Texte et image par Raymond Blanchard
Après un long silence, l’heure est enfin venue d’aborder…
LE NOM DE L’UNIVERSITÉ DE MONCTON (dum dum duuuuuuuuum)
Chouchou des médias francophones, ce sujet soulève bien des passions. Règle générale, la ligne de partage se trouve quelque part entre l’indolence de la jeunesse et l’exaspération de la maturité, dans un milieu onctueux à saveur d’indifférence. Mais vu qu’un appel à la tenue d’un sondage sur le nom de l’Université fut lancé ces derniers temps et que ces mêmes passions nourrissent un flot sans fin de réactions et d’opinions chez le lectorat acadien, ça semblerait utile d’en savoir un peu plus long avant de choisir son parti.
Avant toute chose, pourquoi on changerait le nom de l’Université? Aujourd’hui, l’argument central est historique (et/ou identitaire) et s’appuie principalement sur ces quelques faits:
- La population acadienne établie en Nouvelle-France fut ”soulagée de ses avoirs” et déportée sur les ordres de la couronne britannique entre 1755 et 1762;
- Le lieutenant-général Robert Monckton est chargé d’exécuter l’ordre de déportation des Acadiens en 1755, tâche dont il s’acquitte « avec l’efficacité qui lui était propre »;
- Le nom de la ville (auparavant Le coude, puis The Bend) fut choisi en l’honneur de Monckton - dès 1760: de son vivant - avant de perdre son K lors de l’incorporation de la ville en 1860,
Mais, si horrible que soit l’Histoire aux yeux de certains, d’autres n’y verront pas une raison valide pour changer le nom de quoi que ce soit. De plus, bien que l’Université de Moncton fut créée d'abord pour la communauté acadienne, elle s’est ouverte sur le monde au fil du temps. Alors, même en sachant ce qui précède/suivra, notre rapport individuel au sujet varie. Enfin, soyons honnêtes, si l’Université au milieu de Shippagan ou d'Edmundston s’appelle « Moncton », ça peut suffire comme raison.
Quoi qu’il en soit, l’Université est créée en 1963, par le regroupement des collèges Saint-Louis, Sacré-Coeur et Saint-Joseph et d’une nouvelle entité à Moncton. Mais dès le départ, son nom ne faisait pas l’unanimité, de l’aveu du premier recteur :
« [...] la question du nom fut longuement étudiée. Un document élaboré fut rédigé après de sérieuses consultations avec les personnes les plus autorisées du monde politique, universitaire et des chefs acadiens de marque. La décision finale ne fut pas prise à la légère. »
Alors le choix fut réfléchi, informé, et intentionnel - bien que le but n'ait jamais été d’honorer Monckton. Il fallait froisser le moins de monde possible, surtout chez la majorité anglophone, car une vague d’opposition qui mettrait en péril le projet entier était un risque constant. Ce choix « plus stratégique que symbolique » prend tout son sens dans son contexte, où « il valait mieux ne pas crier cela sur les toits ».
Certains avaient aussi des réserves à adopter un nom comme « Université acadienne », qui peut sembler exclusif. Ça ne semble pas poser problème à l’Université Acadia, pourtant anglophone et située sur des terres prises aux Acadiens déportés, mais bref. L’Histoire, parfois!
Qu’on le veuille ou non, pour les nationalistes acadiens et autres patenteux de ce monde, les événements et les acteurs de la Déportation pouvaient difficilement être une énigme croustillante double mystère dans sa sauce au brie de confidentialité.
Tout ça pour dire que le nom de l’Université fut choisi en sachant les tenants et aboutissants du débat qui l’entoure encore 60 ans plus tard. Et que j’ai faim.
Dans son Historique de l’Université de Moncton, le père Cormier se montre conscient des critiques sur le nom, mais ferme dans sa conviction. Si « de facto, l'Université est acadienne » et « doit retenir et développer son caractère acadien », il croit aussi que « son rôle diffère de celui de nos sociétés patriotiques ». À son avis, L’Université peut (et doit) jouer un rôle dans le développement du « fait acadien », mais « à une condition: qu’elle ne confonde pas cette fonction particulière avec sa fonction essentielle d'enseigner et de rechercher la vérité universelle. »
Lorsqu’il écrit ces lignes, en 1975, le Conseil des gouverneurs (aujourd’hui Conseil de l’Université) a déjà rejeté un changement de nom à deux reprises. Quand la question revient en 1978, en 1990 et en 2001, les instances décisionnelles maintiennent chaque fois leur verdict en faveur du statu quo.
Bien que le débat dure depuis des années, il serait exagéré d’y voir un enjeu majeur pour la population étudiante. C’est relativement acquis que la majorité soit d’accord pour réévaluer le nom, mais pas tant sur la nécessité ni l’urgence de le changer; et encore moins sur quel nom lui donner ensuite.
C’est ainsi que, officiellement, la position étudiante sur le nom anglais de notre université française est… la neutralité. Super acadien.
Expliquons: à l’automne 2000, l’exécutif de la FÉÉCUM (aujourd’hui FÉCUM) cherche et obtient le mandat de faire campagne pour la révision du nom - ni pour, ni contre le nom comme tel, mais pour pousser l’Université à évaluer la question.
Chez les membres, les avis sont plutôt partagés. On en trouve à la fois pour qui « Moncton » est peu représentatif et/ou constitue un affront à l’Acadie, puis d’autres qui s’en foutent plus ou moins et/ou qui croient qu’il y a des problèmes plus importants à régler. Ça n’a pas beaucoup changé, ça non plus.
