Par Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Si j’étais le meilleur jardinier du monde - notez le conditionnel - même mes meilleures pousses ne donneraient pas grand-chose si je les plantais six pieds sous terre.
C’est pourquoi j’imagine que le ministre de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail (MEFT) n’a pas souvent manié la bêche au cours de sa vie. On ne peut que pleurer le potentiel perdu, tant son discours est riche en engrais.
Ce 13 avril dernier, à l’Assemblée législative, Trevor Holder annonçait avec une fierté que je m’explique mal que les subventions aux universités augmenteront de 1,5% pour la prochaine année universitaire. Pour mettre les choses en perspective, l’inflation sur douze mois se chiffrait à 5,69% à la mi-avril (6,66% au début mai, pour les curieux: ça va super bien, l’économie). Aussi bien ne pas s’attendre à une parade de recteurs à genoux qui se dissolvent en larmes de gratitude sur son perron de porte.
Franchement, 1,5% était le strict minimum. En fait non: c’était moins que le minimum.
Et ça, les universités le savent, Fredericton le sait, et Holder le sait aussi bien que les deux autres: c’est pourquoi nos établissements auront aussi la “chance” d’aller chercher jusqu’à 1% en financement supplémentaire (oui oui - un PLEIN 1%) en atteignant des cibles de recrutement. Ces cibles seront choisies par le gouvernement vous l’aurez compris. C’est le même genre de faux investissement qu’on a eu y’a pas si longtemps, concernant la formation en science infirmière. Alors, ô bonheur, faut-il s’attendre à plus dans le genre?
Si ce n’était de ce satané « jusqu’à » qui vient (encore) gâter la sauce, on pourrait croire que l’intention est d’aider les universités. Sauf que là, l’université qui ne parvient pas à maximiser son « jusqu’à », sera le parent pauvre par sa propre faute. Elle n’a pas travaillé assez fort, que voulez-vous: rien à voir avec les subventions. Holder a même pris soin de mentionner que ça fait 5 ans de suite qu’elles augmentent!
Gardons-nous bien de (se ré)jouir trop vite, toutefois. Les budgets disent autre chose.
Pour donner une idée de la manne qui pleut sur toi, chère population étudiante, j’ai pris le soin de préparer le tableau suivant:
universités (subventions) |
Variation sur 1 an |
Droits de scolarité (moy. NB) |
Variation sur 1 an |
||
2018-19 |
266,4 M$ |
+5,1 M$ (1,9%) |
6944$ |
+170$ (+2,5%) |
1,51% |
2019-20 |
260,7 M$ |
-5,7 M$ (2,1%) |
7367$ |
+423$ (6,1%) |
2,16% |
2020-21 |
267,9 M$ |
+7,2 M$ (2,8%) |
7666$ |
+299$ (4,1%) |
1,09% |
2021-22 |
270,5 M$ |
+2,6 M$ (1%) |
8019$ |
+353$ (4,6%) |
5,69% |
2022-23 |
275,6 M$ |
+5,1 M$ (1,9%) |
8300$* |
+281$ (3,5%)* |
??? |
(*UM: +2%, UNB: +4,5%, STU: +3-5% (est: +4%), le taux moyen de +3,5% fut appliqué pour MtA, qui n’a pas publié son budget 2022-2023 au moment de l’écriture)
Alors, si on doit croire les budgets provinciaux, le ministre dit n’importe quoi; en plus, la première de ces 5 années était planifiée par le gouvernement libéral précédent - les futés noteront que le premier budget Higgs annule la hausse libérale et ramène tout sous le niveau de 2017-18. Rien d’inconnu - mais la mémoire est une faculté qui oublie.
En revanche, ça fait bien 3 ans de suite que ces subventions augmentent, alors je suis curieux de savoir pourquoi Holder dirait 5? On en vient presque à croire que le but serait d’entretenir l’illusion d’une planification financière à long terme.
Écoutez, je ne suis pas devin, mais je dirais qu’il y a une annonce pour bientôt au MEFT. Considérant qu’on nous sert encore la même salade sur les cibles et les objectifs, il ne faudrait pas s’étonner que ça ait un lien avec la formule de financement des universités. Qu’on le veuille ou non, ça fait des années que la transition vers un modèle de subventions basé sur la performance se discute au gouvernement. On est déjà dans les premières étapes, celles des « jusqu’à », alors les coins du pansement sont déjà levés. On attend le coup. Remarquez, ça peut se faire (c’est peut-être déjà bien amorcé) sans devoir passer à une nouvelle formule de financement.
