Texte et image par Raymond Blanchard
Le 8 juin marquait le dépôt de la politique 713 révisée. Le processus (bâclé au possible) n’a pas été suspendu comme il aurait certainement mieux valu le faire, mais plutôt accéléré pour en finir au plus sacrant avant la fin de la session parlementaire.
Il en résulte que la version “finale” entre en vigueur le 1er juillet, si imparfaite soit-elle. Ça peut changer; mais rien n’indique que ça changera. Et ce, même si le Défenseur des enfants et des jeunes, Kelly Lamrock, y décèle (je traduis) «une formulation si boiteuse et involontairement discriminatoire qu’elle ne semble répondre aux besoins de personne».
Ça me semble charitable de dire « involontairement », mais bon - il doit rester impartial.
Pour illustrer la position du gouvernement ici; on peut s’entendre sur le besoin d’un programme de déjeuners gratuits dans les écoles, parce que manger à sa faim est essentiel à l’apprentissage, car on réalise que ce ne sont pas tous les enfants qui peuvent manger le matin, mais on est prêt à forcer des élections pour se donner le droit de mégenrer des élèves vulnérables. Cherchez l’erreur.
Le ministre de l’Éducation et du développement de la petite enfance (MEDPE) Bill Hogan, et le Premier ministre Blaine Higgs, invoquent tous deux un soi-disant besoin de protéger les «droits des parents», pour justifier la réforme. C’est aussi un thème populaire de la droite conspirationniste canadienne et américaine, alors un grain de sel s’impose. Par ailleurs, les enfants 2ELGBTQIA+ ne sortent pas des feuilles de chou, quand même.
En clair: IELS ONT AUSSI DES PARENTS quelque part, dont les droits sont menacés.
Pousser des gens en position de confiance à mégenrer des élèves à qui cela peut et va causer du tort n’aidera personne. Ces dommages peuvent être apparents et immédiats, mais ne le seront pas toujours. Leur pleine ampleur peut très bien se révéler longtemps après la sortie du système scolaire, car l’instinct de survie va se manifester différemment selon la personne, la famille, le milieu, la culture, etc.
C’est pourquoi le Défenseur des enfants et des jeunes, Kelly Lamrock, demande de rétablir la Politique 713 dans sa version originale. Rien de surprenant - ni de “politique”, de “décevant” ou de “malheureux” comme le dira certainement le Premier ministre. Questionné sur les conclusions du rapport de Lamrock, Higgs répond « That’s his opinion ».
Car - encore une fois - PERSONNE DANS LES ÉCOLES N’A DEMANDÉ CETTE RÉVISION. Certainement pas le personnel scolaire qui devra s’y conformer, pas plus que les élèves qui vont en subir les conséquences. Et comme on le verra plus loin, le personnel intervenant en situation de crise non plus.
Heureusement, il y a plusieurs membres de l’opposition qui se sont levés en Chambre pour condamner cette politique - on a même vu des membres du gouvernement Higgs le faire.
L’ex-ministre de l’éducation, Dominic Cardy, a livré un long plaidoyer pour l’appui à la diversité et à la sécurité des élèves dans nos écoles, que je vous invite à écouter (de 1:42 à 2:22). Sa perspective est très intéressante, étant donné qu’il fut expulsé de son poste (et du parti) pour avoir contredit/dénoncé Higgs - puis remplacé par Hogan, le « bon soldat». Un élément marquant est la comparaison qu’il fait entre l’augmentation du nombre d’élèves 2ELGBTQIA+, et le nombre grandissant de gauchers en société.
Son point est le suivant: quand on cesse de punir/démoniser la différence, qu’on ne se fait plus une mission de la corriger, et qu’on établit un climat qui encourage chaque personne à vivre et exprimer ce qu’elle EST, sans l’avoir choisi - c’est inévitable que la diversité sorte de l’ombre. On ne « groom » personne, pas plus qu’on fait la « promotion » de la transidentité ou de la non-binarité dans nos écoles, malgré ce qu’en dit le Premier ministre.
En fait, ce qui se passe dans nos écoles vise une seule fin: l’éveil à la diversité et le respect des différences - qui sera la seule manière d’en finir un jour avec les peurs irrationnelles.
C’est pourquoi le pourcentage d’élèves s’identifiant comme non-binaires a visiblement augmenté depuis 2020; le climat change dans les écoles, et crée peu à peu un espace où toustes se sentent plus libres d’être elleux-mêmes. Ça n’a rien d’une épidémie, ni d’une « mode », comme dit Blaine Higgs.
De façon logique, cette révision vise à garder les jeunes 2ELGBTQIA+ dans le garde-robe aussi longtemps que possible. Peut-être pas toustes, mais assurément celleux qui doutent que leur coming-out soit reçu positivement par leur entourage.
Après l’âge de 16 ans, la Politique 713 continuera de s’appliquer comme avant la révision. Cette démarcation n’a rien d’arbitraire, et procède d’un changement dans le degré et le partage des responsabilités entre l’individu et le gouvernement.
Entre 0 et 15 ans, l’entourage peut juger de l’« intérêt supérieur de l’enfant » (en anglais: child’s best interest). Cela suppose que les parents puissent agir comme “guide bienveillant” et, en cas contraire, que l'État prendra la relève. Le gouvernement conçoit ainsi l’enfant comme - plus ou moins - incapable d’exercer son libre-arbitre de façon responsable. Pourtant, les jeunes de moins de 16 ans ont le droit de prendre plusieurs décisions importantes quant à leurs corps et leur santé. Le lien semble évident: mais bon.
