Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Je ne vous l’apprendrai pas: il existe une certaine hiérarchie dans les besoins.
Où classeriez-vous les études dans la liste de vos priorités, si vous n’aviez pas d’endroit où habiter? On pourrait se poser la même question à propos d’un nombre d’autres besoins, bien sûr - mais on peut s’entendre que le logement reste à la base de bien des choses.
Je ne cherche aucunement à diminuer la valeur de l’éducation. Idéalement, l’éducation devrait être un droit et non un privilège. Cela dit, notre capacité - privilège ou pas - à tirer pleinement parti du potentiel de l’éducation dépend de plusieurs facteurs sur lesquels, selon les circonstances, la personne étudiante exerce plus ou moins de contrôle.
À commencer par le logement. Qui devrait aussi être un droit, en passant - au sens d’une question que personne ne devrait avoir à se poser.
OK, on exerce théoriquement un contrôle sur son logement: on peut choisir celui qui convient le mieux à nos besoins, nos attentes, et nos moyens. Le compromis fait partie de l’équation, bien sûr, sauf qu’on est “libre de choisir” sur papier.
Il y a des choix qui n’en sont pas vraiment, quand on les examine sous cette loupe.
Sous l’effet de l’inflation rapide (7,5% sur 12 mois en août, après un pic juste sous les 10% en mai) qui a frappé plus durement l’Atlantique que le reste du pays, le fait est que tout est devenu plus cher trop vite. L’alimentation et les coûts énergétiques sont deux secteurs où le changement fut plus brusque, et surtout plus dur à ignorer. Le coût des loyers, par contre, a évolué sur une période un peu plus longue, ce qui a pu laisser certaines personnes croire que les hausses catastrophiques dénoncées dans les médias sont des « cas isolés», et pas des signes d’une crise beaucoup plus répandue et tout à fait réelle.
Mais là, non: même le logement moins cher est rendu pas achetable - et pas forcément parce qu’il a été rénové depuis l’an dernier, non plus. Parce que marché.
Et pourquoi marché? Parce que personne ne va l’arrêter, à commencer par le gouvernement provincial qui regarde tout ça en s’émerveillant de voir la magie de l’offre et de la demande régler tous les problèmes.
Je dis « tous », mais bon; les problèmes du marché, hein; pas les vôtres. La magie s’arrête au seuil de la misère.
Or, pourquoi dire « misère », si chaque personne est “libre de choisir” où elle habite? Trop cher, le loyer? Pourquoi souffrir, quand on peut déménager là où c’est plus abordable?
C’est dans ce contexte que s’inscrit la crise du logement abordable au N.B. - certainement d’un point de vue étudiant. Disons d’abord que les besoins particuliers de la population étudiante la rendent plus vulnérable aux loyers hors de prix, sans être le seul groupe affecté par cette crise. Il y a des propriétaires qui ne veulent pas de locataires étudiants, ou seulement un nombre limité. Certains doivent loger près du campus, car c’est impossible de se déplacer matin et soir. Toute notion de liberté n’a donc rien d’absolu.
En clair: moins tu es libre de choisir, et plus tu risques d’accepter des conditions moins que désirables. C’est le même principe que la vente à pression, mais où la pression vient des circonstances plutôt que du vendeur. Alors t’as le choix, oui; mais pas vraiment.
Avec un taux d’inoccupation à 1,5%, est-ce même utile de dire que d’autres le prendront au prix demandé si toi tu le refuses? C’est dans combien de jours, la rentrée? Tic toc, mon ami.
On peut blâmer les circonstances, mais deux options sont ouvertes aux promoteurs immobiliers: 1) louer moins cher, mais à davantage de gens ou 2) louer plus cher, mais à moins de gens. S’il faut en juger par l’augmentation du coût moyen des loyers dans la région du Grand Moncton, l’option 2 a clairement la cote - et ça force tout le reste à la hausse.
D’ailleurs, quand le gouvernement Higgs s’est enfin décidé à faire *quelque chose* pour venir en aide aux locataires après des mois d’inaction, c’était dans le but « d’encourager les investissements et de limiter les hausses de loyer ». Notez bien: pas d’annuler les hausses ni de réduire la pression sur les locataires.
