Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
C’est difficile d’ignorer à quel point l’élimination du programme Connexion NB-AE annoncée le 23 juin par le gouvernement du Nouveau-Brunswick (GNB) a fait réagir.
D’abord parce que ce n’est pas le gouvernement qui l‘a annoncée; c’est nous. Tout ceci s’est décidé sans avertir ni consulter personne du côté étudiant, ce qui laisse perplexe dans le cas d’un programme qui relève du fédéral et ne coûte pratiquement rien à Fredericton.
Avant d’aller plus loin, je résume: le programme Connexion NB-AE créait une exception aux critères d’assurance-emploi (AE), qui permettait aux étudiant.es de recevoir des prestations régulières pendant l’année universitaire sans devoir être disponible pour travailler.
Comment, quand, et qui a dit la formule magique qui l’a fait apparaître - là j’en sais rien.
Bref, les fédérations étudiantes ont été informées quand il était déjà trop tard. Comme les 7000 personnes étudiantes qui comptaient sur cette aide en septembre 2022, nous n’avons reçu aucun préavis. Pour être honnête, même en sachant les grandes lignes de la décision, on est encore loin de comprendre la façon de procéder du bord du gouvernement.
Voici le peu qui semble clair:
- Le programme a été éliminé du 23 juin 2022, sans laisser de trace;
- Les étudiant.es à temps plein n’auront plus accès à l’AE pendant les études;
- Les prestataires actuels qui ne sont pas (ou pas encore) sur le marché du travail pourront recevoir les prestations restantes pour la période d’éligibilité en cours;
- Aucune mesure de remplacement n’a été annoncée en date du 28 juin (16h)
Il ne faut pas se demander pourquoi les gens sont aussi confus et frustrés. GNB n’a toujours pas fait d’annonce officielle, malgré un besoin évident d’expliquer pourquoi il met fin sans préavis à une autre mesure d’aide financière aux étudiant.es. Pas d’annonce; pas d’explication, rien. On efface le site web et on passe à autre chose. Je ne peux pas voir comment les gens responsables de la décision s’imaginaient que ça passerait inaperçu.
Parce que OH QUE ÇA N’A PAS PASSÉ INAPERÇU.
Un tsunami de frustration a tôt fait de suivre notre publication (on devrait quasiment facturer GNB pour avoir fait leurs relations publiques), qui a récolté plus de 1300 partages en 24h à peine. Au moment d’écrire ces lignes, plus de 115 000 personnes l’ont vue.
Il ne faut pas s’en surprendre, quand un programme qui aide 7000 personnes étudiantes disparaît sans crier gare. Déjà que tout le monde est aux prises avec le coût de la vie qui augmente à un rythme effréné, là on vient enlever une aide aux personnes qui ont le plus grand besoin financier.
Puis, sans verser dans le stéréotype, le chômage fait partie intégrante de la réalité économique dans les régions rurales, et (souvent) francophones, du N.-B. où une grande partie des travailleurs vivent d’emplois saisonniers.
Je ne me berce pas d’illusions: il y en aura pour dire que la disparition de Connexion NB-AE n’aura pas d’impact sérieux. Certains diront même que c’est une bonne chose d’empêcher les personnes qui ne satisfaisent pas les critères fédéraux de recevoir des prestations d’AE.
Chacun sa façon. Mais pour le fun: demandez à n’importe quelle personne relativement aisée si elle a besoin de tous les crédits d’impôt qu’elle reçoit.
Est-ce que cette personne devrait s’en priver pour autant? D’abord, « besoin » aura une définition qui varie d’une personne à l’autre. Puis, économiser grâce aux crédits d’impôt c’est légal, c’est permis: devrait-on y renoncer “par principe” si les autres en profitent toujours? Et puis, si le gouvernement n’a pas de problème avec ça, pourquoi diantre s’en priver?
Astheure: éliminez le crédit d’impôt du jour au lendemain, sans préavis ni explication.
L’idée dans le fond, c’est qu’il s’agisse d’assurance-emploi ou de crédits d’impôt, la personne admissible compte sur les fonds et planifie en conséquence. Mon but n’est pas de porter un jugement de valeur de part ou d’autre. Dans tous les cas, et pour n’importe quel budget, une perte majeure et imprévue reste forcément problématique.
La sévérité du problème (et LÀ on tombe dans le jugement) n’est peut-être pas la même pour la personne qui compte sur une prestation gouvernementale que celle qui attend un crédit d’impôt, en revanche. Mais le problème est ailleurs.
Ce qui vient d’arriver aux étudiant.es est inattendu et lourd d’implications: peu importe les raisons ou le montant reçu, c’est de l’argent sur lequel on comptait qui disparaît sans préavis. Ça change des plans, ça force à réorganiser ses affaires, et la triste vérité c’est que tout le monde n’a pas forcément une foule d’options de rechange.
