
Quand le gouvernement a éliminé le programme Connexion NB-AE sans aviser personne, y’a bien du monde qui a dû revoir ses plans pour la rentrée à un moment où des décisions sont déjà prises et peuvent difficilement être changées. Renouveler un loyer déjà trop cher par crainte de devoir payer plus (et potentiellement pour pire) ailleurs me vient en tête, mais ce n’est pas le seul exemple. Genre: étudier ou pas?
L’absence de mesures pour combler le vide causé était très problématique. Vu le silence du ministère de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail (MEFT), il était difficile de parler solutions. Quand à peu près rien n’est dit sur une décision sinon qu’elle est déjà prise, on peut bien mal savoir quels sont les moyens d’en limiter l’impact.
Alors la FÉÉCUM et UNBSU ont rencontré le ministre Trevor Holder et son équipe à Fredericton, ce mercredi 13 juillet. Nous n’arrivions pas là les mains vides, mais en proposant des solutions allant d’un moratoire d’un an sur la fin du programme - le temps d’en créer un nouveau - à l’augmentation du montant des bourses, en passant par la révision des critères d’aide financière. Tout ça fut reçu de façon polie, mais sans plus.
Pour vous illustrer la scène: une des premières phrases de l’autre bord de la table était « we have to agree to disagree. » Ça donne un peu le ton pour la suite. On n’est pas même d’accord sur la nature du problème, encore moins sur qui le gouvernement doit aider. Alors, on ne rapporte aucune solution à court terme, ni d’intention claire d’en trouver du côté de Fredericton. Pas pour aider les étudiant.es, en tout cas...
En partant, à nos critiques sur la manière et le moment (tous deux problématiques) de mettre fin à Connexion NB-AE, le ministre répond qu’un programme créé sans consultation peut aussi s’éliminer sans consultation. Ça n’excuse rien, mais ça explique beaucoup.
Quant à ce qui sera fait pour aider les étudiant.es, voici ce que dit le ministre: il n’y a pas de fonds disponibles à court terme, (donc, rien) mais la « porte est ouverte » pour quelque chose au prochain budget, (donc, rien… sauf plus tard).
Arrangez-vous avec vos troubles, voilà l’approche de M. Holder pour parer aux conséquences immédiates - et ce n’est malheureusement rien de nouveau.
D’ailleurs si - et je dis bien « SI » - Holder propose quoi que ce soit au prochain budget, ce sera presque certainement un autre crédit d’impôt. On lui parle d’aider les étudiant.es à terminer leurs études, et il répond qu’il veut d’abord garder les diplômés dans la province. On sait que la différence entre les deux est un mystère pour lui.
Mais champion: si le monde n’a plus les moyens d’aller et encore moins de terminer ses études, quessé qu’on fait?
En fait d’aide financière, Holder a souvent rappelé l’élimination de l’intérêt sur les prêts provinciaux, qui est une bonne idée, oui, mais qui aide les diplômé.es et pas les étudiant.es.
J’en déduis que, dans sa tête, étudiant ou diplômé ça ne change rien, du moment que tout ce beau monde génère des profits pour le secteur privé, puis des revenus pour le trésor public. Le plus possible et le plus vite possible; pendant les études autant qu’après.
Vu comme ça, la dette moyenne de 40 000$ de nos diplômé.es du N.-B. (rappel que ce chiffre date de 2015… et l’inflation frôle les 20% sur 7 ans), ce n’est un problème que dans la mesure où ça nuit au retour sur l’investissement.
Par ailleurs, le ministre a exprimé des doutes sur cette moyenne. Ça semble trop d’après lui… Ce l’est! Mais, bout d’batince, le chiffre vient de Statistique Canada, on a rien inventé.
Bon, ça se peut que la distinction entre un diplôme universitaire et un diplôme collégial échappe aussi à Holder. Pour les curieux, la dette étudiante moyenne à l’obtention du diplôme descend à 28 000$ si on confond tous les niveaux d’études.
En tout cas… maudit beau mess.
Si vous ne l’avez pas déjà vue, la FÉÉCUM a dénoncé l’attitude du ministre « [qui] ne comprend pas, ou [qui] ne veut pas comprendre l‘urgence de la situation ». J’espère que vous voyez ce qu’on veut dire par astheure. Même en sachant que M. Holder est aussi ministre du Travail - ce qu’il nous a rappelé à plusieurs reprises - on ne peut que déplorer son manque de vision. Aussi, si le ministre a décrit notre rencontre comme « productive », il indique déjà que toute nouvelle consultation visera à identifier des solutions « orientées pour satisfaire les besoins de la communauté des affaires.» Chacun sa productivité, coudonc.
Dommage pour vous, gang: le vrai problème, c’est le manque de main-d'œuvre.
