Élection provinciale 2024: on dit quoi sur le logement?
On va se dire les vraies affaires: c’est pas toujours tentant de faire des efforts.
Encore moins quand c’est pour quelque chose dont le crédit ira à d’autres. Puis à vrai dire, si le résultat est mesurable dans 5, 10 ou 15 ans, pourquoi se forcer? Est-ce que ça vaut *vraiment* la peine d’aider du monde qui ne sait pas même que c’est MOI qu’ils devraient remercier, tsé, juste parce qu’il leur faut de l’aide et que c’est ma job?
Prenons la crise du logement, par exemple: non seulement ça a pris une éternité au gouvernement pour réagir, mais quand il s’est finalement lancé on sentait que c'était à contrecœur. Le problème était pourtant évident - et il l’est encore.
Mais bon, c’est pas comme si on peut faire pousser des logements en criant ciseaux - alors y’a pas de rush, je vous en passe un papier.
En juin 2023, quand le gouvernement Higgs a fièrement lancé sa “Stratégie sur le logement” après des années d’inaction dans le dossier, la pression de livrer la marchandise ne devait pas l’écraser. Son but semblait surtout de faire autre chose que « rienTM » pour le logement, histoire de faire taire les critiques.
Le moment était parfait, au sens politique de la chose: trop tard pour agir, mais trop tôt pour chialer. Ces résultats qu’on aime tant financer, il faudrait bien attendre qu’ils se manifestent avant de critiquer son plan, non? Quel génie politique.
Mais le logement n’est pas un de ces domaines où on peut “financer des résultats” et avoir l’air compétent même en n’ayant rien fait. Ça en fait alors un terreau bien peu fertile pour courtiser l’électorat. Déjà, quand il est question d’aider les gens dans le besoin, on sait que Monsieur n’est pas du genre à se presser.
De surcroît; non seulement il ne faut pas attendre d’éloges, mais c’est très risqué de blâmer le problème sur un gouvernement précédent. Dans notre système où deux partis s’échangent le pouvoir depuis la nuit des temps, difficile de blâmer le problème sur quelqu’un qui soit 1) vivant et 2) pas toi.
Ça explique pourquoi la meilleure approche électorale du gouvernement Higgs à propos du logement abordable est assez clairement d’éviter le sujet.
En face, la cheffe libérale Susan Holt propose de suspendre la TVH provinciale sur les nouveaux projets de construction. Cette mesure chiffrée à 90 M$ sur trois ans vise à faciliter la construction de 30 000 logements d’ici 2030, par le secteur privé.
Bien joli, mais combien de ces logements flambant neufs seront une option pour la personne ou le ménage qui peine à se loger pour <30% de son revenu? Si vous êtes de ces gens qui croient qu’ajouter des logements haut de gamme rendra magiquement abordables les logements moins cossus qui seront vendus pour financer le déménagement, ça peut sembler attirant. Le problème, c’est que si on ajoute de logement en haut de la gamme, le marché entier part à la hausse - même en bas.
Holt en est sans doute consciente, car elle promet aussi d’instaurer un plafond de 3% par année sur l’augmentation des loyers. Ici encore - ce n’est pas réaliste de penser que ceci a le potentiel de renverser la vapeur. Mais au moins c’est un effort.
Le Parti vert, de son côté, promet un plafond à 2,5% et la construction d’un minimum de 400 logements à loyer modique par année, en plus d’un allégement de l’impôt foncier sur les propriétés aux loyers/revenus locatifs faibles. Meilleur focus sur le problème, mais au prix d’un parc immobilier qui s'agrandit moins vite. Par contre, rien là-dedans n’empêche le privé de faire sa thing, car le rôle du gouvernement serait limité au logement abordable. Alors le marché pourra quand même… marcher?
Et chez les progressistes-conservateurs: rien. Le statu quo est ben correct, ça a l’air. Mais en même temps, leur promesse de couper 2% dans la taxe de vente nous coûterait 1,5 millards$ en revenus sur 5 ans. C’est bien beau l’ambition, mais il faut en avoir les moyens. Et on ne les aura pas. Encore moins si c’est Steeves qui a chiffré le coût des promesses du Parti avec sa calculette à roulettes en plastique qui fait des bruits d’animaux. On rit, mais ça expliquerait bien des choses.