Donc, la FÉÉCUM propose au Conseil des gouverneurs que l’examen du nom fasse partie du mandat du Comité sur les orientations futures de l’Université. À l’issue d’un vote serré (12 pour, 10 contre), sa proposition est adoptée, sous réserve que le sujet ne monopolise pas l’attention du Comité (i.e. qu’on en parle le moins possible).
Face à cette réponse tiédasse, la FÉÉCUM veut une position étudiante officielle. Les membres sont donc appelés à se prononcer dans un référendum, qui demande:
« Dans le cadre de l'exercice de consultation sur l'avenir de l'université, quelle position voulez-vous que la FÉÉCUM prenne par rapport au changement de nom de l'Université de Moncton? - Pour ou Contre. »
Et cette position officielle est très claire: des 1450 membres qui se prononcent au référendum, la vaste majorité (83%) se dit contre. Malgré tout, les 249 personnes en faveur du changement ont aussi pu donner leur avis sur le nom à adopter: « Université de l’Acadie » l’emporte avec 108 votes, devant Champlain (76), Notre-Dame (38) et Pascal-Poirier (20).
Les membres semblent alors vouloir tourner la page, et décident en assemblée « qu'aucune consultation étudiante [ne] soit faite par la FÉÉCUM, à savoir pourquoi les étudiants ont voté non lors du dernier référendum sur le nom de l'Université. »
Malgré les apparences, ce n'était pas tout à fait fini: à la mort de Louis J. Robichaud en 2005 il y a un grand appétit chez la population francophone pour honorer sa mémoire. Et comme on pourrait s’y attendre, l’Université qu’il a aidé à fonder se trouve au centre des conversations.
Dans les semaine qui suivent son décès, la FÉÉCUM adopte une résolution - qui s’applique toujours presque 20 ans plus tard - pour guider ses actions futures:
« [...] que la FÉÉCUM ne prenne pas position au niveau du changement de nom, mais demeure en faveur d'une reconnaissance, d'un symbole ou d'un geste commémoratif. A cet effet, la FÉÉCUM sera en mesure de mener des discussions avec l'administration de l'Université de Moncton de sorte à explorer les possibilités de commémoration au campus.»
L’idée fera son petit bonhomme de chemin dans la communauté acadienne, à l'initiative du député Yvon Godin, jusqu’à ce que Robert Pichette (ex-chef de cabinet de Robichaud) nous rappelle que son illustre collègue « était absolument contre un changement de nom pour notre université. Il s'est expliqué publiquement et privément, avec véhémence et à plusieurs reprises, contre cette notion. » (L’Acadie Nouvelle, 15 avril 2006)
Et quand Robert Pichette te dit que Louis J. Robichaud s’opposerait à changer le nom de l’Université de Moncton, pire encore pour lui donner le sien, inutile d’aller plus loin.
Mais ce n’était encore que partie remise; en 2012 un éditorial de Jules Boudreau au sujet de Beausoleil Broussard qui - sans même aborder la polémique du nom - mentionne au passage que notre université « perpétue la mémoire » du général Monckton, ramène tel un mascaret la proverbiale moutarde au nez de l’érudit.
Pichette se fait alors un devoir de répéter combien Louis J. Robichaud, en tant que « cofondateur de l’Université », s’opposait à l’idée d’en changer le nom - nom qui se réfère à la ville où l’Université se situe et pas à son homonyme en capot rouge, tel qu’il l’interprète (mais bon, de façon plus éloquente que moi).
Ça se défend comme point de vue. Sauf que… la ville est nommée en l’honneur du gars chargé de nous déporter. Ça, par contre, M. Pichette n’en parle pas.
Toujours dans ce même texte, il évoque une lettre envoyée par Louis J. Robichaud à Antonine Maillet, alors chancelière de l’Université, « qui mettait les points sur les i et les barres sur les t » et dont il était « particulièrement fier ».
Ladite lettre a fait surface récemment dans les médias sociaux et malgré son ton correct (dans ses lignes) j’en garde l’impression (entre ses lignes) qu’elle vise surtout à réaffirmer le poids politique et la place de chacun. Mais bref: sa position est on-ne-peut-plus claire, et sa conviction, en effet, n’admet pas de doute.
Quant à Mme Maillet, elle dira ensuite (et dit encore) que l’Acadie peut « se dire que [le nom de l’Université] est un genre de vengeance pour nous contre Monckton qui nous a déportés. » Jean-Bernard Robichaud, recteur de 1990 à 2000 et signataire de la lettre citée en ouverture, n’y voit quant à lui qu’« un argument totalement tordu. » Ouais. Ça devait être awkward à l’office dans les années ‘90, mettons.
En somme, notre rapport au nom de l’Université couvre toute la gamme, de l’ignominie jusqu’à la fierté, les arguments pour et contre n’ont pas vraiment changé depuis 1963 et, l’un dans l’autre, c’est le statu quo qui en sort gagnant.
S’il faut que l’Université change un jour de nom, ses têtes dirigeantes devront mener la charge. Ça s’est vu durant le mandat de Jean-Bernard Robichaud, pour qui le changement de nom était une priorité. Il avertit les convaincus que « ce n'est pas parce qu'on lance l'idée une journée que le lendemain matin on se présente au conseil des gouverneurs [...] C'est une erreur que j'ai faite dans le passé. » Et on parle d’un projet mené par le recteur, ici.
Puis, comme l’Université l’a montré dans sa réponse, cette observation demeure aussi juste en 2023 qu’elle pouvait l’être en 1990. Procédure, quand tu nous tiens…