Prévenir en retard
À la dernière rencontre du Conseil de l’Université (CDU) de Moncton, tout juste avant le début de la période des examens de fin de session, alors que devait par ailleurs tomber la décision sur le changement de nom de notre institution, on a aussi trouvé le moyen - que de générosité - de faire un peu de place à la question du logement étudiant.
La crise du logement abordable à Moncton n’est plus à mettre en doute, ni à décrire. J’en ai marre et vous aussi, parce que tout ce que ça peut accomplir est de ruiner notre journée en agonisant sur une situation sur laquelle on a peu ou pas de contrôle, et qui prend des ANNÉES à se régler même quand tout le monde est d’accord sur la solution.
Le pire, c’est que pendant ces années qu’il faudra pour mettre en œuvre ladite solution, la batince de situation peut facilement changer par trois fois. Pour le mieux ou pour le pire.
Mais bon: l’Université est consciente du problème et est arrivée à s’entendre sur ce qu’il faut faire pour régler tout ça, vous l’aurez compris, pour aider les personnes étudiantes.
… Ben voyons donc: on parle de l’Université de Moncton, quand même. Parce que, spoiler, le nom restera le même. Je vous l’ai dit: c’est TOUJOURS l’argument financier qui tranche le débat, même si on essaie de nous le présenter autrement.
Alors, c’est quoi l’éclair de génie de notre Université sur la crise du logement abordable?
L’illumination soudaine, c’est que les personnes étudiantes ne paient pas assez cher pour leur logement sur le campus. Ouaip. Faut faire gonfler la facture au plus vite: 7% cette année, et 7% l’année prochaine. Sauf à Shippagan, où le parc immobilier est moins magané, et c’est 3%.
Et plus on creuse, moins ça fait de sens. Je veux dire: l’Université justifie cette augmentation par un besoin urgent de « rattraper le temps perdu concernant le maintien de nos résidences ». Autrement dit, le bateau a tellement été raté (déformation toute acadienne: la Déportation, vous savez) et ça a pris tellement de temps à s’en apercevoir, qu’il faut faire du profit au plus sacrant. Et comme on ne peut pas revenir en arrière pour facturer les gens qui ont habité dans les résidences pendant qu’il était encore temps d’investir pour éviter qu’elles ne tombent en miettes, le choix logique est de facturer les miettes d’aujourd’hui causées par la mauvaise gestion d’hier, aux personnes étudiantes de demain.
Je suis content pour les personnes étudiantes de Shippagan, ne vous y méprenez pas: mais il faut *peut-être* que quelqu’un souligne l’ironie du raisonnement utilisé pour les placer à l’écart de la hausse. Le problème à la base, c’est que des décennies d’entretien différé (ça, c’est un procédé budgétaire, qui se résume plus ou moins à dire: « vraiment, faudrait l’arranger tout de suite, mais ça peut attendre ») des espaces ont causé l’état qu’on devine critique aujourd’hui. Alors, expliquez-moi pourquoi on ne prévoit pas le coup à Shippagan au lieu de répéter les mêmes erreurs? C’est sans doute vrai que l’entretien peut être repoussé dans l’immédiat - personne ne risque de mourir encore - alors pourquoi ne pas prendre les fonds nécessaires et les placer dans un compte, je sais pas, POUR LES RÉPARATIONS FUTURES???
Faut croire que l’Université peut t’instruire, mais ça ne rend personne intelligent. Pour un campus qui vantait les mérites des « frais de scolarité prévisibles et stables » il n’y a pas si longtemps, ce serait logique d’essayer de faire pareil pour le logement, non?
Bon, il n’y a pas que l’entretien qui ait pesé dans la décision. C’est injuste de ma part de la résumer à cela. Une nouvelle résidence est envisagée à Edmundston, et potentiellement deux autres à Moncton. Un autre aspect à considérer, au-delà des réparations et de l’entretien, est l’amélioration est édifices «dans un objectif d’efficacité énergétique et d’écoresponsabilité».
Il y a lieu de modérer nos éco-attentes, car à peine 3 ans passés, la FÉCUM voulait investir 20 000$ pour l'installation de panneaux solaires sur le toit du Centre étudiant dans le cadre de son budget participatif. L’idée - d’abord lancée en 2018 - a dû être abandonnée, car la structure du Centre étudiant n’était pas assez solide pour tenir les panneaux, selon l’Université.