C’est cette vision plutôt paternaliste qui a guidé la révision de la Politique 713, et on voit où ça nous mène. Papa ne demande jamais si on va dans la bonne direction, car papa sait.
Higgs s’est dit prêt à déclencher une élection sur la question, bien qu’il se soit ravisé depuis. Les membres de son caucus qui ont critiqué l’abus de pouvoir et le manque de transparence venant du Bureau du Premier ministre ont répondu de façon surprenante à ce défi, en votant en faveur d’une motion de l’opposition qui condamne la révision de la Politique 713, et demande de rétablir sa version initiale - en plus de placer entre les mains du Défenseur des enfants et des jeunes la tâche de mener les consultations sur une éventuelle révision.
Cette motion, précisons-le, est non-contraignante; alors Higgs peut l’ignorer sans entacher le processus. Sa réputation, c’est une autre histoire; mais en même temps il a été nommé chef du parti pour une raison…
Les premières personnes à consulter quant à cette révision étaient 1) les élèves et 2) le personnel scolaire: mais le résultat montre bien que le gouvernement est prêt à les ignorer.
Fait que: on va diriger les enfants en questionnement ou en détresse « vers un membre du personnel scolaire approprié (par exemple : travailleur social scolaire ou psychologue scolaire) pour développer un plan pour parler à ses parents si l’élève est prêt à le faire ou lorsque l'élève le sera. » Bien malgré les compétences et la bonne volonté de ces personnes, je crains que ce genre de processus contribue surtout à rétrograder la transidentité ou la non-binarité au rang de maladie mentale dans l’imaginaire collectif.
La maladie mentale n’est jamais un choix; mais elle se traite. L’état de la personne en crise peut évoluer, s’améliorer par le biais de la thérapie: le même principe ne s’applique pas à l’identité de genre ni à l’orientation sexuelle. Croire le contraire, c’est appuyer la thérapie de conversion, une pratique non seulement bidon, mais surtout cruelle et illégale.
Sans surprise, s’il ne l’appuie pas ouvertement, Higgs refuse de la condamner.
C’est une vision très - trop - simpliste d’une situation bien plus complexe, mais personne ne devrait partir pour l’école en s’attendant de souffrir à cause de qui iel est - pas “devient”, pas “choisit”: EST. Que cela soit la règle ou l’exception ne le rend pas moins inacceptable.
Et puis même la structure de soutien avancée par le gouvernement soulève des doutes. Chez les « membre[s] du personnel scolaire approprié », on trouve davantage d’opposition que d’appui pour la révision de la Politique 713. Les travailleurs sociaux demandent au gouvernement d’annuler sa décision, au nom de la sécurité des élèves LGBTQIA2+; les psychologues refusent d’être forcés à mégenrer les élèves, et ont déjà déposé des procédures de grief contre l’employeur.
Puis sachant que 84% des postes de psychologue scolaire sont actuellement vacants dans le système anglophone, alors il y a de quoi douter des plans du ministre -au minimum.
Dites-moi encore, monsieur Hogan, que vous avez consulté les groupes affectés.
Il n’est pas clair non plus que la confidentialité de l’élève (garantie à l’article 5.1 de la Politique 713) serait assurée en cas de référence à un.e psychologue scolaire. Mais rares sont les écoles où des services en psychologie et/ou en psychométrie sont disponibles et accessibles en tout temps. Une journée par semaine serait déjà du luxe.
Le Collège des psychologues du N-B condamne la version révisée de la Politique 703 car « elle met en danger une partie de la population », soit dit en passant.
Dans le dernier texte, je faisais un lien entre la situation actuelle - où la désinformation prend aisément plus de valeur que les faits - et le roman 1984 de George Orwell.
Une autre similarité se dessine ici, car les enfants dans ce monde dystopique sont invariablement membres d’une sorte de pastiché des jeunesses hitlériennes, soit les Espions (en anglais: « Spies »). Leur premier devoir est de surveiller constamment leur entourage - à commencer par leurs parents - et dénoncer tout comportement, action ou pensée contraire à la vision de Big Brother, le leader incontesté et incontestable.
À mon sens, c’est ce que la Politique 713 encourage maintenant chez les élèves. Car il va sans dire que ce n’est pas l’élève qui souhaite qu’on change notre façon de s’adresser à iel qui lancera son enseignant.e aux lions; ni celles qui sont sympathiques à ce besoin - ce seront celles que ce besoin dérange, que la diversité déstabilise, effraie. Ou leurs parents.
Ceci dit, ce ne sont pas tous les parents qui sont originaux dans leur choix de prénom, alors il est fréquent que deux ou plusieurs élèves d’une même classe aient un nom identique, ou similaire. Utiliser un sobriquet (ou «nickname») offre une solution pratique qui ne pose aucun problème. Il serait donc discriminatoire de refuser de le faire pour un.e élève transgenre ou non-binaire. C’est pas plus compliqué que ça.
Parce que, contrairement à bien des gens en position d’autorité, la vaste majorité du personnel enseignant se soucie du bien-être et de la sécurité des élèves.
Mais on ne décèle aucun intérêt ni ouverture dans cette révision pour l’impact vécu par les élèves qui se voient forcé.e.s - trop souvent - à réprimer qui iels sont pour éviter d’offenser, comme l’aurait dit Brassens, « tous ces gens bien intentionnés » chez la majorité blanche, cisgenre, hétérosexuelle, hétéronormative, hétcaetera. Ça a bien l’air que c’est moins le fun d’être « normal » quand on ne peut pas forcer les autres à être comme nous.
Et la norme, je vous la résumerais en ces termes: le mauvais dehors; le mal dedans.