Texte et image par Raymond Blanchard
Dans le texte précédent, on a fait un survol historique de la contestation du nom de l’Université de Moncton. Ce nom est remis en question dès le départ, car il ne fait pas l’unanimité même chez les personnes qui orchestrent sa création. On l’imaginait « Université Notre-Dame» », « Université Beauséjour », « Université des provinces Maritimes », « Université d’Acadie », ou « Université Lefebvre », autant de noms qui affirment plus ouvertement sa nature francophone - du moins à l’époque - que « Université de Moncton ». Par nécessité, ce lien à l’Acadie ne sera pas évident.
Mais on ne peut nier le rôle que notre Université a eu dans l’affirmation du fait francophone à Moncton, où le droit de parler français en public fut chèrement acquis. En serait-il ainsi si on l’avait nommée autrement? Aurait-on même une université francophone, l’égalité de statut, une loi qui protège nos droits linguistiques?
C’est terrifiant d’y réfléchir.
Dans l’ensemble, les questions posées aujourd’hui sont les mêmes qu’en 1963. S’il y a une différence, elle se trouve dans l’importance que l'aspect identitaire et symbolique y occupe au fil du temps; aussi, dans l’assurance de la communauté d’en débattre publiquement. Une fois le péril des origines écarté, l’Acadie se sent plus libre de questionner ses symboles et ses repères: on peut y voir une partie du processus d’affirmation identitaire et culturelle. Mais quel rôle doit jouer notre Université dans ce processus? C’est une autre vieille question.
Quant aux réponses, elles ne changent pas beaucoup non plus. C’est pourquoi, malgré des efforts à répétition par la communauté acadienne, la communauté étudiante, et parfois même les dirigeants de l’Université de Moncton (!), cette dernière garde le même nom qui lui fut donné le jour de sa création.
Les personnes qui ont choisi ce nom pour notre Université savaient son potentiel de semer la controverse. Le personnage de Monckton n’avait rien d’étranger pour elles, mais dans le contexte du N-B *avant* l’adoption de la Loi sur les langues officielles du N-B, donner ce nom - que la Ville porte aussi - à l’Université était un « choix stratégique ». On notera que l’année 1963 était une année électorale, par ailleurs, ce qui remet ce contexte… en contexte. Les libéraux de Louis J. Robichaud avaient intérêt à ce que certains groupes influents avec peu d’affection pour les francophones et/ou catholiques restent tranquilles, afin de mener à terme un ambitieux programme de réformes sociales qui mettrait fin à de graves inégalités structurelles partout au N-B.
L’importance de donner à l’Acadie cette institution, qui se voulait la clé d’un avenir meilleur, de la mobilité sociale et éventuellement de l’égalité avec la majorité anglophone, justifiait pleinement cette attitude complotiste aujourd’hui décrite comme de « l’aplaventrisme » par les gens qui voudraient voir notre Université arborer un nom plus représentatif de ce qu’elle est devenue, et deviendra.
Mais bien que les arguments changent peu, l’importance de la question est réaffirmée à chaque fois qu’on sort le débat des boules à mites; et, surtout, de nouveaux bras reprennent le flambeau.
Il faut dire que le spectre de Monckton n’est jamais dur à réveiller; il est toujours parfaitement capable d’enflammer l’Acadie « avec l’efficacité qui lui était propre » - même au sens figuré. Ceci dit, les mentalités évoluent et les priorités changent avec le temps; relancer un vieux débat à l’ère des médias sociaux, par exemple, peut forcer la main d’institutions peu portées sur l’action - on l‘a vu avec #MeToo.
Malheureusement pour les optimistes, et bien que l’argument identitaire pèse de plus en plus, c’est l’aspect financier qui fera pencher la balance. Rien n’oblige une action dans un sens ou l’autre, et la valeur d’un symbole devient vite peu de choses dans une perspective utilitariste. Toutefois, si l’Université voit un avantage net (au sens financier) à changer son nom qui dépasse le désavantage (financier encore) de le garder tel quel, la suite des choses pourrait encore surprendre. Bon; j’en doute.
