Texte et image par Raymond Blanchard
Pour l’amour, je ne sais plus par où commencer.
Il faudra parler plus tard du “retour” des conseils d’administration en santé (ou pas du tout - et c’est peut-être ça la stratégie du GNB) parce que là, si y’a une place où le plafond brunit dans l’immédiat, c’est bien dans le système scolaire. Pas qu’il soit propre ailleurs, notez.
Après deux ans sans contrat de travail, le syndicat enseignant renonce à une grève avant la fin de l’année scolaire, on le devine par crainte de s’attirer la colère du public en perturbant la saison des bals et/ou l’ensemble des activités parascolaires. Vu l’investissement en temps et en argent que tout cela représente, on peut comprendre que l’inaction soit justifiable. Sans oublier que, bénévole ou pas, le personnel scolaire aussi s’investit dans ces projets qui améliorent l’expérience scolaire et qu’il n’est jamais agréable de les voir tomber à l’eau.
J’ai mon opinion sur les bals de fin d’année, que je vous épargnerai ici. Puis vous aurez la vôtre - c’est votre droit autant que le mien. Mais le focus est *peut-être* au mauvais endroit si on cherche le meilleur intérêt du système scolaire. Heureusement pour les leaders syndicaux, avec le bon corset, avoir une colonne devient optionnel.
Parle-moi de te faire passer un citron, toi.
Or, quelle sera la suite? Un décompte de 100 jours débute le 20 mai prochain, fixant l’échéance pour un vote de grève au 28 août - à moins que les négociations (qui sont en phase de conciliation, rarement signe de convergence dans les intérêts) aboutissent sur une offre convenable. Pour l’instant du moins, la crise est repoussée - le gouvernement a réussi à ralentir le processus à un tel point qu’un vote de grève maintenant serait une arme pour lui autant que pour le syndicat, sinon plus. Ça prenait pas Nostradamus pour le voir venir.
Comme pour se féliciter de sa bonne gestion des services publics, le gouvernement provincial adopte la même semaine un projet de loi pour augmenter le salaire de députés de 9,3%, et celui du premier ministre de 13,6%. Quel sens du timing, quand même!
Pour une raison quelconque, impensable pour le gouvernement d’offrir à d’autres ce qu’il s’accorde à lui-même. Comme dirait Mémé: « c’est comique, mais c’est pas drôle. »
Bon, bon, on va dire qu’ils travaillent dur - le gouvernement s’enligne justement pour voter 14 projets de loi en 15 jours. Clairement, la démocratie ne se tient pas debout toute seule, hein? Pour moi ils ramassent les gros stamps.
Cette augmentation relève d‘une « évaluation indépendante » et ferait semble-t-il consensus à l’Assemblée (duh); mais ça ne change rien à rien. Les recommandations sur la révision de la Loi sur les langues officielles (LLO) aussi venaient d’une évaluation indépendante, et Monsieur a zéro problème à les ignorer - sinon à faire carrément le contraire.
Dans le même ordre d’idées, le ministre de l’éducation et du développement de la petite enfance (MEDPE), Bill Hogan, semble avoir laissé tomber toute notion de progrès dans son conservatisme, en pliant à la pression d’un « groupe de parents » mals à l’aise avec la politique sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre (Politique 713) en milieu scolaire. Une des craintes du ministre est de voir les enfants exposés à des concepts qu’ils ne sont pas outillés pour comprendre. C’est malaisé de dire qui est le moins outillé ici, vraiment.
Mais c’est quoi, le problème? L’application de la Politique 713 aurait « révélé des situations où elle était peut-être trop large et/ou peu claire. » Sauf que si c’est le cas, pourquoi ne pas appuyer la formation du personnel au lieu de les jeter sous le bus en s’en lavant les mains?
Mais la Politique aura toujours ses limites, car le respect des différences et le maintien d’un milieu sécuritaire pour les personnes 2ELGBTQIA+ peut bien mal se faire de la même manière partout. C’est un fait. Les besoins ne sont pas forcément les mêmes là ou flottent les drapeaux de la “Straight Pride” et où les traverses pour piétons sont aux couleurs de l’arc-en-ciel, alors un cadre large n’est pas réellement problématique. Puis, là où il y a de l’inconfort ou de l’incertitude dans la mise en œuvre, la formation peut servir d’appui.
C’est l’évidence même. Alors, quand une réunion du personnel scolaire sur l’application de la Politique 713 fut prise d’assaut par des protestataires disons, insuffisamment informés, le ministre a eu l’occasion de montrer toute l’ampleur de son appui au personnel enseignant. Il n’a rien à voir avec l’application des politiques de son ministère, nous dit-il: allez poser vos questions au syndicat si vous êtes fâchés. N’empêche, il annonce aussitôt qu’une révision de ladite politique est en cours - dans le cadre d’actions plus larges visant « l'amélioration du système d’éducation ». C’est prévisible que ces “améliorations” plairont davantage aux chialeux sur le perron de porte qu’aux élèves à l’intérieur de l’école - et moins que tout, aux élèves qui ne se reconnaissent pas dans cette « norme » héritée d’une époque révolue.
Oh, mais God forbid que le monde “normal” se sente mal à l’aise!
Donc, si on récapitule: ignorer 15 000 personnes qui demandent de meilleures conditions d’emploi pour le personnel en salle de classe - y’a rien là. Mais « 20 à 30 personnes » avec des pancartes, et on révise des politiques qui s’appliquent à l’échelle de la province, ET la Loi sur l’éducation en bonus? Cette réforme, d’ailleurs, personne n’en veut sur le terrain car elle cible des problèmes imaginaires, sans impact (négatif ou positif) en salle de classe.
