On se demandait dans le dernier texte quel sera l’impact réel de la “nouvelle” approche du gouvernement Higgs pour financer la formation en science infirmière, dans l’espoir de contrer la pénurie de personnel dans les soins de santé. Pour vous la résumer: on veut des diplômé.es avant-hier et pour les avoir, on promet de financer une partie de leur parcours après-demain. En termes de montant, on parle de 35 000$ par diplômé.e.
Mais d’après ce qu’on en sait jusqu’ici, ce n’est qu’après le diplôme que ces fonds seront versés par Fredericton. À toutes fins pratiques, c’est l’équivalent de couper dans le financement des universités: on leur impose une charge additionnelle pour former plus d’infirmières et infirmiers, sans avancer les fonds pour y parvenir.
L’expérience nous dit que ce sont les étudiant.es qui paieront la note, à coup sûr.
Pour un avant-goût de ce qui va suivre, il suffit de revenir en 2019, quand le gouvernement a coupé près de 9 M$ dans le financement en science infirmière. Dans les mots du ministre Holder: « dépenser de l’argent dans un programme qui ne permet pas de combler les places, et qui ne permet pas d’obtenir les infirmières au système n’est pas rentable. » Il semblait vraiment à deux doigts d’une épiphanie.
Pour combler le trou, l’Université de Moncton a ajouté un frais de stage de 500$ à la facture des étudiant.es en science infirmière. Ce frais s’ajoute lui-même à une hausse de 8% des droits de scolarité pour tout le monde (pour trois années de suite… à date).
À UNB, c’est plutôt l’adoption d’une structure de frais différenciés qui aura été la réponse au manque de financement. Si je vous disais que la hausse la plus forte (24,5%) a été en Nursing, seriez-vous surpris?
Dans le fond, c’est l’aboutissement inévitable de la stratégie de sous-financement planifié appliquée par le gouvernement provincial depuis 2018 - pour ne pas dire l’objectif visé. Honnêtement, l’impact réel de cette “stratégie” en l’espace d’à peine quatre ans, fut bien pire que l’estimait votre humble serviteur, d’ailleurs peu réputé pour son optimisme.
Enfin, si on ne parle aucunement d’aide financière ni de programmes de réduction de la dette étudiante dans le discours du budget, les chiffres du budget principal permettent d’estimer que les subventions aux universités augmenteront de 1,88% en 2022-23.
Soulignons que l’inflation se chiffre à 5,69% entre février 2021 et février 2022, d’après la Banque du Canada. Les chiffres utilisés par le gouvernement à l’écriture du budget tournaient aux environs de 3,8%, ce qui se reflète dans son plafond sur la hausse du coût des loyers. Abstraction faite de cet écart, au mieux, cette augmentation reste planifiée pour couvrir la moitié du coût d’inflation.
Mais la question des programmes d’aide financière, elle, demeure entière. Le “bon” côté du silence à ce sujet est qu’on pourrait présumer qu’il n’y aura pas de coupures - mais ça veut aussi dire qu’il n’y aura pas d’investissements. Les premiers chiffres sur la Bourse renouvelée pour les droits de scolarité (BRFS) indiquent qu’elle permet à davantage d’étudiant.es (yay!) de recevoir individuellement moins d’aide (boo!) comparativement aux deux programmes qu’elle a remplacés.
Logique, quand ce qui distingue la BRFS de ses prédécesseurs est l’éligibilité des étudiant.es des établissements privés. Mais, sans le financement additionnel qui devrait logiquement accompagner l’accessibilité élargie d’un programme d’aide financière, la diminution des montants remis aux étudiant.es était un “résultat” très prévisible.
Au minimum, le gouvernement devrait chercher des moyens d’atténuer la charge additionnelle que son plan en science infirmière va très probablement placer sur le dos des étudiant.es. La FÉÉCUM a quelques idées là-dessus, soit dit en passant. Une aide financière ciblée pour les programmes menant à des emplois dans les secteurs à risque de pénurie serait un moyen logique de donner les meilleures chances de réussite à son plan.
Oh, et si jamais ça fait déjà partie des plans à Fredericton: pas un crédit d’impôt, hein? C’est qu’il faut d’abord payer de l’impôt avant que ça vienne en aide (et la majorité des étudiant.es n’en paie pas). Sans oublier qu’un pourcentage fixe du revenu, c’est tout sauf équitable comme mesure du besoin.
Entre-temps, s’il n’y a pas l’ombre d’une mention de l’aide financière aux étudiant.es dans le budget provincial, c’est signe que le gouvernement juge que le programme tel qu’il est fonctionne bien. S’il n’était pas satisfait du rendement de la BRFS, vous pouvez être certains qu’on en aurait entendu parler. Et s’il juge que le programme fonctionne bien, parions qu’il ne lui coûte pas plus cher qu’il faut. Remarquez, difficile à dire en l’absence de chiffres sur le sujet. Tout ce qu’on peut savoir librement, c’est que l’aide versée dans sa globalité est en augmentation, mais que les bourses comme proportion de l’aide versée diminuent.
