Un texte de Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Il y a quelques jours, la découverte des restes de 215 enfants autochtones dans une fosse commune située sur le terrain de l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique, a été annoncée. La nouvelle suscite tout sauf l’indifférence. (Radio-Canada)
De nombreuses démonstrations de solidarité ont surgi de partout au pays, dans les médias sociaux comme dans les rues. Chaque personne qui apprend cette macabre découverte comprend d’instinct l’ampleur de la détresse vécue par les Premières Nations. Parce que ce sont des enfants, des êtres innocents morts sous la responsabilité d’adultes qui devaient pourtant voir à leur bien-être, leur santé et leur survie (je dis cela car c’est ainsi que nous pensons les écoles - mais ce n’était *absolument* pas la norme dans les écoles résidentielles).
Les écoles résidentielles, aussi appelées pensionnats autochtones, étaient des institutions religieuses financées par le gouvernement canadien et créées expressément dans le but d’« assimiler les enfants autochtones à la culture eurocanadienne » (Encyclopédie Canadienne)
Les contacts avec la famille et les proches y étaient le plus souvent interdits durant leur scolarisation à l’établissement, et la majorité des enfants y étaient gardés sans interruption pendant la durée complète de leurs études. De jeunes autochtones âgés de 3 à 17 ans y recevaient une éducation spécifiquement conçue pour effacer leur culture, traditions, croyances et toute forme de fierté identitaire, au nom de l’intégration dans la société canadienne.
Au-delà d’une dévalorisation complète de leur culture et de la destruction systématique de leurs repères identitaires dépeints comme « inférieurs » (ce qui formait la base de l’éducation), on y imposait par la honte et la violence des rôles genrés occidentaux. L’habillement, la division des tâches, et la nature du caractère - fondamentalement étrangers aux sociétés autochtones, égalitaires et fondées sur l’équilibre plutôt que la hiérarchie - y recevaient une attention constante. Les langues autochtones étaient interdites; les parler était sévèrement puni. Les survivant.e.s et leurs proches témoignent de l’impact dévastateur de ce système, tant au niveau individuel que collectif, et par-dessus tout intergénérationnel.
Du point de vue gouvernemental, il fallait faire tout cela pour « tuer l’Indien dans l’enfant » (Histoire engagée), les expériences passées ayant convaincu les élites coloniales qu’il n’y avait rien à espérer des adultes, qui demeuraient accrochés à leurs traditions.
À partir de 1920, il est donc devenu obligatoire pour les enfants autochtones âgés entre 7 et 15 ans d’être inscrits dans une école résidentielle, sous peine de pénalités allant de l’amende à la prison pour leurs parents.
Et quand les menaces ne suffisaient pas, on les enlevait de force.
C’était l’un des moyens utilisés par le gouvernement du Canada pour apporter une solution à ce qu’il appelait son « problème indien ». (Facing History - en français)
Ce « problème », plus précisément, était un manque de civilisation: l’idée même d’une culture autochtone était considérée comme une contradiction.
Les conditions de vie dans les pensionnats étaient horribles, particulièrement au niveau sanitaire. Les dortoirs surpeuplés et mal ventilés étaient des lieux idéaux pour la propagation de la tuberculose. La maladie y posait une menace constante à la survie des enfants, mais ce n’était pas la seule; la vie en vase clos les rendait constamment vulnérables aux abus.
Les témoignages entendus par la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) font mention d’agressions sexuelles, de violences physiques, d’empoisonnements, d’électrochocs, de torture par la faim et par le froid, d’expériences médicales. Au moins une école utilisait une chaise électrique dans son sous-sol pour punir les élèves.
