En partant, il faut rendre une chose absolument claire, vu la confusion qui peut avoir résulté de la présentation de la nouvelle faite par certains médias francophones: les personnes étudiantes ne sont pas admissibles au programme travail-études « Mission: soins infirmiers » lancé par le gouvernement provincial (GNB).
Le plus étrange étant que sur le site du GNB, la chose est claire. On y lit en toutes lettres que le programme vise à faciliter « la transition de préposé aux services de soutien à la personne à infirmière ou infirmier auxiliaire autorisé; ou la transition d’infirmière ou infirmier auxiliaire autorisé à infirmière ou infirmier immatriculé. »
En clair, à moins d’être déjà au travail dans les soins de santé comme préposé.e (PSP) ou infirmier ou infirmière auxiliaire (IAA), ce n’est pas pour vous.
Donc ça au moins, c’est réglé.
En tout et partout, le GNB espère former 208 personnes, dont la moitié passera d’une certification de PSP à IAA, et l’autre moitié passera de IAA à infirmière immatriculée (II). En termes de partage des cohortes entre la formation en français et en anglais, chaque cohorte de 104 personnes comptera 48 places en français (24 au CCNB, 24 à UMoncton), et 56 places en anglais, qu’on présume partagées également entre le NBCC et UNB. La formation sera offerte à Saint-Jean (anglophone) et à Bathurst (francophone).
On nous dit que la somme de 13,3 M$ sera investie dans ce projet-pilote sur une période de deux ans. Et c’est là que je commence à me questionner sur le niveau de préparation derrière l'initiative. La durée prévue est sûrement à prendre avec une goutte de soluté, puisque la formation s'étalera sur 2 ans et 8 mois au CCNB (pour la formation PSP à IAA) et trois ans et 6 mois à l’Université (pour la formation IAA à II).
En principe, on ne verra pas de résultats concrets - au sens d’II et d’IAA sur les planchers d’hôpitaux - avant un minimum de 30 mois à compter de septembre prochain, soit en mai 2026. Et ça, c’est pour le programme de formation des IAA: les II n’arriveront pas avant mars 2027, ce qui serait vers la fin du mandat du PROCHAIN gouvernement.
Je dis ça de même, mais les universités et les collèges peuvent livrer les mêmes résultats à la même vitesse - sinon plus vite, et en AJOUTANT du personnel infirmier au lieu de les déplacer d’un bord à l’autre dans le système en créant des trous en cours de route. Il faudrait par contre que la province leur donne les moyens financiers pour y parvenir.
La formation offerte est décrite comme « intensive », et sera livrée de manière ininterrompue en alternant entre les études et le travail à raison d’un mois à la fois. On peut se demander comment ce sera intégré dans le curriculum actuel, compte tenu des ressources humaines déjà limitées, et quel impact ça aura sur la formation régulière. J’imagine qu’une partie de l’investissement (tout près de 64 000$ par personne) pourrait servir à ajouter du personnel enseignant - sauf que ce monde-là ira où après la fin du projet-pilote, si les établissements n’ont pas (ou plus) les moyens de les payer?
Puis dans le cas de l’Université du moins (je ne sais pas pour le CCNB), quand un ou une professeure ou monitrice s’ajoute à l’équipe, le plus souvent ça veut dire qu’il y a un ou une infirmière de moins dans le réseau de santé. Est-ce que ça fait partie de la réflexion?
Ceci dit, le projet-pilote a été développé en partenariat avec des gens de tous les milieux concernés (universités, collèges, hôpitaux, foyers de soins) qui sont les mieux placés pour identifier les risques là où il y en a, et… se prémunir contre l’écrasement après le départ du pilote, disons. Je vois bien mal tout ça se faire sans ajouter de ressources humaines.
Il est concevable qu’un projet secondaire se cache quelque part, le but logique étant de créer une structure de supervision des stages cliniques pour les universités et collèges privés. Beal University par exemple a accepté de former les étudiant.es du N.B. à « prix d’ami » pourvu que la province prenne à sa charge le coût des stages, sans qu’on sache trop comment ça doit se faire ni avec quel argent.
Puis le GNB vient tout juste d’officialiser son appui à deux nouveaux programmes de formation infirmière dans des établissements privés (Beal University et Oulton College). Ces deux établissements offrent déjà des programmes accélérés, qui facilitent la transition vers un nouveau poste ou un nouveau domaine d’activités. Il semblerait naïf de penser que ça n’a rien à voir avec le projet-pilote, mais qui sait quel est le plan à long terme?