Et c’est l’un des édifices les plus récents (1993) sur le campus de Moncton. De plus, les structures triangulaires sont idéales pour la répartition des masses. Et le reste des édifices du campus ont des toits plats.
Alors Je ne sais pas à quel point les autres bâtisses en sont à une volée de goélands particulièrement baquets près de s’effondrer. On garroche encore le bleu, le blanc pis le vert dans le même bac, bout d’batince, pis on va se ruiner à verdir le parc immobilier? J’en doute.
Une autre des facteurs dans les discussions avant d’adopter la hausse, mais qui n’ont pas trop pris de place dans les déclarations publiques (pour des raisons évidentes), était l’écart qui se creuse entre le coût des logements locatifs privés, et les logements universitaires.
Passons sur le fait qu’il serait idiot de viser la compétitivité quand on a une clientèle à la fois exclusive et captive, et présumons qu’il faille effectivement être compétitifs avec le secteur privé dans le secteur du logement: comment est-ce qu’on pourrait en juger?
Le prix du loyer ne semble pas une mesure juste, puisque la taille de la plupart des logements universitaires n’a rien à voir avec les appartements dans les quartiers avoisinants, et là où la taille s’en approche, les conditions (à commencer par le droit d’avoir un four pour se faire à manger ou, disons, un climatiseur pour ne pas cuire durant la période estivale…) ne sont pas les mêmes. En plus, les logements du campus sont loués pour 8 mois, alors que les bails à l’extérieur sont de 12 mois. Ah - et il faut payer un supplément pour rester dans les logements universitaires pendant les périodes de fermeture du campus (le congé des Fêtes, par exemple).
Pour une comparaison moindrement juste, on a choisi de se rabattre sur le coût mensuel du loyer par pied carré. Et je peux vous dire qu’on a eu une petite surprise en faisant ce calcul-là.
Incluant le coût mensuel par personne et les extras qui s’appliquent aux résidences, on y paie en moyenne 3,57$ par pied carré, chaque mois, et un loyer moyen de 702$ par personne.
Ce coût inclut quand même des services, comme l’électricité, l’eau, l’internet, etc. qui sont parfois inclus ailleurs, mais pas forcément tous, ni toujours. Mais quand même, difficile de se dire qu’on ne maximise pas déjà le rendement de ces espaces, somme toute, restreints.
Dans les appartement, ce coût mensuel du loyer par pied carré, en moyenne, était de:
- (Sur le campus) 150 et 160 Ave Morton: 1,49$ par pied carré.
- loyer mensuel (par pers.): 357$ à 903$ (moyenne: 563$)
- (Proche du campus) 80 Ave Morton: 1,84$ par pied carré
- loyer mensuel (par pers.): 521$ à 1295$ (moyenne: 804$)
- (15-20 min. de marche) 100-101 Rue Archibald + 40 Rue Weldon: 1,58$ par pied carré
- loyer mensuel (par pers.): 531$ à 1125$ (moyenne: 676$)
- (40-45 min. d’autobus) 1265 Blvd Dieppe: 1,25$ par pied carré.
- loyer mensuel (par pers.): 672$ à 1018$ (moyenne: 870$)
Alors…
Côté “compétitivité”, là où le terme s’applique le mieux - les appartements - ne devrait pas être une inquiétude majeure pour l’Université, surtout pas en termes de coût par pied carré. En principe, charger davantage pour le même appartement (en piètre état d’après l’action drastique prise par le CDU) tiendrait presque de l’arnaque. Et ne parlons pas des résidences, car je ne vois pas comment la proximité justifie un coût proche du triple de celui du marché hors-campus.
Il se peut aussi que la compétition se mesure autrement - par exemple, d’autres universités du N-B ont été mentionnées. Ce qui est aussi, évidemment, ridicule quand on parle de la seule université francophone de la province.
Qui sait combien de locataires iraient se loger ailleurs, si la possibilité leur était offerte? Rares sont les blocs où un taux d’occupation de 100% est une chose quasi-garantie, et encore plus quand la situation économique se détériore.
Faut croire que quelqu’un a sérieusement échappé le ballon en cours de route, pour que la solution la plus sensée soit de prévenir… en retard.