La situation sanitaire fut dénoncée relativement tôt, quand un inspecteur gouvernemental dira de sa visite de 35 écoles résidentielles en 1907 que les enfants y « meurent comme des mouches ». Le taux de décès y était si élevé qu’il les jugea plus mortelles que la plupart des guerres. Les données amassées à l’époque indiquent un taux de décès allant de 24% à 75%. (The Tyee) Face à ces chiffres alarmants, les autorités ont trouvé refuge dans l’idée que les Autochtones étaient moins résistants à la tuberculose, un problème commun aux « races inférieures ». L’inspecteur en question, Dr Peter Bryce, commenta que les écoles semblaient presque avoir été délibérément conçues pour créer une épidémie. (The Tyee)
Songeons aussi que ceux qui n’en mouraient pas sur place pouvaient ramener la maladie dans leur communauté. Dans son rapport, Bryce souligne que 69% des anciens pensionnaires des établissements visités sont morts, presque tous de la tuberculose.
Il semble que les congrégations religieuses en charge de la gestion de ces écoles se soient grandement soucié des âmes des élèves mais bien peu de leur santé. Si le but du gouvernement était l’assimilation, celui des congrégations était d’abord la conversion. Un examen du curriculum qui y était offert révèle une éducation « inappropriée » à tous les niveaux. (Encyclopédie canadienne)
Ceci dit, le gouvernement n’est clairement pas sans ses torts. Il a pensé, organisé et mis en place le système, en approuvant tout ce qui s’y passait sans trop se salir les mains. Il a refusé d’apporter des modifications qui auraient sauvé des vies en raison de leur coût trop élevé. Ce n’est pas par hasard que ce système a duré plus de 100 ans (1893-1996). Que les représentants élus aient ignoré, accepté ou cautionné les torts causés par les écoles résidentielles n’y change pas grand-chose, malheureusement.
Du reste, le gouvernement laissait aux religieux l’organisation des écoles: on sait quel genre de traitement a pu en résulter, pour l’avoir subi dans plusieurs de nos communautés.
Pour vous donner une idée de l’attitude, le rapport de la CVR indique que: « Les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes interprètent le nombre élevé de décès comme le prix à payer par les Autochtones pour devenir civilisés. » (CVR)
Certains seront rassurés d’apprendre qu’aucune école résidentielle ne fut établie au N-B. Sauf qu’il y a un « mais »: une école coloniale investie de la même mission d’assimilation a été en opération de 1790 à 1826, dans la région de Sussex. Sous une façade « civilisatrice », il s’agissait véritablement d’un sweat-shop où les abus sexuels étaient monnaie courante - ce qui a mené à sa fermeture. (Acadie Nouvelle)
Et même sans avoir eu ici d’écoles résidentielles, des enfants mi’kmaq et wolastoqiyik furent arrachés à leurs communautés du N-B pour être envoyés à l’école résidentielle de Shubenacadie, dans la province voisine, fermée quant à elle en 1967.
Enfin, un autre système était présent au N-B, soit celui des écoles de jour. 12 de ces écoles financées par le gouvernement fédéral ont existé dans la province, dont la dernière a fermé ses portes en 1992. Ces dernières n’étaient pas moins des outils d’assimilation, aux buts très proches de ceux des écoles résidentielles. Les deux systèmes ont opéré en parallèle, les écoles de jour étant d’abord établies en 1880. (Global) Les communautés autochtones de la province ont demandé au gouvernement de faire la lumière sur ces écoles, suite à la découverte des restes d’enfants à Kamloops. (Acadie Nouvelle) Contraitrement à son habitude, le gouvernement Higgs a accepté presque sans réserves la demande des Premières Nations.
J’imagine que c’est plus difficile de jouer la ligne dure quand on parle d’enfants. Il a dit dans un message à la Législature qu’il « s’engage à examiner les opérations des écoles de jour dans la province du N-B et examiner les enfants qui n’en sont pas revenus et pourquoi » (CBC) Le fait que cette enquête-là peut difficilement l’engager à quoi que ce soit comme action subséquente a sûrement aidé, aussi - mais c’est au minimum un pas dans la bonne direction.