Qu’importe, vraiment: le mal était déjà fait.
En ce qui nous concerne, les signes avant-coureurs de la crise étaient déjà clairs en mars dernier. La fin août le confirme: 120 personnes étudiantes inscrites à l’Université de Moncton sont toujours sans logement à une semaine du début de l’année universitaire. Tout à son honneur, l’Université avait « anticipé ce défi ». Mais - on en est là.
C’est un problème.
Pour relever ce défi, et venir en aide aux personnes étudiantes menacées par l’itinérance académique (et quelle ironie, sachant le prix des études!), l’Université a fait appel à la communauté. Tsé, question de voir si quelqu’un n’aurait pas un sous-sol ou une chambre à louer quelque part? Deux semaines avant la rentrée. Oui.
Sans qu’il faille y voir une quelconque panique, ça montre tous les signes d’une réaction improvisée. Puis 37 logements ont quand même été trouvés jusqu’ici - ça peut aider.
Ce n’est pas clair que ceci soit autre chose qu’une solution temporaire. Logiquement, si quelqu’un comptait louer une chambre ou une partie de sa maison, je me dis que ce serait fait depuis belle lurette. Si l’incitatif pour passer à l’acte n’était pas assez fort au printemps dernier, je ne sais pas ce que ça prendra pour les décider.
Mais l’année prochaine? Et celle d’après?
Et parler d’incitatif appelle la question du prix: est-ce que l’Université pourrait imposer un plafond quelconque sur les montants exigés? J’imagine que non - pas plus qu’elle ne pourrait compenser qui que ce soit pour quoi que ce soit en cas de problème (par exemple si quelqu’un reste plus - ou moins - longtemps que prévu, ou ne peut pas payer à temps) .
C’est un autre problème.
Espérons que tous ces propriétaires improvisés ne s’embarquent pas là-dedans à l’aveuglette. L’aide est offerte de bon cœur à n’en pas douter, mais prenez bien la mesure de ce qu’implique votre nouveau rôle de propriétaire. Rappel aussi: signer un bail protège tout le monde, locataire comme propriétaire.
Enfin - maudites soient les lois de l'arithmétique - ça nous laisse environ quatre-vingts personnes toujours sans logis, non?
Du côté de l’Université, on espère que la communauté continuera de répondre à l’appel pour accueillir les personnes étudiantes; mais on s’est aussi tourné vers les hôtels pour voir s’il est possible de louer des chambres « à prix préférentiel », le temps de trouver un logement ailleurs en ville. Et la question du coût à la personne étudiante, tout comme celle de la responsabilité de l’Université, se pose ici plus que jamais.
Coudonc, on n’est pas pauvres en problèmes, au moins.
Malgré tout, on peut bien mal blâmer l’Université de Moncton de ne pas savoir comment remédier à la situation dans une perspective à long terme. Elle aussi, dans le fond, doit jongler avec beaucoup de choses qui sont hors de son contrôle.
C’est là que s’arrête ma sympathie, malheureusement.
L’Université, en principe, savait que se trouver un logement étudiant serait un grand défi cette année, mais n’a pris des mesures pour aider les personnes étudiantes qu’à la mi-août. Et ces mesures, comme je le disais, peuvent difficilement être autre chose que temporaires.
À plus long terme, l’ajout de nouvelles résidences universitaires pourrait faire partie des plans. On a de l’espace en quantité au nord de l’avenue Morton où ces édifices pourraient être bâtis - éventuellement. Ce ne serait pas la seule solution, remarquez; par exemple on pourrait chercher à modifier des structures existantes et sous-utilisées (ce qui serait probablement plus coûteux et surtout plus problématique que bâtir du neuf), ou racheter des édifices privés. Ou alors, l’Université pourrait suivre l’exemple du gouvernement Higgs et ne rien faire du tout, en attendant que le marché fasse sa magie.
Mais dans l’immédiat, on a du monde qui prévoit vivre dans sa voiture à la rentrée. N’oublions pas non plus qu’on a du monde qui n’en a pas, de voiture, et pour qui ça fait encore une option de moins face à cette crise du logement abordable.
Parti comme c’est là, l’option la plus évidente pour beaucoup trop de monde serait encore - au sens le plus littéral de la chose - de dormir en classe.