Sans tambours ni trompettes, Statistique Canada a lancé à la fin mars une mise à jour de son Enquête nationale sur les diplômés (END), qui indique que la dette moyenne à l’obtention du baccalauréat a DIMINUÉ entre 2015 et 2020 au Nouveau-Brunswick.
La dette de source gouvernementale moyenne est passée de 35 000$ en 2015 à 29 700$ en 2020. Une variation de 15% en 5 ans à peine, ça se voit souvent dans l’autre sens (à la hausse) mais 15% de moins face à 8% d’inflation? C’est ÉNORME!!!
Rappelons qu’en 2016, le gouvernement libéral de Brian Gallant a procédé à une réforme du système d’aide financière visant à réduire la dette étudiante… pour une partie de la population - tsé, la partie qui en a besoin. De plus, l’aide était fournie pendant les études - tsé, quand elle en a besoin - et versée automatiquement aux personnes admissibles. Tout baigne jusqu’ici: mais les deux programmes d’aide nés de cette réforme étaient largement financés par l'élimination de crédits d’impôt.
Les données disponibles à l’époque montrent que 77% des bénéficiaires de l’aide financière provinciale avaient droit à cette aide ciblée. En somme: des programmes efficaces (mais dispendieux) sont arrivés et des programmes inefficaces (donc “bon marché”) sont partis.
Qu’à cela ne tienne: dès son premier discours du Trône en 2018, Higgs annonçait « un examen des programmes visant à faciliter l’accès aux études postsecondaires, et [comparer] leur efficacité avec celle des crédits d’impôt généraux qui ont été supprimés. »
Il disait faire ça « en se fondant sur les faits ». Mais je crois qu’il voulait surtout les devancer.
C’était tristement prévisible. D’ailleurs, juste avant de partir, Gallant annonçait un partenariat avec un institut de recherche pour mesurer l’impact de la réforme de l’aide financière. Le hic étant que les résultats seraient livrés en 2022 au plus tôt, et que la première cohorte à compléter un baccalauréat avec cette aide recevrait son diplôme dès 2020.
Alors Higgs voulait couper ça, genre, hier - l’heure n’était pas à la patience.
Il a d’abord voulu redéfinir « l’impact » en parlant des inscriptions plutôt que la réduction de la dette étudiante. C’était bien mal choisir sa cible, dans un monde où les inscriptions montent constamment mais où la croissance dépend entièrement des étudiant.es internationaux, qui n’ont pas accès aux prêts étudiants. Mais soyons francs: si ce n’était pas cela, il aurait trouvé autre chose.
Le gouvernement Higgs affirme avoir fait beaucoup pour aider les étudiant.es. Il a rétabli le crédit d’impôt pour les études postsecondaire; il a éliminé l’intérêt sur les prêts étudiants. Par contre, cette aide n’est accessible qu’après l’obtention du diplôme et, ipso facto, rien de ça n’est pour les étudiant.es.
Les tatillons diront que j’oublie de mentionner sa Bourse renouvelée pour les frais de scolarité (BRFS), mais celle-ci ne peut pas être sérieusement considérée comme un ajout puisque tout ce qu’elle accomplit de “neuf”, c’est fournir moins d’aide à plus de monde.
Mais ils ne laisseront rien de tout ça les arrêter de nous dire le contraire:
Crédit (LOL…crédit): Gouvernement du Nouveau-Brunswick
Mais comment ça « profite aux étudiants de niveau postsecondaire actuels », au juste? C’est que l’intérêt, vois-tu champion, ça s’appliquait APRÈS ton diplôme. Et puis le concept d’abordabilité, ça prend son sens dans l’immédiat, ça se vit au quotidien. Le proprio, c’est pas dans 10 ans qu’il le veut, l’argent du loyer: c’est LÀ.
Excusez mais, ça n’a jamais fait le moindre sens de charger de l’intérêt aux gens dans le besoin pour le “privilège de s’endetter” en vue d’une carrière productive (qui va plus que doubler l’investissement du gouvernement à long terme, via l’impôt - personne ne fait de cadeaux).
