Parfois, ça peut être agréable de s’interroger sur un choix de mots. Toute annonce gouvernementale (qui a fait l’objet d’un travail de réflexion, d’analyse, et dont les mots n’ont certainement pas été choisis au hasard) est un terroir riche en mots qui sous-entendent ce qu’on ne fera pas, sans pour autant s’engager à des actions précises.
L’objectif peut y être décrit de manière ambiguë, floue, voire informe - sans problème. Dans le fond, les détails viendront plus tard; ça donne plus d’occasions de prendre des portraits avec du monde souriant. L’électorat a besoin de savoir qu’on agit, pas tant de comprendre ce qu’on fait. On en vient parfois à se demander si les gens qui font l’annonce comprennent eux-mêmes. Bonne vieille #politique.
Alors: comme un cheveu sur la soupe, une annonce sur l’aide financière aux étudiant.es - grande absente au discours du budget provincial - tombe le 16 mars dernier. Dans le cadre des prévisions budgétaires, le ministre de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail (MEFT), Trevor Holder, révèle que le gouvernement procédera à l’élimination de l’intérêt sur les prêts étudiants provinciaux en 2022-2023.
Comme l’évoque le ministre, sa décision fait écho à une demande de longue date des associations étudiantes. Ce serait surtout un non-sens de s’entêter à faire autrement, quand les provinces voisines ont abandonné cette pratique depuis des années. Puisque la région Atlantique a un taux et un niveau d’endettement étudiant bien au-dessus de la moyenne nationale (et ce n’est pas nouveau) l’annonce sera bien accueillie par les diplômé.es, qui seront - ô hasard! - instantanément mieux en mesure de contribuer à l’économie du N.-B. (ou plutôt faire face à l’inflation galopante).
Si sa motivation était ailleurs, à commencer par l’accessibilité des études postsecondaires, on s’entend qu’il vaudrait mieux investir AVANT la graduation.
Cette annonce du MEFT n’en reste pas moins - au minimum - un pas dans la bonne direction. En partant, il s’agit d’une mesure ciblée en fonction du besoin plutôt que d’une mesure universelle, ce qui rompt avec une triste tradition progressiste-conservatrice en fait d’aide financière aux étudiant.es. On se serait honnêtement attendu à un autre crédit d’impôt, alors il faut reconnaître qu’il y a eu du progrès, et donc qu’il y a de l’espoir.
Mais, triste chose, ce que M. Holder présente comme une manière de « rendre l’éducation postsecondaire plus abordable » reste tout sauf. À moins qu’il soit prévu de transitionner graduellement des crédits après le diplôme vers les bourses pendant les études au fil du temps (et j’en doute), ceci n’aidera pas les étudiant.es - on n’aide pas les chenilles en récompensant les papillons.
Mais, répétons-le tous en chœur: «on finance des résultats!»
En clair: tout ce qui ne cible pas le coût des études à la source perpétue le cycle de l‘endettement étudiant dans son ensemble. Évidemment que ça va aider les diplômé.es, je ne dis pas le contraire: mais rendre le diplôme plus accessible? Absolument pas.
L’élimination de l’intérêt pourrait-elle augmenter la dette? Quand on retire l’intérêt de l‘équation (le Canada a aussi prolongé l’exemption d’intérêt sur les prêts fédéraux jusqu’à la fin 2023), on crée un espace où les établissements sont plus ou moins libres d’augmenter les frais - basé sur la présomption que la dette avec intérêt représentait un coût abordable. Ou pire: un espace où elles seront perdantes de ne pas en profiter. Ça ne se fera pas de manière uniforme ni instantanée, non; mais peu à peu. Passé un certain point, vous comprendrez qu’il n’y a plus grand chose à faire pour renverser la vapeur.
Le gouvernement Higgs dirait « que le marché s’ajustera à la demande ». Sachant dans quel sens cet ajustement risque de se produire, ne nous berçons pas d’illusions.
Quand on désigne quoi que ce soit comme étant « abordable », on sous-entend que le prix demandé correspond à sa valeur perçue en fonction de notre capacité à payer. Alors, un rabais dans 4 ou 5 ans ne change rien au fait que ça soit (et semble) cher dans l’immédiat. Surtout en l’absence totale de garantie quant au retour sur l'investissement.
Pardonnez cet excès de réalisme - loin de moi l’intention de vous décourager. L’éducation postsecondaire, en dépit des reculs en période de récession, reste clairement un investissement payant à long terme dans les Maritimes. Cela dit, y investir collectivement - en tant que société - ne comporte pas le même niveau de risque que d’y investir à titre individuel. Pour la simple et bonne raison que le bénéfice collectif est évident même quand l’individu n’en récolte pas les dividendes à titre personnel.
Officiellement, le MEFT vise à «rendre l’éducation plus abordable». L’initiative est chiffrée à 5,5 millions$ par année, mais seul l’avenir nous dira si elle se prolonge après 2023. Dans l’affirmative, il faudra prévoir l’impact de l’inflation, et des mécanismes qui permettent d’augmenter l’investissement en conséquence si on veut qu’elle reste pertinente à plus long terme. Sauf que ça, rien n’indique que ce soit prévu.
Dans l’immédiat, en revanche, on doit chercher à voir quel impact cette annonce aura en réalité. S’il faut en juger d’après l’exemple qui nous est fourni par le ministre Holder, soyons francs, la chose est tout sauf claire.
Soyons lucides, très peu d’étudiant.es se soucient urgemment de l’intérêt sur leur dette d’études - ça, c’est un problème pour après le diplôme. Aussi, le fait qu’il y ait beaucoup plus de diplômé.es que d’étudiant.es peut soulever les doutes quant au but réel de cette annonce. Sans dire qu’il s’agit d’une mesure électoraliste, ne disons pas le contraire.