Et cette foule de 700 personnes - ce qui est plus que « 20 ou 30 » by the way - contre la révision de la Politique 713 sur le parterre de l’Assemblée législative, est-ce que le ministre va aussi l’ignorer? Et les 350 à Saint-Jean? J’ai hâte de voir quelle loi on révise ensuite.
Mais restons-en à la Loi sur l’éducation: il faut d’abord savoir que, contrairement à la majorité des lois provinciales, celle-ci n’est pas soumise à la LLO. Ô Hasard, serait-ce ton amer fruit que je goûte?
On peut certes comprendre l’aspect peu pratique d’imposer la livraison des services éducatifs dans les deux langues officielles alors que les écoles sont conçues pour fonctionner en français ou en anglais, d’où cette exception. Dans le jargon:
« La communauté linguistique française et que la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux dont notamment le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion »
Mais n’est pas considérée « institution » qui veut, et sont exclus:
« les sections française et anglaise du [MEDPE], y compris les écoles et leurs comités, les conseils et administrations, les centres communautaires, les universités et, le cas échéant, les collèges communautaires. »
En gros, ça permet aux écoles de fonctionner dans la langue de la communauté desservie. Astheure, les aspects liés au fonctionnement peuvent varier selon l’interprétation - ce n’est pas sans raison si Hogan insiste que sa réforme n’aura « aucune incidence sur l’expérience quotidienne des élèves et des enseignants en salle de classe. »
Toujours d’après lui, « tout ce que nous avons fait et tout ce que nous ferons est motivé par un objectif : l’amélioration du système d’éducation. » Noble intention.
Mais champion: sans impact en salle de classe, là où on éduque, comment peut-on améliorer le système d’éducation? Ça file un peu comme brosser les dents de son chien avec du dentifrice au poulet - oui ça marche mieux, mais il pue encore de la gueule après.
La grande innovation proposée par le ministre Hogan se résume plus ou moins à retirer aux conseils d’éducation leur pouvoir de décision et à placer la direction des districts scolaires sous son autorité. Ça semble presque anodin, dit de même, voire logique. Mais - mais - ce changement s’applique uniquement aux districts scolaires anglophones.
Quand GNB sort une belle page web pour “présenter ses réformes”, d’expérience, la chose saine à faire reste de douter des intentions. D’autant plus que, au haut de la page, on lit la mention suivante: « L’un des principes directeurs a été l’obligation que nous impose la Charte de préserver et de promouvoir les droits des minorités. » C’est peut-être pas faux, mais pourquoi ce serait nécessaire de le préciser?
Et si on regarde l’article 16.1(1) de la Charte, l’interprétation de Hogan semble incomplète - « droits et privilèges égaux », me semble que ça veut dire pour tout le monde. Pour une raison quelconque, lui invoque l’article 23, qui touche l’accès à l’éducation dans la langue de la minorité - mais pas la gouvernance des établissements qui la prodiguent. Ma crainte à ce point-ci est que ce sont les limites de la Charte que Higgs & Co. veulent tester, dans le genre « si on l’enlève à la majorité en premier et à la minorité ensuite, c’est égal ».
La seule partie de sa réforme qui s’applique uniformément est l’ajout d’une place aux élèves dans la structure de gouvernance. Et oui, je parle des mêmes élèves qu’on avait peur de scrapper avec la Politique 713 tantôt. Ça nous prend des petits gestionnaires, pas des enfants biens dans leur peau et en sécurité à l’école. C’est ça la priorité, entre les lignes.
Alors: le lien entre les districts francophones et le Ministre restera consultatif, tandis qu’il pourra imposer sa vision aux districts anglophones. Je me demande qui sera blâmé.
Hogan? Un ministre, ça se change quand la pression monte et on l’a vu plus d’une fois. La minute où il osera contredire le boss, il ne fera pas long feu et tout le monde le sait.
Higgs? Encore faudrait-il que Monsieur puisse entretenir la possibilité qu’il ait tort (ou au minimum que les faits… existent): c’est pas demain la veille! Puis, même s’il reste flou sur son avenir politique, il finira bien par partir un moment donné. Le temps fera son œuvre.
Mais les protections dont bénéficie la minorité, alors que le gouvernement gruge les acquis de la majorité? Celles-ci sont constitutionnelles et ne changeront pas de sitôt. La LLO provinciale étant axée sur la mise en œuvre de la Charte au N-B, le gouvernement provincial peut la remanier au besoin. À plus forte raison que l’exigence de révision aux 10 ans pourrait être retirée de la LLO sous peu - bien qu’elle ne soit pas un obstacle à “l’améliorer”.
Tout ce cirque renforce l’impression que la LLO joue contre la majorité anglophone - largement favorable à la LLO et au bilinguisme en général, il faut le rappeler - en donnant tout aux francophones. Qui sait où ça pourrait aboutir? Améliorer les conditions de la minorité dans un souci d’équité, ça se défend, mais là on parle d’enlever des droits aux anglophones en invoquant l’article 23 - c’est plus la même game.
Qu’il s’agisse de conditions d’emploi pour le personnel en salle de classe, du droit fondamental d’exister sans que ça pose un risque à son existence (le but de la Politique 713 n’est pas d’endoctriner personne), ou de « l’amélioration du système scolaire » sans réelle considération pour l’expérience vécue sur le terrain, c’est du pareil au même. Loin de progresser - ou de conserver, tant qu’à ça - nous régressons. Rien n’est anodin sous Higgs; qu’on se le tienne pour dit.
Parce qu’en fait de leadership rassembleur et de progrès social, le mieux qu’on puisse espérer reste: « Faites ce que je dis, pas ce que je fais. »