Bon, ça fait que je viens de lire le discours du budget provincial, déposé hier.
Et j’ai des questions.
La mesure-phare (quoique les savèches peuvent dormir tranquilles, ça brille pas fort) du plan mis de l’avant par Higgs et co. est une réduction de 50% de la taxe provinciale sur les logements ne servant pas de résidence principale à leurs propriétaires.
Comme, tsé, les immeubles à appartements, ou les chalets - mais ça inclut aussi certains établissements de soins privés.
Fait que, le problème étant l’incapacité de bien des ménages au revenu faible, modique, ou fixe de soutenir les hausses ridiculement élevées imposées par certains propriétaires, champion s’est dit que la solution était de retourner 45 millions $ en impôt dans les poches, non pas des locataires, oh que non, mais bien des propriétaires.
Sans autre mesure pour s’assurer que ces “économies” fassent leur chemin jusqu’aux gens qui ont VÉRITABLEMENT BESOIN D’AIDE, difficile d’y voir grand chose de plus qu’un énième wet-dream conservateur. Si le terme «principe du ruissellement» (ou trickle-down, en anglais) ne vous dit rien, ça vaut la peine de prendre une petite pause et d’en apprendre plus sur le sujet.
«Oh, mais attendez, les bénéfices vont être répartis par les propriétaires.»
Non. Ça n’arrive… c’est quoi le terme? Jamais.
Qu’à cela ne tienne, on change radicalement de position et on se décide enfin à imposer une limite de 3,8% sur les augmentations de loyer, basée sur l’inflation au cours de la dernière année. Cette mesure est mise en place pour une durée d’un an, mais il n’est pas clair qu’elle sera renouvelable. Ça se peut très bien qu’en mars 2023 on jugera bon de l’éliminer complètement, parce que «le pire est passé».
Sauf que le mal est déjà fait dans la plupart des cas: le niveau actuel des loyers, qui résulte des changements imposés au cours des deux dernières années pendant lesquelles ce gouvernement semblait plus qu’heureux de rester assis sur ses mains, a déjà transformé le marché immobilier en un véritable far-ouest de spéculation dans un désert de réglementation.
Un loyer insoutenable qui augmente “seulement” de 3,8%, c’est encore un loyer insoutenable, bout d’baptême.
Ça a l’air que la réticence du gouvernement à imposer des limites aux propriétaires relève d’un désir d’encourager la construction de nouvelles unités, ce qui est un élément essentiel d’une sortie de crise équilibrée. Mais c’est inSSSSSSSSSSSSufisant.
Quand le prix moyen des loyers dans les nouvelles constructions est déjà entre 1300$ et 1700$ par mois, on peux-tu s’entendre que la crise n’est pas sur le bord de s’achever?
C’est également limpide que ces nouveaux logements ne visent manifestement pas une clientèle mise à mal par la hausse du coût de la vie. Ceci dit, les logements laissés vides par les gens qui occupent ces nouvelles unités de luxe pourront servir d’option à coût plus raisonnable à d’autres, moins bien nantis. C’est plus ou moins ça le plan.
Mouais, bon. Avez-vous vu beaucoup de loyers diminuer dernièrement, vous? Ce logement “à prix modique”, s’il était déjà hors de prix avant que son ancien locataire ne le quitte pour un condo flambant neuf avec vue sur la rivière, l’est probablement encore, sinon pire.
Mais de nouveaux logements à loyer modique, nous ne voyons point. Ceux-là ne seront pas construits par le secteur privé - et détrompez-vous si vous croyez que ceux qui achètent les immeubles plus anciens le font dans un autre but que celui de réaliser un profit.
Il n’y a, après tout, aucune raison logique d’acheter un taudis à plus du double de son évaluation foncière: l’intention est et demeurera toujours de faire ses frais.
Faire ses frais sera plus facile, grâce à ce cadeau du gouvernement Higgs. Plus facile, certes, mais pas moins tentant. Au contraire, le but est de rendre ça le plus tentant possible, pour agrandir le parc immobilier et favoriser une diminution du coût des loyers en réponse à la croissance de l’offre.