Ces écoles restaient largement sous le contrôle des gouvernements provinciaux, par souci d’intégration avec le curriculum scolaire. (Encyclopédie canadienne) En termes de programme scolaire, on y constate la même mission d’assimilation que les écoles résidentielles.
Une action collective lancée en 2009 décrit les écoles de jour comme faisant partie d’un « système d’éducation obligatoire, colonial, religieux, paternaliste et discriminatoire », où les élèves subissaient des violences allant « de l’abus verbal aux instances répétées d’abus physique ou d’agression sexuelle ». (CBC)
Comme quoi, résidentielle ou pas, le système restait plus ou moins le même. Le but l’était lui aussi: soit la dévalorisation et la disparition de la culture et des traditions autochtones.
On ne sait rien de la forme, des méthodes, ou du mandat qui doit fournir son cadre à l’enquête promise par Higgs. La ministre des Affaires autochtones a promis de prendre conseil auprès des chefs des Premières Nations sur l’approche à adopter.
Déjà, notons que les termes « école coloniale », « consultation » et « enquête publique » n’ont pas (encore) été prononcés. L’avenir nous dira s’ils entreront dans la conversation.
Au niveau fédéral, le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, a rappelé que 27 millions$ ont été inscrits au budget 2019 pour financer des fouilles semblables à celles de Kamloops, et sont immédiatement ouverts aux demandes des communautés. (Le Devoir)
Comme l’ont rappelé les chefs mi’kmaqs au sujet des écoles de jour, « avant la réconciliation doit venir la vérité ».(Acadie Nouvelle)
Et la vérité, c’est que le passé ne reste jamais dans le passé. Comme chaque photo dans un album de famille évoque un flot de souvenirs, chaque traumatisme subi dans ces institutions spécifiquement conçues pour assimiler les personnes autochtones laisse ses traces. Traces qui, même quand la chair d’un autre les porte, elles ont entendu raconter, ont senti l’émotion de la personne qui se remémore; traces qui ravivent et perpétuent la douleur même dans le silence, même dans l’oubli, même dans l’ignorance.
Mais traces, surtout, profondément inscrites dans un système qui, s’il a connu des évolutions et des réformes au fil du temps, n’en demeure pas moins le produit.
Imaginons le système canadien comme un érable: flexible dans une certaine mesure, mais tout à la fois immuable dans son ensemble, il peut grandir mais pas dans n’importe quelle direction. Tout part de la branche, du tronc, et du sol, qui lui montrent la voie.
De loin; magnifique, solide, attrayant.
Imaginez maintenant ses racines, qui en sont la partie moins visible. On ne sait pas à quel point elles sont solides, ni profondes, ni droites. Difficile d’aller réparer les problèmes à la source en espérant changer sa partie visible, d’ailleurs, qui pour le meilleur et pour le pire est relativement fixée dans sa forme, sinon dans sa taille. On peut guider sa croissance future en soignant ses branches plus faibles, en revanche.
Ça illustre un peu comment on peut avoir aujourd’hui sous les yeux un système fondamentalement raciste, sur lequel s’appuie une société soi-disant multiculturelle, ouverte et progressiste. On montre l’arbre, en somme, mais on oublie que sa forme actuelle - en dépit des meilleures campagnes publicitaires - reste le produit de ses racines.
On voit aussi comment c’est possible de ne pas être individuellement raciste tout en perpétuant un système qui, lui, l’est sans équivoque. Le système n’a pas besoin que vous soyez raciste pour se maintenir; ça aide, mais ce n’est pas une nécessité.
La même métaphore s’applique très bien à l’individu et particulièrement aux gens des Première Nations; une fois la base fixée, difficile de changer le cours des choses. Même ceux qui ont échappé aux institutions conçues pour éliminer des cultures, des identités et des traditions qui ont trouvé envers et contre tout le moyen de survivre s’en trouvent aujourd’hui affectés, et ont besoin de notre appui dans la guérison.
Mais ça, il faut le croire pour le voir.