On pourrait aussi se demander si l’opportunité d'accélérer leur formation sera ouverte aux personnes étudiantes en science infirmière. En principe, si les cours sont offerts 12 mois par année et, du moins on le présume, sont enseignés par le même personnel qui se charge du programme régulier, la chose devrait être possible.
Une autre question qui se pose, c’est le bien-fondé de retirer 104 personnes d’un milieu de travail déjà aux prises avec une pénurie de personnel, même pour les y retourner dans un autre rôle. On présume que chaque cohorte sera scindée en deux groupes, qui alternent leur présence au travail et en salle de classe, de sorte que seule la moitié de ces 104 postes sera “perdue” (en principe -24 pour Vitalité et -28 pour Horizon, ce en tout temps.)
Reste que ça nous fait un trou de 52 personnes quand même - pas de quoi faciliter la tâche du personnel, sachant la charge qui pèse sur l’ensemble du système. Sans surprise, des inquiétudes sont déjà exprimées en ce qui concerne la rétention du personnel infirmier.
Pour ce qui est de la rétention, Horizon lance un programme de formation en leadership pour les II qui sont intéressées à poursuivre leur carrière dans un rôle de supervision ou de direction au niveau réseau. Comme par hasard (mais j’en doute), celui-ci prévoit de 25 à 27 places par année, ce qui correspond aux nouvelles II qui s’ajouteront à la fin du projet-pilote. Dans le cas des II qui s’inscriront à cette formation, la charge est moins lourde (1 cours à distance par session, sur 5 sessions) et il est prévu de demeurer au travail à temps plein tout au long du programme.
L’avenir nous dira si ça fonctionne sans conséquences imprévues. Il n’y a pas de programme équivalent du côté francophone, du moins pas encore; la condition de base étant l’existence du programme d’études, qui n’est offert que par UNB pour le moment.
Mais revenons à la Mission, qui offre comme on l’a vu la chance de suivre une formation collégiale ou universitaire tout en continuant de travailler à temps partiel.
Bon, le travail en question sera au poste et au salaire qu’on avait à l’inscription et pas celui qui nous attend à la fin. Ça peut sembler décevant, mais «Les salaires seront maintenus pendant les périodes d’apprentissage, y compris les placements cliniques en milieu de travail, et les frais de scolarité seront couverts », nous rassure le GNB.
Ce qui veut dire (sans le dire dans ces mots) que les stages seront rémunérés. Peut-être pas directement, peut-être pas formellement; mais rémunérés quand même. Si un salaire est versé même pendant les périodes d’apprentissage et les placements cliniques, moi j’appellerais ça des stages rémunérés, pas vous?
Et par-dessus le marché: le coût de la scolarité est couvert!
Mais - il faut le rappeler ici - cela ne s’applique pas aux personnes étudiantes. Non: vous, il faudra payer les frais de scolarité ET faire les stages cliniques sans recevoir aucune forme de compensation. Comme pour tordre le fer dans la plaie, un frais supplémentaire de 595$ est maintenant exigé des personne étudiantes en science infirmière pour couvrir les coûts de la formation clinique. Ce n’est pas nouveau, mais ça reste enrageant.
À plus forte raison qu’on sait, plus clairement que jamais, que le GNB ne voit pas d’obstacles à rémunérer des stagiaires, et qu’il est prêt à investir (et à prendre des risques, hein) pour augmenter les effectifs chez les IAA et les II dans le système de santé.
Le ministre Holder comprend donc (plus ou moins) le principe d’une mesure incitative. Vu ce qui précède, il n’en demeure pas moins que son annonce reste un sacré beau doigt d’honneur aux personnes étudiantes, qui peuvent et veulent aussi faire partie de la solution sans devoir risquer l’épuisement professionnel avant même d’être salariées.
Le fait qu’il s’agisse d’un projet-pilote de deux ans (mais on l’a vu, vraiment plus comme trois à quatre ans en vérité) enlève aux personnes étudiantes l’option de contourner le système en allant prendre une formation de PSP au collège, avant de profiter du programme pour obtenir leur certification d’IAA, puis celle de II sans devoir en défrayer les coûts ET en continuant de recevoir salaire et bénéfices. Et ceci, j’ai zéro misère à croire que ça ait joué un rôle dans la planification du projet-pilote parce que - et c’est un fait - augmenter les inscriptions, à terme, c’est aussi augmenter les subventions; même si 13,3 M$ semble cher payé, c’est probablement l’option la plus cheap.