On voit quand même que l’intérêt de la communauté influence les actions à l’interne. Pour preuve: le nom n’était « pas une priorité » pour l’Université en février, mais quelques semaines plus tard, la voilà qui commande un rapport indépendant sur le sujet. C’est un gros changement de ton, même si l’action se limite à « réfléchir sur la pertinence de réfléchir. » Et même cette interprétation m’a l’air généreuse.
Ledit rapport, attendu en octobre (entre deux réunions du Conseil), doit « dresser un état des lieux afin de permettre [au Conseil] de prendre une décision éclairée sur la mise en œuvre ou non d’un exercice de réflexion public sur la dénomination de l’Université de Moncton. » En clair, toute décision doit attendre la réunion de décembre - où les orientations budgétaires prennent déjà beaucoup de place.
Et ça, c’est pour la décision; l’action c’est une autre paire de manches.
Ceci dit, le mandat du Conseil est d’« [agir] en tout temps dans l’intérêt de l’Université de Moncton et en conformité avec sa mission, et à inspirer confiance au public. »
Puisque cette mission est plutôt vague, toute notion d’intérêt, de conformité et de confiance reste ouverte à l’interprétation. C’est une question de perspective: changer le nom peut sembler à la fois profitable et désavantageux pour l’institution. Donc rien n’est gagné (ni perdu) d’avance, et c’est pourquoi l’argument financier finira par trancher le débat. Qu’on soit d’accord ou pas, il faut être réaliste.
C’est dur d’avoir deux opinions sur la valeur d’une même piasse, que voulez-vous?
Dans une perspective purement financière, il faut songer qu’une part importante de la population étudiante de l’Université provient de l’extérieur du Canada. Considérant le taux de natalité chez les francophones du NB - elle est bien loin, l’époque des familles de 10-15 enfants - les chiffres ne peuvent évoluer que dans un seul sens, et sa mission en dépend. Une fois passé le cap des 50%, à quel point la valeur symbolique du nom de l’Université sera encore un enjeu?
Et n’allez pas dire que je critique l'internationalisation de l’Université, hein: au contraire, on peut mieux faire les choses quand il s’agit d’accueillir et accompagner les personnes étudiantes internationales. Ce n’est pas leur job de sauver « notre » Université, mais la nôtre de leur donner une raison de venir - et de rester - ici.
Quant aux arguments contre le changement de nom, eux non plus ne changent pas beaucoup. Les vrais priorités sont ailleurs; ça va coûter cher (l’inflation ferait doubler le coût estimé de 500 000$ en 1990); la réputation de l’Université sera affectée; le PRESTIGE!!!; ouvrir la Loi sur l’Université pour changer le nom est un risque pour tout le reste; le nom n’a pas d’impact sur la qualité des programmes; la pérennité de l’institution doit passer avant les « changements symboliques »; la contribution de l’Université à la société dépasse le nom qu’on lui donne; changer de nom serait un affront aux fondateurs, et ainsi de suite.
Et - fait intéressant - maintenant que « le legs des fondateurs » est en péril, on lance l’idée de « mobiliser la communauté acadienne pour rendre les études postsecondaires plus abordables ». Absolument; et tant mieux si la communauté peut y voir une priorité. Surtout que, d’après la « majorité silencieuse », la population étudiante se fout complètement du nom de l’Université.
Mais la beauté de parler au nom de la majorité silencieuse, c’est qu’on peut plus ou moins lui faire dire ce qu’on veut. Pas d’accord? Dites autre chose et *POUF* - minorité vocale!
Alors, libre à vous de juger de la sincérité du sentiment.
