On n’a sûrement pas la même définition
Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Depuis le 22 janvier dernier, l’incertitude autour du plafond sur les permis d’études a causé son lot d’angoisse dans le secteur postsecondaire. Dès l’annonce, les admissions étaient suspendues le temps que les procédures d’allocation des lettres d’attestation soient finalisées, mais enfin, toutes les provinces ont annoncé leur système.
Celui du NB est *officiellement* ouvert depuis le 18 mars, mais la province ne s’est certainement pas pliée en quatre pour nous informer. Qu’importe: on sait combien de lettres seront distribuées et c’est l’essentiel. Ceci dit, une lettre n’égale pas toujours une admission, et une admission n’égale pas toujours une inscription. Rien n’est assuré.
Le NB annonçait en mars un quota de 9300 lettres d’attestation, dont 2176 (23%) à l’UMoncton et 1856 (20%) au CCNB. Pas si mal à première vue - si ce n’était que le calcul fédéral prévoit un taux de conversion (% des demandes qui mènent à une inscription) de 60%, alors qu’on parle plutôt de 23% à l’UMoncton et de 36% au CCNB l’année dernière.
D’après ses calculs, l’Université de Moncton aurait besoin de ≈2500 lettres (au taux de conversion de 35%) pour garder le statu quo. Toutefois, les quotas ont été ajustés au début avril et Moncton recevra maintenant un peu plus de 3300 lettres à distribuer - ce qui réduit la pression pour augmenter son taux de conversion.
Attention, par contre: davantage de lettres ne signifie pas plus de places à remplir, mais uniquement plus de chances de remplir les places qu’on a reçues au départ: ce nombre-là (≈1300 places maximum, en principe) n’a pas changé.
Le problème, c’est que ce soulagement vient trop tard pour épargner la population étudiante, qui semble condamnée à payer la taxe d’incertitude.
Je m’explique: l’Université de Moncton dépose son budget au début avril. Ça signifie que ses prévisions se basent sur l’information reçue entre le début décembre (quand elle adopte ses principes directeurs) et la fin mars. Sachant que les membres du CDU reçoivent les documents à voter dix jours (ouvrables) avant la réunion, rien n’avait encore changé dans le nombre de lettres d’attestation quand cet envoi fut fait.
Puis quand l’annonce tombe à la fin mars, trop tard pour les ajustements. Well *techniquement* quelqu’un aurait pu soulever la question à la réunion du 6 avril, mais, vous savez, le lunch aurait pu refroidir. C’est pourquoi, comme par hasard (mais non), le « léger surplus » de 1,5 M$ annoncé par l’Université correspond plus ou moins au manque à gagner que causerait « une réduction de 100 à 150 étudiants » dont la valeur s’estime entre 1,47 et 2,21 M$. Léger, dis-je bien.
En tout cas, si l’Université vous invite à un « léger goûter », venez avec vos Tupperware.
C’est pourquoi on cherche sans trouver la logique du côté de l’Université, car je veux bien croire que l’incertitude appelait initialement à la prudence, mais plus on en apprend et moins il semble convaincant que l’époque de la croissance tire à sa fin.
Le 5 avril (veille du budget UMoncton, pour les intimes), le ministre fédéral de l’Immigration Marc Miller a publié les détails du calcul utilisé pour l’attribution des quotas provinciaux où il indique que les « provinces dont le taux d’approbation était inférieur à 60% » ont eu droit à un ajustement de leur nombre de places. Il dit enfin que les résultats obtenus en 2024 serviront à guider les décisions prises pour 2025 - date où les premiers ajustements à sa formule prendront place, si la chose est jugée nécessaire pour rétablir l’équilibre entre les provinces.
La dernière question majeure qui nous reste concerne les places remplies ou non et leur impact sur le quota de l’année suivante. Sera-t-il permis aux établissements d’utiliser les lettres qui leur restent (leurs offres refusées) au semestre suivant? Est-ce que ces places “vides” seront perdues? Puis si elles sont perdues, est-ce que d’autres établissements dans la même juridiction pourraient les récupérer avant que l’année ne se termine? Et si oui, quel sera le processus pour les redistribuer?
