Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Si vous tendez l’oreille en direction de Fredericton, vous percevrez certains échos sur la révision de la Loi sur les langues officielles du N-B (LLO). Cette révision doit être complétée d’ici le 31 décembre prochain (GNB) et, au risque de me répéter, la dernière fois que ce processus a eu lieu, il a fallu deux ans pour le mener à terme.
Or moins de douze mois nous séparent de la date d’échéance, et le processus n’a pas encore été lancé. Sans pouvoir dire que rien n’a encore été fait (quelqu’un, quelque part, travaille forcément sur un plan; au minimum, on en parle), on ne devine aucun sentiment d’urgence chez le gouvernement. Soit on s’en fiche, soit tout est sous contrôle.
Admettons que 24 mois pour mener un processus de consultation et de révision est peut-être un peu prudent, et que rien n’oblige le gouvernement à faire pareil cette fois-ci; seulement de terminer le 31 décembre 2021. Plus ce sera long et plus ce sera cher, aussi; c’est forcément un facteur dans la décision, vu le gouvernement et le contexte économique.
Ceci dit, vous aurez déjà vu quelle différence il peut y avoir entre le résultat d’un examen étudié en catastrophe la veille et celui qu’on a le temps de bien préparer. La comparaison est un peu injuste, évidemment, car les conséquences ne sont pas du même ordre.
Mais bon, raison de plus pour s’y prendre d’avance.
Les langues officielles doivent être une priorité pour le gouvernement du N-B. Sauf que le premier ministre répond aux questions sur la révision de la LLO d’une manière qui porte à croire qu’il ne l’a même jamais lue. Vous ne l’avez pas lue non plus? Ah ben. Dans le fond, c’est pas si grave tant que vous n’êtes pas la personne responsable d’appliquer la LLO; lui, c’est sa job. (GNB)
Il a affirmé publiquement, par exemple, que la révision « devait être une occasion de comprendre pourquoi les jeunes anglophones ne sont pas bilingues ». (Radio-Canada)
C’est profondément inquiétant. Il a été jusqu’à rencontrer des représentants de l’Anglophone Rights Association (ARANB), qui milite activement contre la supposée menace francophone, comme si la majorité de la province n’était pas libre de parler sa langue où et quand bon lui semble. (Acadie Nouvelle) Les « idées » lancées par Higgs indiquent que cette rencontre allait plus loin que la consultation large, pour la forme.
Pourtant, la plupart des arguments avancés par l’ARANB ne passent pas l’épreuve des chiffres. (Acadie Nouvelle) Sans surprise, lorsque questionnée sur le sujet par des journalistes, l’ARANB répond qu’elle souhaite « privilégier ses propres canaux de communication ». (Radio-Canada) Hum. Mais à vrai dire, les actions et interventions du premier ministre dénotent de longue date une profonde incompréhension de la LLO, dont les premières lignes vont comme suit (je souligne):
Objet 1.1 La présente loi a pour objet : a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Nouveau-Brunswick; b) d’assurer l’égalité de statut et l’égalité de droits et de privilèges du français et de l’anglais quant à leur usage dans toutes les institutions de la province; c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions de la province au regard des deux langues officielles. Source: (GNB) |
Le premier ministre dit et répète que la révision de la LLO est l’occasion de renforcer le bilinguisme dans notre province. Mais le fait que le premier article du document ne fasse même pas mention du bilinguisme devrait *peut-être* être un signe assez clair qu’il cherche le large avec le nez par la côte. Si le concept était plus présent ailleurs dans le document, passe encore, mais le mot « bilingue » ne s’y retrouve que deux fois, appliqué à la haute-direction des services publics et aux publications des décisions des tribunaux de la province.
Fait que, hein, on joue à quoi ici?
Au moment de quitter la capitale pour le congé des Fêtes, plusieurs députés se disaient sincèrement inquiets pour les droits des francophones. (Radio-Canada) Notons que la rencontre de Higgs avec l’ARANB, dont les buts comptent la réduction des exigences linguistiques dans la fonction publique ET l’amélioration des programmes d’immersion dans le système scolaire anglophone, ne faisait rien pour les apaiser, il faut le mentionner. (Acadie Nouvelle)
Belle ironie, quand même. Je vous gage qu’ils beurrent leurs toasts des deux bords, itou.
Mais Higgs ou ARANB, c’est presque l’oeuf ou la poule; qu’il s’agisse d’un écho désagréable ou d’inspiration mutuelle, entendons-nous que c’est du pareil au même; l’influence pas si lointaine du CoR, qu’on aimerait croire passée de mode, s’y décèle assez clairement.
