Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
À la rentrée d’hiver 2022, certains s’en souviendront, on se demandait où/si une bonne partie de la communauté étudiante du campus de Moncton finirait par se loger.
Face à cette situation imprévisible (...disons) et urgente, l’Université a fait appel à la communauté, question de voir qui pourrait libérer quelques pieds carrés à prix modique dans son logis. L’arrangement pouvait être temporaire, le temps de se trouver un autre logement, ou plus stable. Pas idéal, on s’entend, mais ça a permis d’éviter le pire.
Sauf qu’ à la rentrée d’automne 2022, c’était la même histoire. Puis à l’hiver suivant, et encore cet automne. On commençait à craindre que ceci reste “la” réponse à la crise, mais inévitablement, la place allait finir par manquer. L’Université en était rendue à demander au monde en résidence de se tasser pour faire plus de place. Clairement, la solution à long terme se trouve ailleurs.
Quelques semaines après avoir annoncé une hausse importante des frais de logement, sans prévoir d’améliorations aux espaces, v’là-ti-pas l’Université qui sort dans les médias pour nous parler de son intention de construire deux nouvelles résidences! Le projet permettrait d’ajouter 160 places en résidence à Moncton, et 64 à Edmundston. Si la question du financement se règle rapidement, le vice-recteur à l’administration et aux ressources humaines (VRARH), Gabriel Cormier, estime que tout pourrait être terminé dès l’automne 2025. Ça me semble certainement optimiste vu le nombre de chantiers en retard dans la région, mais possible.
N’empêche, même si le gouvernement provincial a lancé une stratégie sur le logement qui inclut 12,8 millions$ pour « la création nette de 3300 nouveaux « lits » sur les sept campus des quatre universités publiques du Nouveau-Brunswick » (et y’a sûrement plusieurs manières d’interpréter pareil charabia) on est encore loin de la première pelletée de terre. De plus, ces subventions ne sont applicables qu’aux coûts encourus avant (ex: plans) et après (ex: intérêts) la construction. Alors, même si sa demande de financement soumise en novembre est restée sans réponse, je doute que l’Université annoncerait ses intentions si elle n’avait pas les moyens de financer le projet (dont le coût est estimé à 30 millions$).
Rappelons par ailleurs que les frais de logement vont augmenter de 7% par année sur deux ans. Je ne sais pas si c’est le fruit du hasard, mais disons que je garderais l'œil ouvert pour ne pas me prendre les branches du hasard en pleine face.
S’il est vrai que la population étudiante à l’Université de Moncton augmente vite (+25% sur cinq ans) il est pertinent de rappeler que l’Université n’est pas tenue de fournir un logement à chaque personne qui s’inscrit. En temps normal, une telle croissance de l’effectif s’inscrit dans un plan qui inclut les soutiens nécessaires; on planifie, on prévoit, on gère. Ici, c’est clair, on réagit.
Malgré tout, l’Université n’est pas vraiment à blâmer. L’une des raisons principales des ratés dans la réponse à la hausse des inscriptions, c’est que cette croissance n’était pas prévue, et encore moins planifiée. Sans tomber dans les détails, des changements aux règles sur les permis d’études en 2022 ont fait que plus de gens que prévu en ont reçu.
Et comme la croissance des inscriptions est à 100% de source internationale, la demande pour le logement sur le campus s’accentue. S’il manque déjà de logements abordables hors-campus, et qu’habiter chez ses parents n’est pas une option, le calcul est assez simple.
Du peu de chiffres que j’ai pu trouver sur la question, on peut estimer qu’ environ 13% de la population étudiante au Canada vit dans les résidences ou logements universitaires, contre 48% dans des logements hors-campus, et 35% chez ses parents. Ça veut dire que l’Université de Moncton (avec 5316 inscriptions en septembre 2023) devrait pouvoir loger environ 700 personnes étudiantes (691 pour être exact) dans l’ensemble du réseau, du moins en théorie.
Question de jauger notre capacité d’accueil, je me suis basé sur les données dans la section «logement» du site web de l’Université. En tout et partout, j’ai compté 89 logements (89 lits) à l’UMCE, 53 logements (97 lits) à l’UMCS, et 426 logements (673 lits) à l’UMCM.