AKA «que le marché s’ajustera à la demande», un autre ruine-pyjama.
Une option sensée (si le but était vraiment d’aider les locataires en tout cas), comme le souligne l’opposition, serait de diriger plus de fonds vers la société d’habitation du N.-B. et réviser sa structure pour lui permettre de construire des logements abordables. Si on retire de l’équation l’impératif du profit, comme se doit de le faire tout programme de logement social, alors on a un espoir réaliste d’agrandir le parc immobilier d’une manière qui forcerait le coût des loyers à la baisse.
Mais celles et ceux qui ont acheté à deux fois (et parfois, davantage) sa valeur foncière un immeuble à appartements pour hausser les prix du loyer de sorte à pousser ses locataires vers la sortie - n’allons pas dire, ô horreur, qu’il s’agisse d’évictions - et les remplacer par d’autres, prêts à payer plus cher encore, ne verraient pas d’un bon oeil ce genre d’intervention de la part du gouvernement provincial. Surtout quand c’est le laxisme de ce même gouvernement qui est la raison première de leur investissement initial. Et encore, ils trouveront le moyen de critiquer un rabais de 45 millions$ comme insuffisant, car la hausse de la valeur des propriétés est trop importante pour espérer un réel soulagement.
C’est qui l’illuminé qui a payé le gros prix pour la bâtisse, encore? Parce que *ça se peut* qu’il ait sa part du blâme dans l’inflation de la valeur foncière. Bon, je ne suis pas un expert.
Autre obstacle, aussi, à la mise en place d’un nouveau programme de construction de logements sociaux: la dernière fois où ça s’est vu, c’était fondé sur des investissements majeurs du gouvernement fédéral. Et c’est aussi à cela que pense le premier ministre quand il dit que le marché a la capacité de se réglementer par lui-même: s’il faut en arriver à un point où construire des logements subventionnés devient la seule solution à la crise (ce qui n’est pas si lointain, à mon humble avis), ce n’est pas sa job de mettre l’argent sur la table - que le fédéral s’en occupe.
Le peu d’aide qui s’est rendue jusqu’à la population du N.-B. au fil des deux dernières années est venu de cette source, si on prend la peine d’y penser. Après un détour par les coffres de la province où, efficience quand tu nous tiens, la majeure partie est restée. Alors même si le fédéral se met de la partie, rien de certain quant au résultat. Il y a pas mal de fonds qui pourraient se perdre en “frais de service”.
Donc, si on résume: les propriétaires recevront un cadeau de 45 millions$, sans indication que le gouvernement sera trop zélé à faire appliquer rétroactivement son plafond sur les hausses, et les revenus d’impôt qui permettent de financer les services publics dont dépend la part la moins nantie de la population (celle-là même qui, ironie du sort, peine à se loger dans ses moyens) vont diminuer.
Et en bonus, très probablement un autre surplus “inattendu” en fin d’année financière. Heureux qui pourrait y voir un plan quelconque.
Oh, mais j’oubliais: le salaire minimum va augmenter par deux fois en 2022. Le gouvernement nous indique que 26 000 personnes, présentement, travaillent pour un salaire inférieur à 13,75$ l’heure, dont 16 000 au salaire minimum. Aussi, des changements seront apportés au montant personnel de base, on devine pour éviter que les hausses salariales au bas de l’échelle entraîneront une perte de l’exemption d’impôt provincial pour les ménages à faible revenu. Malgré tout, une chance que leur loyer ne pourra pas augmenter plus que 3,8% et que le coût de tout le reste n’est pas en train de gonfler à un rythme effréné. Sans quoi, il y aurait de quoi craindre que cette augmentation - double, car soyons francs, le retard du N.-B. en la matière est inexcusable - ne disparaisse aussitôt accordée.
Et puis, ce n’est encore que quelques-unes des questions qui surviennent quand on lit le discours du ministre Steeves… Vous verrez assez rapidement que dans le cas des personnes étudiantes (qui doivent bien se loger quelque part aussi, rappelons-le) dont le budget n’a à peu près pas parlé, c’est… Misère et compagnie.