Il ne fait aucun doute qu’éliminer l’intérêt sur les prêts étudiants est une bonne décision. Mais on n'applaudit pas les gens qui s'arrêtent aux passages piétonniers au lieu d’écraser le monde qui traverse, parce que rien ne justifie de leur passer sur le corps parce que personne ne s’arrêtait pour les aider “dans leur temps”.
Sans oublier que d’éliminer l’intérêt ne règle pas tout : la dette de source privée (où l’intérêt s’applique encore) à l’obtention du baccalauréat au NB est passée de 20 000$ en 2015 à 26 200$ (+31%) en moyenne en 2020, et de 18 800$ à 30 400$ (+62%) trois ans après le diplôme entre 2020 et 2023. On pourrait croire que personne n’est PLUS endetté après trois ans de paiements sur son prêt qu’en graduant; mais voilà où nous en sommes.
Et c’est pour ÇA, les copinous, qu’éliminer l’intérêt sur la dette étudiante est une bonne idée.
Revenons à l’annonce du GNB: elle mentionne « les étudiants postsecondaires actuels et futurs » pour une raison. C’est que les autres - qui ont déjà remboursé leur prêt étudiant (plus l’intérêt) - n’auront pas d’aide. Comme si on voulait encourager les jeunes à voter pour nous, mais sans donner de raison aux vieux de voter pour d’autres…
Intérêt ou non, pour quiconque doit s’endetter pour étudier, « la vie plus abordable pour les étudiants » est difficile à voir. Le coût de la vie monte sans cesse, inflation aidant, et puis travailler davantage pour combler le manque à gagner (littéralement LE PLAN de ce gouvernement), c’est malheureusement le genre de solution qui passe vite dans la colonne des problèmes. C’est pourquoi l’emprunt maximal est passé de 11 900$ à 17 000$ par année d’étude cette année. Notons, ici encore, que cette aide est réservée aux Canadiens.
Le fait que cet ajustement soit le premier depuis 2008 (au minimum), et que l’inflation était de 35,5% sur la même période, suffit à expliquer la décision. Sauf que le seul gain est d’avoir accès à la pleine valeur de l’emprunt durant les études, en s’endettant davantage.
Voyez plutôt:
Tant que les universités publiques ne seront pas financées adéquatement, au sens de « ne pas devoir boucher les trous avec toujours plus de dette étudiante », le risque de voir cette nouvelle marge de manœuvre (≈25 000$ ou 38% de plus) créer une envolée des droits de scolarité est bien réel. Mais comme l’approche du gouvernement Higgs - en fait d’aide financière comme de subventions - se caractérise plus par ses coupures que par son efficacité, tout le monde perd en bout de ligne. S’il faut vous en convaincre, allez (re)lire ce texte au titre, mais su-bli-me:
New Brunswick Brings The Stupid
En clair, rien ne permet de penser que la vie soit plus abordable pour les étudiant.es grâce à l’élimination de l’intérêt sur les prêts du NB, ni que les changements dans l’aide financière soient autre chose qu’un recul pour la population étudiante. Je dis ça parce que chaque dollar additionnel est un dollar dû, pas gagné. Notre province ouvre grand la porte aux hausses du coût de la scolarité grâce à un endettement plus facile, tout en coupant dans les montants d’aide non-remboursable.
Eh oui; encore (remontez voir le tableau).
Il serait naïf de croire que s’endetter encore plus pour absorber un coût de la vie hors de contrôle, mais sur lequel le gouvernement refuse d’agir, rend la vie plus abordable. Et il serait plus naïf encore d’ignorer le risque posé par la hausse de l’emprunt de source privée, sur lequel le NB n’a pas la capacité d’agir même si la volonté y était. Et je doute qu’elle y soit.
Dans le fond, ce n’est pas tant les outils inadéquats que le langage borderline mensonger utilisé par le gouvernement Higgs qui m’agace le plus. Mais bon, c’est aussi moi le cave qui perd son temps à essayer de voir clair dans nos blind spots.
Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets