peu de rapports sont ignorés avec la constance réservée à ceux du CLO.
Il ne nous reste donc qu’à lui souhaiter du succès dans ses nouvelles fonctions. L’Acadie, comme la francophonie, a certainement intérêt à ce que son mandat soit réussi. Et bien malgré son départ de l’Université, on risque de continuer à en parler, de Raymond Théberge: il ne sera plus à l’abri de rien au sommet, là-haut à Ottawa!
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.