Quoi qu’il en soit, l’impact de cette somme serait plus important si elle était remise sous forme de bourses. Comme le montant relève du prêt étudiant, l’aide serait remise en fonction du besoin financier autant qu’il est possible de le faire. Sans oublier qu’en plus de constituer un rabais sur le coût des études, une bourse réduit le coût d’emprunt. Si on veut rendre l’éducation postsecondaire (EPS) plus accessible, c’est la chose à faire, non?
L’intérêt est un problème grandissant (la preuve: le gouvernement Higgs fait l’impensable - intervenir!) car il dépend d’une dette qui s’accroît elle aussi: facile à voir, complexe à régler. Cibler le coût d’emprunt au lieu du coût des études devient alors un énième moyen de cacher le VRAI problème, et j’ai nommé: le sous-financement en EPS. Les causes de l’endettement sont multiples, je sais, mais le MEFT a le pouvoir d’agir sur celle-ci.
En dépit de tout ça, quel impact peut-on espérer? Dans son annonce, Holder utilise l’exemple d’une dette étudiante de 15 000$. C’est déjà légèrement inférieur à la dette de fin d’études au niveau collégial, mais passons. Il se limite peut-être à la partie provinciale (40%) d’une dette plus importante et, si c’est le cas, la dette “réelle” ciblée serait de 37 500$ - plus près de la réalité à la fin du baccalauréat.
À l’aide de l’estimateur de remboursement des prêts du gouvernement du Canada, on peut estimer que sur 10 ans, le coût d’emprunt sur cette dette serait de 9572$, et que 40% de ce coût représente 3829$. Ce qui n’est pas 2100$, faut-il le préciser.
Il y a quelque chose qui cloche.
Si on refait son calcul à l’envers, 2100$ en intérêt serait 40% d’un coût d’emprunt global de 5250$. Ça permet d’estimer une dette étudiante de ±20 550$ au départ.
Même en se limitant aux droits de scolarité, le coût moyen d’un baccalauréat (4 ans) au N.-B. est plutôt de 30 000$ pour qui obtient son diplôme cette année, en ayant terminé dans les délais prévus.
Toutefois, et le MEFT aime le rappeler aux étudiant.es: «L'aide financière aux étudiants [...] est censée compléter, et non pas remplacer, les autres ressources pour payer des études postsecondaires.» Il faut y mettre du sien, en clair. Il y a aussi les bourses qui peuvent venir diminuer le coût, dans les faits. Je veux bien.
Mais les manuels, les frais afférents, le logement, l’alimentation, les déplacements, les soins de santé, l’assurance, le stationnement, alouette, ne sont pas inclus dans les droits de scolarité. Sans compter qu’on peut difficilement exceller académiquement ET travailler comme un forcené, aussi - ni qu’un revenu d’emploi trop élevé réduit l’aide financière à laquelle l’étudiant.e est en principe admissible, et l’admissibilité à plusieurs bourses.
La facture monte vite, alors, et emprunter pour ses études devient souvent inévitable. Les chiffres les plus récents de l’Enquête nationale auprès des diplômés (END) révèlent un taux d’endettement de 63% et une dette moyenne de 39 000$ à l’obtention du baccalauréat au N.-B. Au collège, c’est 60% et 15 100$ - n’oublions pas que les diplômé.es du réseau collégial sont aussi admissibles à l’initiative proposée, tout comme les diplômé.es du secteur privé: ça aura joué dans les calculs du MEFT. De toute évidence, notre intérêt reste campé du côté des universités publiques.
Et pour le secteur privé, ne disons que ceci: plus c’est cher et plus on s’endette, puis plus on s’endette et plus l’intérêt sera élevé. En somme, ça ne tire pas la moyenne vers le bas.
Quoi qu’il en soit - et peu importe comment le MEFT a fait ses calculs - tout indique que l’estimé produit s’applique seulement à 2022-23. À mesure que des gens entreront (et sortiront) de la période d’éligibilité de 10 ans - SI l’élimination de l’intérêt se maintient; répétons que ce n’est pas chose faite - et que le coût des études (tout inclus) continue de gonfler, deux choses peuvent se produire: soit les deux paliers de gouvernement devront investir davantage dans les programmes de réduction de la dette, ou alors augmenter la limite d’emprunt de façon périodique. En somme, regarder l’arbre et rater la forêt.
Au mieux, et c’est triste, on peut espérer que l’endettement se stabilise à son niveau actuel, déjà inacceptable (dans certains cas, insoutenable). Je me prépare déjà à l’annonce de l’abolition d’un autre programme devenu trop onéreux à l’intérieur d’une période de 10 ans. Si même on se rend là.
Et pourtant, l’intention est bonne. Le programme est une mesure ciblée, l’aide est octroyée en fonction du besoin financier, et le rabais s’applique automatiquement. Ce sont là plusieurs choses qui sont souvent oubliées quand il est question d’aide financière étudiante.
Mais, à mon humble avis, il faut questionner la décision de verser ces fonds après le diplôme et non pendant les études. L’impact maximal se trouve dans la réduction de la dette à sa source, au lieu de mesures qui masquent le rôle du gouvernement dans la hausse du coût des études. Je dirais même - qui encouragent les étudiant.es (et les institutions, hein) à accepter un coût toujours plus élevé comme logique et normal, sans trop broncher, en se disant que tant qu’on peut s’endetter on passera bien au travers.
On dit souvent que c’est l’intention qui compte. Quand il est question de « mieux faire » avec des moyens (soi-disant) limités, l’impact compte plus que l’intention.