N’empêche, tout en mettant en évidence l’impact de la situation financière sur l’accessibilité du postsecondaire, de même que la compréhension de cette dynamique du côté du GNB, ce projet-pilote nous pousse à questionner les raisons de sa réticence à fournir de l’aide financière non-remboursable AVANT et/ou PENDANT les études.
Puis dérouler le tapis rouge au secteur privé dans la formation infirmière, ça veut dire quoi pour le secteur public? Si tout coûte trop cher et que le temps presse, à normes égales, m’est avis qu’on aurait raison de s’en faire au moins un peu pour nos programmes. Le combat serait forcément inégal car les structures et les délais de décision ne sont pas les mêmes de part et d’autre; le privé - tout particulièrement dans le cas des collèges - peut bouger bien plus vite que le public.
Dans l’attente d’une Loi sur les langues officielles (LLO) refondue, que le Premier ministre révise à reculons, comment savoir si le plan proposé en santé va en respecter les dispositions? Il faudrait au minimum avoir une idée claire des exigences linguistiques qui s’appliquent à la formation dans le secteur privé si on la finance - directement ou indirectement (ce que le GNB fait déjà, d’ailleurs) - avec des fonds publics.
Enfin, achevons sur ceci: si dans cinq ou six ans on a autre chose que 104 II et 104 IAA de plus (au-dessus de la croissance normale des effectifs) dans le système hospitalier, est-ce que ce projet-pilote sera vu comme un échec? C’est très loin, trop loin peut-être pour en avoir une idée claire. Le fait qu’on cherche à transplanter du personnel d’un rôle à l’autre (le seul déficit net se trouvant chez les PSP, qui demande une formation collégiale - disponible au public et au privé - dont les frais sont couverts à 100% par le gouvernement) porte à croire qu’on cherche d’abord à maintenir le statu quo dans les effectifs, sans forcément les augmenter. Ou, si on doit en ajouter, que ce soit là où ça nous coûtera le moins cher possible (22$-25$ de l’heure pour les PSP, contre 30$ à 32$ de l’heure pour les IAA et 36$ à 62$ de l’heure pour les II).
C’est pourquoi je suis particulièrement intrigué par les plans d’avenir (rapproché) du GNB pour la formation infirmière dans le secteur privé. Parce qu’il y a forcément des #résultats à quelque part là-dedans et on les connaît trop bien pour savoir que ce n’est pas pour un résultat dans 6-7 ans qu’ils se garrochent tout d’un coup à deux ans des élections.
Puis en cours de route, qu’en sera-t-il des PSP et des IAA, qui sont des rôles essentiels à la prestation des soins; est-ce que leurs nombres seront suffisants? On sait que le N.-B. espère accueillir un grand nombre de réfugiés; pense-t-on à les diriger vers un programme de formation pour devenir PSP, où à les orienter vers le secteur privé à des fins de validation des acquis ou de (re)certification? En passant la facture à Ottawa, pourquoi pas?
Sinon, les deux régies de santé ont eu recours à des firmes privées pour remplir temporairement des postes, alors il ne faut pas tellement d’imagination pour voir cela devenir une “solution” au vide causé par le projet-pilote. Soit dit en passant, au Québec cette pratique est bien ancrée et coûte plus cher à l’État que ne le ferait l’embauche de personnel à temps plein (même en considérant le coût des bénéfices) et ce n’est pas que les II qui sont remplacées par cette méthode, mais aussi - surtout - le personnel de soutien.
Au pire, on ne manque pas de stagiaires non-rémunérés pour reprendre leurs tâches sans devoir les payer. On sait que l’option à 0$ sera toujours la plus attrayante pour Higgs & Co.
En bout de ligne, on peut se sentir complètement perdus dans ce tourbillon d’annonces à l’emporte-pièce qui élèvent en grandiose plan d’avenir cette espèce de courtepointe de projets-pilotes tous moins solides les uns que les autres, et qui semble prête à tomber en morceaux à n’importe quel moment.
Ce qu’il nous faudrait pour sortir de cette crise, c’est moins de pilotes et plus de direction.