Sans même vous dire merci!
par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Voulez-vous en entendre une bonne?
La FÉÉCUM a reçu une demande d’entrevue de la CBC afin d’obtenir nos réactions aux changements apportés au programme de Prestation pour l’achèvement des études dans le délai prévu (PAÉ pour faire court; Timely Completion Benefit en angliche). Il me peine de vous avouer que nous fûmes pris fort au dépourvu car, en l’occurrence, nous n’avions pas la moindre idée que ces changements avaient été faits (FÉÉCUM).
Mais, comme de raison, ces changements avaient eu lieu : à compter de 2015, les diplômés qui se prévalent du PAÉ devront se contenter de voir leur dette étudiante réduite à 32 000$ plutôt qu’à 26 000$, comme c’était le cas depuis la création du programme en 2009 (GNB).
En temps normal, avant de procéder à des changements drastiques dans les programmes, le gouvernement procède soit à des consultations – les Libéraux ne se font pas prier en général – ou, à tout le moins, avise le public de son intention de procéder à des coupures. Le pire scénario serait généralement celui où le gouvernement procède sans préavis en informant le public d’un fait accompli.
Généralement, je dis bien : rien de tel dans le cas présent.
Nous ne sommes pas les seuls non plus qui aient été gardés dans le noir quant aux changements apportés; aucune des fédérations étudiantes que nous avons contactées n’en avait la moindre idée non plus. C’est comme le gel des subventions all over again (FÉÉCUM)!
Remarquez, tout indique que le gouvernement a dû réagir en vitesse, car en date du 18 juin 2015, deux versions de la feuille d’information sur le PAÉ étaient en ligne, celle à 32 000$ (GNB) et une seconde à 26 000$ (GNB). C’est un peu comme rentrer d’un booty call avec ses bobettes à l’envers – c’est pas tout le monde qui va le voir, mais c’est plutôt louche aux yeux de qui le remarquera.
On sait qu’en coupant le Rabais sur les droits de scolarité (RDS) le gouvernement provincial a libéré environ 20 millions $, selon le coût du programme en 2014 (GNB, p. 28). Remarquez, on peut supposer que ce coût sera plus élevé en 2014-2015 parce que le gouvernement n’a jamais mieux publicisé le programme que pour l’abolir (ça c’est un autre problème : FÉÉCUM) et que le «syndrome de la dernière chance» risque d’avoir son effet.
Mais revenons au PAÉ : les chiffres fournis par le Ministère révèlent le versement de 8,5 millions $ à 605 diplômé(e)s en 2014-2015 (Radio-Canada). Cela signifie que le montant accordé à chacun(e) était d’environ 14 000$, et la dette initiale des bénéficiaires d’un peu plus de 40 000$. Désormais, ces mêmes bénéficiaires recevraient chacun 8000$.
Il y a pire : sous l’ancienne formule à 26 000$, les bénéficiaires devaient avoir emprunté l’équivalent d’au moins deux années de prêt étudiant maximum (11 900$) pour être éligibles. Sous la nouvelle formule, ces mêmes bénéficiaires devront s’approcher dangereusement des trois années à prêt maximum. C’est inciter –pour ne pas dire forcer- les étudiant(e)s à s’endetter davantage, purement et simplement.
Faut ben faire rouler l’économie de la province, un moment donné; Irving peut pas tout faire tout seul, hein?
Et puisque rien ne garantit la capacité des étudiant(e)s à contribuer financièrement en raison de la dette accumulée, et qu'ils ne paient en général pas d’impôt pendant les études, il fallait un moyen instantané pour les transformer en contribuables. Ça semble accompli : on leur coupe les vivres – d’abord en abolissant le RDS puis en coupant dans le PAÉ - sans préavis sans les deux cas.