C’est dire que des droits de scolarité qui augmentent de 8% par année, année après année, ce n’est pas problématique aux yeux du gouvernement. C’est dire qu’il n’en a rien à cirer que toutes les autres dépenses auxquelles les étudiant.es font face (comme tout le monde) augmentent à un rythme d’enfer, en plus ces hausses qui dépassent l’inflation de façon routinière. Je parle de logement, de transport, de matériel, de services, d’alimentation, et tout le reste. Le temps que les dieux du marché libre répandent sur nous leurs bienfaits (ce qui semble douteux) comment tenir le coup?
Le Front commun pour la justice sociale (FCJS) a commenté le budget 2022-2023 de la manière suivante: «Le budget provincial soutient les gourmands, pas les nécessiteux»
En plein dans le mille.
Difficultés ou pas, il est sain de rester conscient de son propre privilège. Je l’ai dit et répété: personne n’a le monopole de la misère au N-B, et c’est pour cela qu’il importe de se tenir solidaires des combats des autres. Face à l’austérité (pour ne pas dire pingrerie) qui devient la marque de commerce du N-B, une guerre intersectorielle pour les maigres dollars que le gouvernement Higgs est prêt à investir ailleurs que dans le secteur privé est la dernière chose dont nous avons besoin.
Soyons réalistes: la population étudiante n’est pas la seule à souffrir de ces politiques d’austérité. Ce n’est peut-être pas celle qui en souffre le plus durement, mais elle en souffre malgré tout. Et chaque budget qui ne vise pas d’améliorations dans un secteur porteur d’avenir comme l’éducation postsecondaire, mine les efforts futurs dans à peu près tous les autres secteurs, à commencer par les services publics.
Le tort causé à long terme est aussi économique, car la dette étudiante est un fardeau qui mine la participation de bien des diplômé.es à l’économie de la province. 60% des étudiant.es du NB doivent emprunter pour faire des études, et ont une dette moyenne de 40 000$ à la fin du baccalauréat. Pas besoin d’une leçon de statistique pour comprendre qu’il y en a qui sont dans une pire situation que d’autres. Ni d’une leçon sur l’intérêt composé pour savoir que cette moyenne n’est qu’un point de départ, pas la facture finale. Bref, le besoin n’est ni partout, ni partout le même; et l’aide financière se doit de le refléter.
Les étudiant.es de première génération (ceux dont les parents n’ont pas accédé à l’éducation postsecondaire) par exemple, doivent plus souvent s’endetter pour obtenir leur diplôme, s’endettent davantage, et remboursent leur dette d’études moins vite que ceux dont les parents ont une éducation postsecondaire. S’il est vrai que les étudiant.es de famille à revenu faible ou moyen ont habituellement accès à plus d’aide financière, il n’en est pas moins vrai que cette aide est insuffisante (et ça ne va pas en s’améliorant) à couvrir le coût de la scolarité. Ça veut aussi dire que les difficultés à faire face au coût de tout le reste sont aussi d’un autre ordre.
Cibole, même le gouvernement provincial encourage (et de manière assez peu subtile) les étudiant.es à travailler à temps partiel pour financer leurs études. Mais il y a une limite d’heures qui peuvent être travaillées avant d’avoir un impact négatif sur les études - dans le cas de certaines bourses et surtout des prêts étudiants, trop d’heures de travail ont l’effet de réduire les montants d’aide reçue. Et puis, inévitablement, plus on travaille et moins on aura le temps de se concentrer sur les études. Et plus le diplôme est long à obtenir, plus les difficultés s’accumulent. Et plus ça s’étire, plus la circularité devient vicieuse.
On ne semble pas voir la valeur de les aider du côté de Fredericton - ou du moins, pas l’urgence. L’avenir, c’est le problème d’un autre gouvernement et le présent est la faute de celui d’avant. Difficile de faire bouger quiconque pourrait se réconforter à cette idée.
Pourtant, l’urgence d’avoir plus de diplômé.es - et immédiatement - semble bien présente au rang des préoccupations du gouvernement Higgs. Mais il approche la situation comme un fermier qui voudrait des légumes sans prendre soin des graines.
Quoi qu’il en soit, les étudiant.es ne sont pas seuls à rester sur leur faim. Et quand on se compare, on se désole. En termes d’investissements dans les programmes sociaux, l’approche du « strict minimum » règne encore en maître, et on affiche une confiance inexplicable en la capacité des lois du marché pour soulager ceux dans le besoin…
L’ironie de la situation est pénible à constater: le gouvernement dépasse de 732 M$ ses prévisions économiques, et l’année suivante on se retrouve encore à marcher sur des œufs pour quêter des miettes.
Et la place se fait de plus en plus rare dans le poulailler.
Misère… et compagnie!