Sachant que notre capacité maximale (quand 100% des logements sont occupés) est de 771 à 843 personnes, difficile de conclure que nous avons un problème en termes de capacité d’accueil. L’UMCE serait l’exception, car le besoin hypothétique y dépasse légèrement le nombre de lits disponibles. Rappelons que le constat se fonde strictement sur cette marque de 13%, sans considérer les dynamiques régionales du marché locatif qui peuvent pousser une plus grande proportion de personnes étudiantes à chercher une place sur le campus.
Mais, même si l’Université de Moncton dépasse la “norme” en ce qui concerne l’offre de logement étudiant, comment dire? Ça ne reflète pas forcément l’impression de la population étudiante à ce sujet.
Il faut dire que logement existant n’égale pas toujours logement disponible - ou convenable. La croissance record de la population au Nouveau-Brunswick, le fait que Moncton soit la ville dont la population augmente le plus vite au Canada, et une diminution de 25% du nombre de logements abordables, doublée de l’augmentation générale du prix des loyers y sont sans doute pour quelque chose…
La population immigrante sert souvent de bouc émissaire pour la crise du logement, car il est vrai qu’elle a énormément augmenté en moins de 10 ans. Mais jusqu’ici, parce que le coût du logement ne semblait pas hors de prix pour les personnes canadiennes, il ne s’agissait pas d’un sujet aussi “chaud”. Ça fait au moins aussi longtemps qu’on nous répète qu’il manque de monde au Canada, que les grandes entreprises manquent de main-d’œuvre. Mais en vérité, c’est surtout la main-d’œuvre bon marché qui “manque” - et historiquement, les personnes nouvellement immigrées rapportent des conditions de travail moins avantageuses. Encore une fois, attention aux branches...
Malgré des exigences élevées au niveau de la formation acquise pour l’entrée au Canada, beaucoup se trouvent en situation de chômage ou de sous-emploi. La difficulté à faire reconnaître le diplôme ou l’expérience de travail peut placer les personnes nouvellement immigrées en situation précaire. Malgré tout, une fois ici, tout ce beau monde doit se loger. Résultat: la demande dépasse l’offre de logement abordable.
Puis le marché est clair: la demande monte? Les prix augmentent!
Il serait aussi tentant que facile de blâmer la crise du logement sur le marché. Sauf que, s’il y avait des mesures en place pour limiter la hausse de la valeur marchande des propriétés, on n’aurait peut-être pas complètement évité la crise, mais on pourrait mieux la gérer. Car en l’absence de limites, partout où il sera permis de profiter de circonstances favorables, le secteur privé va habituellement le faire.
C’est dans sa nature - et généralement attendu - personne n’ouvre le sac de chips pour en manger seulement un, surtout si se faire prendre la main dans l'sac est sans conséquences.
Mais ce n’est pas si simple; il faut quelqu’un pour les construire et les gérer, nos logements, et si nos règles deviennent trop strictes, c’est l’argent qui décide. Est-ce qu’on reste pour être pénalisés, ou on s’en va faire du cash ailleurs?
Il y a quand même de l’espoir pour le logement abordable, si on regarde du côté des coopératives d’habitation. Ou encore, des OSBL comme UTILE qui construit des logements étudiants abordables - tenez-vous bien - en ciblant la solvabilité des projets. L’objectif est de couvrir le coût de construction et financer le coût d’opération de l’édifice, sans viser de profit. Dans les coopératives, un modèle d’entreprise très répandu en Atlantique, le loyer est fixé soit en fonction du taux minimum dans le marché local, ou du revenu des locataires. Tout excédent à la fin de l’année peut être versé aux membres sous forme de ristourne, ou demeurer dans les coffres de la coopérative pour pallier aux imprévus ou financer des améliorations. Quoi qu’il en soit, cette décision appartient aux membres.
Puis même dans un modèle qui ferait davantage de place aux coopératives d’habitation, les contracteurs auront quand même de la job et pourront fixer leurs prix en fonction de la demande. La seule “perte” que j’envisage serait dans la valeur marchande de l’organisme qui exploite l’édifice (ce qui ne figure généralement pas dans les priorités, vous l’aurez compris, si son but est d’éviter un déficit).
Alors, le problème n’est pas tant qu’il n’y a rien à faire pour contrer la crise du logement, loin de là: le problème est qu’on préfère - comme société - avoir du monde dans la rue et des poches pleines, plutôt que des logements pleins et des poches vides.