C’est vous l’avenir de cette province! Mais le passé a des dettes à vous faire payer…
Le PAÉ fonctionnait déjà plus ou moins, et les modifications n’amélioreront en rien sa performance. En utilisant les chiffres de 2013 (les plus récents) où 4663 diplômes furent remis, dont 3943 au premier cycle (CESPM), et sachant qu’environ 3 étudiant(e)s à temps plein sur 4 (75%) ont recours au prêt étudiant (FÉÉCUM : voir point 6, note xxiv, pour le calcul), on peut estimer qu’un(e) diplômé(e) éligible sur cinq (20%) parvient à récolter les bénéfices du programme. Pas fort.
On veut vous aider -sur papier- mais les résultats sur le terrain permettent de douter des bonnes intentions du gouvernement (et pas seulement de celui-ci).
Le PAÉ fut créé suite au dépôt d’un rapport de la commission l’Écuyer-Miner (2007), établissant que «le Nouveau-Brunswick peut, et doit, établir un plafond aux prêts et instaurer un programme de réduction des prêts basé sur un prêt maximal de 7 000$ ou moins» (GNB, p. 44). Le gouvernement libéral de Shawn Graham appliqua cette recommandation à la lettre, en établissant le «plafond» à 6500$/année. Cela dit, on connaît les bourdes financières de ce gouvernement, qui sont peut-être à même d’expliquer le manque de promotion du PAÉ dès l’origine.
Mais bon, le gouvernement avait commandé un rapport d’experts sur l’éducation postsecondaire et, en défi des conventions, l’a lu ET appliqué. Du moins en partie; les plus anciens se rappelleront le tollé autour des «polytechniques» (Radio-Canada) et pourtant, si on regarde les campus satellites aujourd’hui...
Mais voyons quel sera l’impact direct des modifications pour les étudiant(e)s :
En retirant 6000$ par bénéficiaire du PAÉ en 2014-2015, le gouvernement réalise des économies de 3,6 millions $. Pour mettre les choses en perspective, ça représente 0,6% du budget de 615,9 millions $ du Ministère de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail pour 2015-2016 (GNB, p. 117) et 0,04% du budget de la province.
C’est-à-dire encore des économies de bout de chandelle. Mais poursuivons :
Selon l’Estimateur de remboursement des prêts du Gouvernement du Canada (Lien), un prêt de 32 000$ coûtera 14 590$ en intérêt à rembourser (pour un coût total de 46 590$), alors qu’un prêt de 26 000$ coûtera 11 850$ en intérêt (pour un coût total de 37 850$), le tout sur une période de 10 ans à taux fixe. Le taux préférentiel de 3.0% est en vigueur en juin 2015.
Donc, le coût DIRECT aux étudiant(e)s des nouvelles modalités du PAÉ devient:
(46 590$ - 37 850$) x 605
8740$ x 605
= 5 287 700$
Autrement dit, les étudiant(e)s vont devoir payer 5,3 millions de dollars de plus en prêts (et intérêts), pour permettre au gouvernement d’économiser 3,6 millions de dollars. Et ça c’est d’après les calculs démontrés plus haut; selon les estimés fournis par le bureau de la ministre, ces économies seront plutôt de l’ordre de 2,7 millions (6 millions$ pour 510 bénéficiaires projetés en 2015-2016), et l’objectif de réduire l’accessibilité du PAÉ devient on-ne-peut-plus évident.
Le tout par le biais d’une couardise difficile à expliquer pour un gouvernement qui a soi-disant «été élu pour prendre les décisions difficiles qui s’imposent afin de redresser nos finances publiques et remettre le Nouveau-Brunswick en marche» (Radio-Canada).
Oui, mais en marche vers où? L’Ouest?
Si les décisions sont «difficiles», et que le gouvernement juge vraisemblablement qu’il a du mérite à les faire «pour remettre le Nouveau-Brunswick en marche», on s’explique mal pourquoi il juge inutile de vous informer de ce qu’il fabrique. On annonçait de la politique nouvelle et transparente, et on gouverne en cachette!
Et tout ça, sans même vous dire merci!
* Veuillez noter qu’une version précédente de ce billet citait un coût direct de 4,7 millions $ pour les étudiants, produit à partir d’estimés. La présente version utilise les sommes telles que calculées sur le site web du Gouvernement du Canada en date du 24 juin 2015.