Vouloir renforcer le bilinguisme du N-B, c’est louable, mais comme le note le juriste Michel Doucet, le bilinguisme individuel « n’a absolument rien à voir » avec la LLO, qui vise à assurer l’égalité du français et de l’anglais dans la prestation des services placés sous la responsabilité du gouvernement. (Radio-Canada) Et celui qui veut s’obstiner avec Michel Doucet sur la question de la LLO serait mieux de commencer par la lire. Attentivement. Puis la relire. Deux fois. Et même là, pas encore sûr que ce serait une bonne idée.
D’ailleurs, pour toute l’importance qu’il accorde au bilinguisme, on attend toujours que Blaine Higgs s’y mette lui-même. Soyons cléments: il a accompli un certain progrès et fait des efforts. Mais soyons aussi réalistes, il reste un écart considérable à combler entre ses babines et ses bottines, et qui ne se règlera pas en se mettant le pied dans la bouche.
Le faible taux de bilinguisme chez la population anglophone est un problème qui mérite l’attention de la province, sans conteste, sauf que ce n’est pas à la LLO d’y apporter une solution. Au besoin, comme par hasard, le dernier rapport annuel du Commissariat aux langues officielles (CLO) contient des précisions sur la portée de la loi:
« Il est à noter que la LLO ne s’applique pas aux institutions d’enseignement distinctes [...] En outre, la LLO ne s’applique pas aux sections anglaise et française du ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance. »
Clair, net, précis. Malheureusement, cette information se cache sur la première page du rapport, alors on comprend qu’il soit facile de la manquer. (CLONB) Mais sérieusement; on pourrait croire que ça non plus, Higgs ne l’a pas lu.
Par ailleurs, tout en laissant entendre que l’exode de la jeunesse anglophone serait une conséquence directe de l’échec du système d’immersion, le premier ministre parle principalement de réduire les exigences linguistiques. (Acadie Nouvelle) Pourtant, les chiffres contredisent à la fois les raisons et la solution mises de l’avant par le premier ministre. (Acadie Nouvelle) C’est pourquoi, bien loin de recommander que les exigences linguistiques soient réduites, la commissaire Shirley MacLean démontre le besoin de renforcer la LLO. (Radio-Canada) Mais bon, pourquoi écouter une experte dans un domaine que lui-même semble à peine comprendre avant de réviser la loi qui l’encadre?
Mme MacLean recommande que la LLO soit modifiée pour « contraindre le gouvernement provincial une fois pour toutes à prendre les mesures qui s’imposent pour permettre aux fonctionnaires francophones et francophiles d’être supervisés et de travailler en français ». (CLO-NB) Entendons-nous qu’elle s’exprime le plus poliment possible, ici. Mettons qu’il y en a long entre les lignes.
En clair: elle contredit complètement le premier ministre. Et elle a raison de le faire.
L’anglais demeure la principale langue utilisée dans la fonction publique (Radio-Canada). La majorité des personnes employées sont anglophones, et un pourcentage infime (3%) des postes requiert une maîtrise du français. De plus, les postes désignés bilingues varient quant au niveau de compétence exigé. (Radio-Canada) En 2015, le rapport du CLO recommandait de rendre le bilinguisme obligatoire pour tous les postes de la haute fonction publique (sous-ministres, sous-ministres adjoints et cadres supérieurs). À l’époque, la moitié des personnes en poste était bilingue: alors même les rengaines sur l’impossibilité d’obtenir de l’avancement pour les unilingues anglophones sont à prendre avec un grain de sel. (CLO)
Ce même rapport compte une seule personne unilingue francophone sur 311 cadres supérieurs, contre 163 unilingues anglophones. Le reste du groupe était composé d’individus bilingues. Alors ces obstacles infranchissables, où sont-ils? Pour paraphraser l’éditorialiste François Gravel, le problème n’est pas linguistique, mais économique: il n'y a pas de jobs au N-B, et celles qu’on a, payent trop peu en début de carrière, alors les jeunes vont en chercher ailleurs. (Acadie Nouvelle)
Il faut dire que les emplois qui demandent des compétences bilingues - dans le secteur public et au privé - appellent souvent à interagir avec le public. Peut-être que cette visibilité aide à entretenir le mythe que la majorité des « bons » emplois est réservée aux personnes bilingues, donc de facto aux francophones? (CLO-NB)
Mais bref, Higgs se donne déjà moins de 12 mois pour réviser une loi dont il est responsable sans la comprendre, en fondant ses positions sur des faussetés. C’est indigne d’un premier ministre, purement et simplement, encore pire pour quelqu’un qui prêche une approche fondée sur les « faits » et les « résultats ».
Lui qui aime tant les chiffres, je lui résume le tout dans une équation:
LLO ≠ LOL
Peu après l’écriture de ce texte, le gouvernement du N-B a dévoilé qu’il chargera deux commissaires (à être nommés plus tard) de mener le processus de révision de la LLO. Les détails connus à ce jour figurent dans un communiqué daté du 15 janvier (GNB)