Comme un cercueil n’a jamais trop de clous, le ministre a aussi mis en doute l’impact réel de Connexion NB-AE sur les inscriptions. De un, je doute fort que c’était le but du programme (qui ne coûtait presque rien au gouvernement). De deux, s’il avait causé une forte croissance des inscriptions (et donc des subventions aux universités), il aurait disparu depuis des années, je vous en passe un papier. Stabiliser les inscriptions est déjà un défi important pour nos universités publiques - la croissance tient presque de la fantaisie.
Les besoins des employeurs sont revenus plus souvent qu’à leur tour, tout comme les défis de plusieurs secteurs-clés de l’économie. Le camionnage (oui) étant l’exemple préféré du ministre. Par sûr qu’il sache bien cibler sa clientèle, mais bon, le message est transmis: ça prend plus de monde pour chauffer nos 18 roues.
Vous ne pensiez peut-être pas vous lancer dans le monde du camionnage? C’est un peu votre faute, alors, si tout coûte plus cher! Blâmez surtout pas le prix du diesel ni les pétrolières, quand même. Tant qu’à ça, faudrait pas parler du coût du loyer non plus.
Le ministre Holder dit être à la recherche de moyens pour « aider les étudiants à travailler et étudier en même temps ». La pauvreté; ça s’appelle la pauvreté. Peut-être qu’une fois suffisamment appauvris les étudiant.es auront accès aux prestations d’aide financière d’autres ministères?
Le manque de visibilité des programmes d’aide financière serait aussi en cause, dit Holder. Selon lui, soit les étudiant.es se jugent inadmissibles aux programmes, ou alors ils en ignorent carrément l’existence. En somme, hey, l’aide est là: aidez-vous donc, un peu.
Mais la promotion des programmes d’aide financière, c’es-tu pas la job du gouvernement, ça? Je dirais oui, mais les programmes d’aide financière “connus”, ou (sur-)utilisés, le gouvernement les coupe - rares sont ceux qui survivent longtemps quand les personnes éligibles décident subitement d’appliquer en masse.
Y’en a peut-être qui voient autre chose dans l‘annulation du programme Connexion NB-AE qu’un cadeau du gouvernement au secteur privé, mais moi j’y arrive pas. Encore moins depuis qu’on sait que la décision de couper le programme est venue du Cabinet.
Le député fédéral Serge Cormier a aussi clarifié que le Nouveau-Brunswick a pleinement le pouvoir de conserver, de modifier et même de rétablir le programme - l’abolir est un choix.
Et maintenant, la communauté d'affaires de l'Île-du-Prince-Édouard joue le même jeu et suggère des changements à l’assurance-emploi. Sans tomber dans les détails de l’offre et de la demande; plus y’a de monde en ligne à la porte, moins il faut en donner à celle qui entre pour la convaincre de rester. C’est utile, « pour faire rouler l’économie »…
Ce n’est pas catastrophique, d’après le ministre, car il y a plus de monde éligible aux prêts étudiants que le nombre qui applique et donc, qui pourrait emprunter (ou emprunter plus) pour se rendre jusqu’à la fin de l’année. Ce serait carrément dangereux d’y voir une solution à long terme - particulièrement si les taux d’intérêt repartent à la hausse.
Reste qu’à court terme, ça pourrait faire la job. Tant que ce ne soit pas pour taquer encore un simonaque de crédit d’impôt sur le diplôme en disant qu’on en fait « davantage pour aider les étudiants ». Je suis fatigué de l’expliquer, mais les gens qui profitent le plus des crédits d’impôt sont ceux qui en ont le moins besoin.
Le montant du crédit est une fonction de l’impôt, et donc du salaire… ça prend pas un grand génie pour voir le problème. Ce sont aussi des mesures exceptionnellement nulles comme incitatif de rétention pour les diplômé.es. Mais si comprendre la différence entre étudiant et diplômé est un défi en partant, mes attentes sont peut-être *un peu* irréalistes.
Plus on en sait sur cette décision, mieux on comprend que le but n’a jamais été d’aider les personnes qui n’avaient pas déjà les moyens d’étudier sans hypothéquer leur futur. La place de ces gens-là, si on en juge par les récentes décisions du gouvernement, c’est dans des jobines au salaire minimum - que ce soit pendant leurs études ou non. Good luck avec ça.
À quoi on devait s’attendre sauf l’indifférence habituelle du gouvernement Higgs pour quiconque aurait besoin d’aide? Je ne sais pas, mais tout est clair: il n’y aucune raison de garder le silence, si on vous fait taire pour mieux vous arracher les plumes sur le dos.
Alors si vous en avez eu assez, plus besoin de «Holder back».