Il faut reconnaître que la plupart des inquiétudes liées au changement de nom sont réalistes (dans leur potentialité sinon dans leur mesure) et méritent d’être prises en considération. Mais comme la valeur de la majorité de ces arguments s’estime en dollars, le Conseil de l’Université en est sans doute déjà conscient.
Cependant, il y a UN argument assez fréquent qui mérite notre attention: l’idée - complètement fausse - qu’un changement de nom invalidera d’une façon quelconque les diplômes remis par l’Université de Moncton depuis sa fondation. Soyons parfaitement clairs là-dessus: c’est l’agrément de l’Université et l’accréditation de ses programmes qui déterminent le statut de l’institution et la reconnaissance des diplômes octroyés, et ces éléments ne seraient nullement révoqués en raison d’un changement de nom.
Par ailleurs, parlant de nom, le commun des mortels peinerait sûrement à nommer celui de 10 universités canadiennes… et ce ne serait encore qu’un dixième du total. Pensez à ça.
Quoi qu’on dise ou fasse, il y aura toujours des mécontents: je ne crois pas, comme Mme Maillet, qu’il faut attendre de trouver LE nom qui fasse consensus avant d’agir, car ce nom n’existe pas. Ce n’est pas accidentel que le nom « Université de Moncton » fut choisi par une poignée de personnes, quand même. D’ailleurs, quoi qu’on en dise ou pense aujourd’hui, leur choix ne visait pas à honorer la mémoire de Robert Monckton. Mais 60 ans plus tard, leur réflexion serait-elle encore la même?
Comment répondre, sans savoir où on en serait sans cette même réflexion?
Changer le nom de l’Université ne réglera pas tous nos problèmes et insécurités, à coup sûr; mais le nom de notre institution-phare est, pour certains, un énième rappel du rôle de minorité silencieuse/invisible auquel l’Acadie fut longtemps réduite, et des séquelles de sa longue déférence envers la majorité anglophone. À cet effet, les communautés Mi’kmaq de la province ont aussi signalé leur appui pour un changement de nom, en rappelant que « plusieurs noms coloniaux continuent de causer de la douleur et des traumatismes sur une base continue ».
Une dernière crainte face au changement de nom, sans surprise, est de raviver les tensions linguistiques dans la province. On nous avertit que le Nouveau-Brunswick « n’a pas encore réussi son virage vers un "vivre ensemble" sain et rationnel qui met les communautés linguistiques sur un pied d’égalité dans le respect des différences »… mais comment peut-on espérer faire un jour ce virage, si on n’ose pas même donner le coup de barre?
Peu de gens l’ont souligné, mais si on regarde la liste des signataires de la lettre demandant le changement de nom, l’enjeu semble plus près du cœur de l’Acadie d’hier que de celle de demain. Sachant l’issue probable quand on s’en remet aux processus internes (bonjour, statu quo!), l’initiative saura-t-elle au moins inspirer la relève, qui n’a pas vécu cette réalité de citoyenneté de second ordre, d’identité clandestine presque inconcevable aujourd’hui? Ça a pu faire partie de la réflexion.
Espérons, car si l’idée même de se donner des symboles identitaires forts dans un espace public partagé nous fait encore trembler pour nos acquis, il y a encore beaucoup à faire. Ironiquement, c’est peut-être ici qu’on a plus à craindre pour le « legs des fondateurs ». Cette place en société, faut-il la prendre ou attendre qu’on nous la donne? Si on souhaite s’y reconnaître pleinement, la réponse est claire.
Verra-t-on un jour l’Université de l’Acadie (à Moncton - ou ailleurs)? Rien n’est moins sûr. À mon humble avis, le débat suit - au mieux - un autre chemin vers la même destination et la nouveauté se résume à savoir si ce sera le dernier voyage.
… et c’est surtout du prix du billet qu’on risque d’entendre parler.
Que vous soyez pour ou contre, dès qu’on propose de changer le nom de l’Université de Moncton, la seule garantie c’est de vite se trouver pris entre l’aboiteau et la digue.