L’annonce du ministre offre bien peu de détails, alors on ne peut dire quoi que ce soit avec une once de certitude. On parle d’impression, sans plus. Sous le présent gouvernement, présumer des pires intentions s’est rarement avéré une mauvaise tactique.
Or, que sait-on? De façon concrète, Holder a annoncé que les subventions augmenteront de 1,5%, qu’il y a 1% supplémentaire à aller chercher en atteignant des cibles d’enrôlement (mais lesquelles, qui sait?). Il a aussi annoncé que l’intérêt sur les prêts étudiants sera complètement éliminé en 2022-2023, ce qui est digne de mention.
C’est une mesure qui affectera plus de 65 000 personnes, selon le gouvernement. Le problème, c’est que *pas une seule* de ces dernières n’est étudiante.
Importante distinction: ce sont les diplômé.es qui remboursent ces prêts, et donc paient l’intérêt sur les montants empruntés, mais pas les étudiant.es. C’est donc de l’autre bord du diplôme qu’on doit chercher l’impact. Et c’est un bon impact, à n’en pas douter - soyons clairs que c’est une bonne nouvelle. Mais dans quelle mesure - ça on y reviendra.
Mais c’est une bonne nouvelle qui n’aidera aucunement l’accessibilité ni l’abordabilité des études, soyons tout aussi clairs là-dessus.
Trevor Holder, de qui (et à qui) j’ai déjà dit qu’il confond les étudiant.es et les diplômé.es, nous passe du réchauffé (ceci ou le mess des crédits/rabais d’impôts sur les droits de scolarité, c’est du pareil au même) avec l’élimination de l’intérêt sur les prêts étudiants. Bon, il se peut que la distinction importe peu à ses yeux, car le premier rôle dans son annonce revient au financement des universités - et de manière à leur serrer la vis côté programmes.
Dans ses propres mots (que je ne traduirai pas, car Higgs & Co. n’ont certainement pas besoin d’arguments supplémentaires pour ignorer la LLO), son objectif est le suivant:
« Align the priorities of New Brunswickers up with the education and training opportunities of our post-secondary institutions. »
Ce qui, pour les cyniques de mon acabit, signifie - en termes peu subtils - forcer les institutions à couper dans leurs programmes, ou au minimum “investir de façon stratégique” dans ceux qui cadrent avec les soi-disant priorités de la population.
Ne faudrait-il pas prendre la peine de lui demander ce que sont ses priorités, à la population? J’ai la sombre impression qu’on se prépare plutôt à les lui apprendre.
À sa décharge, l’intention semble bonne et Holder a l’air sincèrement convaincu que l’élimination de l’intérêt sur les prêts étudiants va rendre l’éducation plus attrayante, par la magie de la réduction du coût d’emprunt. Mais champion: si devoir emprunter est ce qui te fait virer de bord en partant, ça ou la perspective de payer des dizaines de milliers de dollars pour sortir dans une économie moribonde où, au mieux, on devrait se satisfaire d’être suréduqués et sous-payés, à qui ça profite?
« OuI mAiS sI tU gRaDuEs DaNs Le BoN dOmAiNe, Tu AuRaS uN bOn SaLaIrE »
Sauf que, plus on ajoute de diplômé.es dans ces « bons domaines », moins l’incitatif pour leur offrir des salaires élevés pèse dans la balance pour les employeurs. La valeur marchande reste une fonction de la rareté, toujours en en toute chose. Évidemment, la rareté aussi ça se fabrique (un «skills gap», ça s’invente), mais on parle en général.
Alors, c’est bien peu précis comme plan pour le moment. “Plan” n’est peut-être pas le bon mot, d'ailleurs. On ajoute des cibles d’inscriptions dans les programmes qui seront désignés par le gouvernement. Mais si les universités publiques (sous-financées d’avance) doivent, pour réduire de 1% leur niveau de sous-financement, investir plus alors qu’il en manque déjà pour maintenir le statu quo, elles creuseront le trou deux fois plus vite qu’elles ne peuvent le remplir. Et c’est censé produire des résultats - comment? Pas de bras, pas de chocolat.
Un moment donné, quand ça fait assez longtemps que tu t'échines à creuser le trou, il ne reste plus qu’une option: planter trop creux.