Qu’on se le tienne pour dit: chaque prestataire qui recevait des fonds de Connexion NB-AE satisfaisait les critères d’admissibilité - personne ne pensait frauder l’AE avec ça.
Et c’est là que ça devient un peu plus mêlant: les critères d’admissibilité.
C’est un peu manipuler la vérité que de blâmer l’élimination subite du programme sur les exigences fédérales, comme le fait le Premier ministre. Malgré tout, Higgs n’a pas entièrement tort: pour être admissible aux prestations d’AE, il faut être « prêt et disposé à travailler et capable de le faire en tout temps ».
L’horaire d’une personne qui étudie à temps plein ne le permet pas vraiment, à moins que « en tout temps » soit défini autrement que « de 9h à 17h, du lundi au vendredi ».
Mathématiquement, tu *peux* étudier à temps plein ET travailler à temps plein - sauf qu’il y a une raison pourquoi une personne occupe rarement deux jobs à temps plein en même temps. Ce n’est pas une situation idéale et même si tu travailles 200% du temps attendu, difficile d’offrir 100% de toi-même à n’importe quel moment.
Et encore, une job ça se fait moyennant salaire - les études, c’est une autre histoire…
On voit mal comment le fédéral porterait 100% du blâme pour la fin du programme, bien malgré les “explications” données par Higgs. Par ailleurs, les deux paliers s’entendent sur la question des critères d’admissibilité.
Une autre raison invoquée par GNB est son plan de réponse à la (soi-disant) pénurie de travailleurs, car le programme « entre également en conflit avec les efforts de la province pour aider les employeurs à combler les postes vacants »
Excuse, champion, mais j’ai cru comprendre que le problème était que les étudiant.es ne sont pas «prêt[s] et disposé[s] à travailler et capable[s] de le faire en tout temps»?
Si tout d’un coup ce monde-là devient « prêt et disposé » à remplir les postes vacants (qui sont rarement à temps partiel, hein?), ben ce sera parce que tu les auras poussés à abandonner leurs études.
J’ose croire que ce n’est pas ça l’intention; mais l’ensemble de l'œuvre rend ça… difficile.
Non satisfait de leur couper les vivres quasiment en cachette, tout ça s’est fait sans intention claire d’offrir une aide alternative aux personnes étudiantes affectées. Travailler davantage (pendant les études), emprunter encore plus, ou quitter les études, voilà leurs options.
En somme, bien que la décision ne revienne pas à 100% au gouvernement fédéral (qui contrôle les critères d’admissibilité) ni au gouvernement provincial (qui contrôlait la manière, sinon le moment de mettre fin au programme), l'objectif visé d'après les commentaires de la province est d’abord d'aider un secteur privé qui, à l’en croire, se languit dans sa quête de main-d’oeuvre.
C’est chercher les pastilles pour la toux dans l’allée des suppositoires: le gouvernement aborde le problème par le mauvais bout. Aidons les étudiant.es à se rendre jusqu’au diplôme, puis embauchons après, bout d’batince! Y’a-tu juste moi qui trouverait ça logique?
Avec l’inflation à son plus fort (7,7%) depuis 1983 - et pire en Atlantique, un marché locatif en proie aux abus d’un capitalisme débridé, encouragé par l’absence quasi-totale de protections pour les locataires, un coût des aliments qui grimpe en flèche, sans même aborder la question du coût des études qui gonfle tout autant… Ça devient de plus en plus dur de voir la lumière au bout du tunnel pour la population étudiante.
C’est pourquoi nous avons publié, le 28 juin une lettre ouverte au Ministre Holder, pour lui faire comprendre l’importance de mettre en place un « plan B » pour réparer les torts causés par une décision précipitée, peu réfléchie, et bien peu logique de son ministère.
Parallèlement, pour mesurer plus clairement l’impact vécu ou attendu suite à l’élimination du programme Connexion NB-AE. Allez voir ça!
Il faut mettre toute la pression possible pour forcer le gouvernement à agir, car il y a quelques jours à peine, les étudiant.es pouvait encore espérer que l’AE les aiderait un peu à joindre les deux bouts jusqu’à la fin de leurs études. Le prêt ne suffit pas, les bourses non plus, et le travail - ça peut faire partie de la solution, mais par souci d’équilibre, ça a aussi ses limites.
L’invitation est lancée au ministre, et on attend sa réponse. Faut que ça bouge.
D’ici-là, on nous pardonnera de prévoir un 15 août avec des parenthèses: «UIC tu me [faisais] vivre »