Aucune idée.
Aussi, selon la manière dont les quotas sont répartis sur 12 mois, la gestion des lettres et des permis disponibles pourrait causer bien des maux de tête. L’option la plus probable serait d’avril à mars, comme l’exercice financier, mais il se peut que ce soit de septembre à août, comme l’année universitaire ou même de janvier à décembre, comme l’année civile (et l’échéancier des cibles d’immigration à l’IRCC).
Et ce ne sont là que des questions de base, les trucs faciles à la surface. Évidemment, tout ceci a été imposé très vite aux établissements postsecondaires, à un moment névralgique du cycle de recrutement, et on se trouve en territoire inconnu. Du côté des deux ordres de gouvernement autant que du côté des établissements postsecondaires, l’année prochaine sera une période de rodage, comme l’indique le ministre Miller.
C’est quand même dommage que cette façon de faire, si son système plante, risque de faire augmenter drastiquement la facture des personnes étudiantes dans les établissements pris par surprise, ou comme Moncton, inquiétées par l’incertitude. Vous me direz peut-être que tout va être OK parce que le gouvernement a augmenté le maximum empruntable pour les prêts étudiants (et ça il faudra en reparler); mais 1) faciliter l’endettement n’est en rien une mesure d’accessibilité et 2) les personnes étudiantes internationales n’ont pas accès aux prêts gouvernementaux.
Comme le ministre Miller qualifie son approche de « modèle de croissance nette nulle », ses calculs sont basés sur un impact à l’échelle nationale. Il reconnaît toutefois que « certaines provinces et certains territoires accueiller[ont] plus d’étudiants en 2024 qu’en 2023, tandis que d’autres verr[ont] leur nombre de nouveaux étudiants diminuer. » Dans les provinces qui ont reçu un ajustement à la hausse, IRCC applique une limite de « 10 % [de] croissance par rapport à 2023. »
J’en déduis que l’Université de Moncton pourrait augmenter - pas diminuer - son nombre de personnes étudiantes internationales en 2024. Au minimum, la chasse est ouverte pour mettre le grappin sur un maximum de ce 10% additionnel, et contrairement aux établissements anglophones, elle n’a qu’un seul compétiteur au NB.
Si c’est possible d’exploiter cette brèche - même en partie - je vous passe un papier que personne ne va se gêner pour le faire. Puis comme la croissance se mesure à l’échelle provinciale (ce n’est pas 10% par établissement) ce sera premier arrivé, premier servi: si un établissement ajoute 485 inscriptions internationales, that’s it that’s all, y’en reste pas pour les autres.
Puis le sous-financement public fournit une excuse toute faite pour maximiser les revenus de source internationale. Et même si on n’est absolument pas d’accord que ce soit la solution au problème, ça reste une excuse 100% valide .
En terminant, rappelons que les lettres d’attestation sont requises seulement pour les nouveaux permis d’étude, et que les permis en vigueur avant le 1er janvier 2024 sont exemptés. Mentionnons aussi que le processus d’admission n’a pas vraiment changé du côté étudiant; les lettres seront envoyées automatiquement aux personnes dont le dossier d’admission est retenu avec les documents pour l’obtention du permis d’études.
D’ailleurs, le plafond ne s’applique pas aux nouvelles admissions aux cycles supérieurs - ce qui pourrait être vu comme une invitation par les universités. En clair, si on craint de perdre des inscriptions internationales au premier cycle, rien n’empêche de viser une hausse aux cycles supérieurs pour compenser. La proposition peut sembler attirante.
C’est tentant de croire qu’il n’y a aucun avantage à repenser sa stratégie à long terme si le plafond est temporaire. Sauf que, de la façon dont le ministre Miller parle d’ajuster la répartition à l’année 2 d’un plafond de deux ans, j’en suis pas si sûr.
Alors il paraît sage d’interpréter le mot « temporaire » venant du fédéral comme on le ferait pour « léger » venant de l’Université. On n’a sûrement pas la même définition.