Peu importe la raison - si vous et moi on sous-estimait autant nos revenus, ce ne sont pas des accolades d’industriels semi-croquants qui nous attendent, mais des menottes.
Ce statu quo 100% normal et sain, à ce qu’on dit, suffit d’un coup d'œil au marché pour s’en donner une idée: un loyer 34% plus cher en quatre ans. L’inflation - ridiculement élevée - est de 18,1% sur la même période, ou 4,25% par année. On en est au point où un loyer qui suivrait cette inflation ridicule serait raisonnable C’est ça, son statu quo.
Mais - mais - le temps que la magie du marché fasse son œuvre, Higgs nous a donné la Banque d’aide au loyer. Cette aide (remboursable) doit aider à éviter l’éviction en cas de hausse imprévue. Sauf qu’elle est accessible au maximum une fois par 12 mois consécutifs et pour une valeur ne dépassant pas 2750$ sur deux ans. Tout ça pour adoucir l’impact d’un loyer qui augmente de trois fois l’inflation en UN an. C’est pas de l’aide; c’est de la cruauté!
S’en remettre au marché pour régler une crise du logement, c’est tellement contre-productif que j’en espère presque que ce soit intentionnel.
Tsé, c’est un peu comme demander à la gravité de t’attraper quand tu commences à débouler un escalier. Elle n’est pas méchante la gravité; c’est pas qu’elle veut te faire mal - c’est juste… pas comme ça qu’elle fonctionne.
Le nœud du problème quand on parle de logement, c’est que l’offre sera toujours locale mais la demande - ô surprise - peut venir de n’importe où. Même si le marché est hors de prix pour les gens de la province, tant que quelqu’un, quelque part, sera prêt à investir, c’est à peu près garanti que les prix continueront de grimper.
Y’a pas à dire, faut avoir la foi dans les grâces du Saint Marché pas juste un peu pour maintenir le cap quand même TES propres chiffres indiquent que ta gestion de crise favorise le retour sur l’investissement au détriment de l’accès au logement.
On en croirait presque que le droit au logement compte moins que le droit à l’argent du loyer.
Quoique, vu de même, son calcul a plus de sens.
Dans le fond, on regarde tout ça avec l’impression que notre premier ministre est 100% à l’aide de faire passer des intérêts extérieurs devant ceux des Néo-Brunswickois.es, Bon, je dis ça de même; ce serait indigne d’un premier ministre.
C’est une impression, sans plus; imaginez à quel point ce serait ridicule si c’était vrai…(!)
Parlant de ridicule, en terminant: l’Université de Moncton attend depuis plus d’un an une réponse à sa demande de financement pour deux nouvelles résidences étudiantes. Ce financement relève des 12,8 millions$ réservés aux projets de logement sur les campus des universités publiques de la province dans la Stratégie sur le logement. La demande date de novembre 2023 et à ce jour, silence radio du côté de Fredericton.
Ce qui a peut-être joué contre Moncton, c’est que ces résidences devaient être inaugurées en septembre 2025 au plus tôt. Pour les fans de calendrier, ça, ce serait après l’élection provinciale du 21 octobre prochain.
Jusqu’à date, 4 millions$ du fonds ont été distribués à l’Université Mount Allison mais c’est tout. Le projet? Il s’agit de rénovations à l’une des résidences étudiantes du campus de Sackville, Harper Hall.
D’après l’annonce sur le site du gouvernement, il a aidé à créer « 147 nouveaux lits sur le campus ». Sauf que Mount Allison en compte 139, et qu’avant les rénovations, il y avait 190 lits dans la résidence… Soyons clairs ici que l’Université n’est absolument pas à blâmer: ces rénovations étaient prévues de longue date et étaient en cours depuis un bout quand la Stratégie est sortie - et elles étaient terminées quand les fonds ont été annoncés. Tout ça, pour 33 à 41 lits de moins.
Go les résultats, coudonc.
C’est ça qui arrive, quand on joue les héros à défoncer des portes ouvertes.
Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets