Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Au-delà de la panique tout à fait justifiable qui se répand dans les universités quant à l’impact de l’enseignement à distance sur les inscriptions, plusieurs questions névralgiques s’imposent autour de la transition pédagogique à laquelle sont forcés les membres du corps professoral.
Si la transition vers l’enseignement à distance fut accueillie avec une certaine appréhension, c’est en grande part qu’il n’y a pas de normes ou mesures applicables de la qualité de l’enseignement dans les universités canadiennes. Ce n’est pas dire que l’enseignement y soit médiocre - loin de là - mais seulement que les institutions n’ont pas vraiment de moyen d’assurer une expérience à la hauteur des promesses faites en vue de la rentrée.
Le concept de liberté académique s’apprête à différentes sauces d’un pays à l’autre, mais en Amérique du Nord de manière générale, le terme confère aux professeur.e.s un contrôle quasi-total sur le contenu et la pédagogie appliquée dans leurs cours. (HESA)
Comme la recherche scientifique - que ce soit l’objet d’étude, l’angle d’approche ou les résultats - peut parfois déplaire en hauts lieux, cette liberté est acceptée comme nécessaire à l’avancement de la connaissance, en plaçant les profs à l’abri des représailles. Ça peut évidemment causer certains problèmes quand les limites de l’interprétaton sont repoussées, comme ça s’est vu sur la question du racisme ou de l’expression de genre, par exemple (FÉÉCUM); mais, pour le bien de la majorité, il nous faut ranger ceux-ci au rang des effets secondaires.
Nous n’aborderons pas ici les problèmes liés à la substance, mais ceux liés à la pédagogie.
Confrontées à un semestre à distance, plusieurs universités ont sondé leur corps professoral pour évaluer les besoins en formation, dans l’espoir de favoriser un enseignement à distance de la meilleure qualité possible. Le problème ici est que face à l’inconnu, il peut être difficile de savoir ce qui vous manque.
Et si les rapports annuels du Service d’animation et de soutien à l’enseignement (SASE) de l’Université de Moncton peuvent nous éclairer sur la question, c’est qu’à l’exception des nouveaux profs et de « quelques professeures et professeurs ayant plusieurs années d’expérience », l’appétit envers la formation semble assez limité. (SASE) Il semble qu’une vingtaine de participant.e.s par année aux ateliers Apprendre pour enseigner (pédagogie) soit la norme, alors que l’intégration des technologies en attire une cinquantaine. Mais bref: que le besoin soit là ou non, de l’aide est disponible pour le corps professoral. (Umoncton)
Pour le meilleur comme pour le pire, la fin de semestre en catastrophe qu’on a connu au printemps 2020 a déjà pu permettre aux profs d’acquérir de l’expérience; ceci dit, les attentes ne sont absolument plus les mêmes au semestre d’automne du côté des étudiant.e.s. Ces derniers ont pu se montrer compréhensifs au printemps, car les profs n’avaient que peu, ou carrément pas d’expérience avec l’enseignement à distance, et que tout le monde était en mode réaction dû à l’état d’urgence. Mais cet automne ou (soyons réalistes) cet hiver, le minimum nécessaire ne suffit plus - moins que tout avec une hausse de 8% des droits de scolarité. (Acadie Nouvelle) On a quand même eu l’occasion, le temps, et le ressources pour préparer quelque chose de mieux, non?
Et pourtant, on trouvera encore pour voir l’enseignement à distance comme une nuisance temporaire et non un mode de livraison à part entière. Ça suppose un impact sur la qualité.
Habituellement, les hausses peuvent être justifiées par l’administration *jusqu’à un certain point* comme nécessaires au maintien ou à l’amélioration de la qualité de l’éducation. Sauf que dans les circonstances actuelles, augmenter le coût de la scolarité devient dur à justifier avec cet argument. À plus forte raison que les inscriptions n’ont pas seulement évité le scénario-catastrophe qui a probablement motivé l’adoption d’une hausse sans budget en juin, mais encore - elles ont augmenté! (UMoncton)
Réaction logique à cette bonne nouvelle: l’Université annonce déjà une AUTRE hausse de 8% l’année prochaine - avec un budget à l’appui cette fois. (Radio-Canada)
Ces trois hausse de 8% en autant d’années, les étudiant.es qui nagent en plein mystère les reçoivent comme une déferlante, accrochés à la vague promesse d’ « une excellente formation et une expérience étudiante vibrante, peu importe le mode d’enseignement des programmes d’études. », (UMoncton) C’est bien joli, sauf que l’Université n’a à peu près aucun moyen de garantir cette expérience, du moins en termes académiques. Elle peut seulement suggérer, outiller, puis espérer, car tout dépend de la bonne volonté des profs, en bout de ligne.
À cet effet, l’article 35 de la convention collective de l’ABPPUM, qui encadre les cours assistés par les « nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) », nous indique que: « la liberté d'enseignement inclut nécessairement la liberté d'une employée ou d'un employé de choisir et d'utiliser le matériel didactique qu'elle ou il juge pertinent, y compris la liberté d'utiliser ou non une technique ou une technologie précise, dont les NTIC. » (UMoncton) Autrement dit, toute tentative d’imposer un standard pédagogique quelconque dans les cours en ligne risque fort de s’abîmer sur l’écueil d’un grief.
Raison de plus, me direz-vous, pour revenir en classe au plus sacrant. Sans doute; et on entend des demandes en ce sens, on reçoit des plaintes et des questions à la FÉÉCUM qui nous indiquent que la satisfaction étudiante n’est pas au rendez-vous. Et sans avoir d’indications claires sur le semestre d’hiver, tout nous indique qu’il faudra s’y habituer à plus long terme qu’on l’espérait. La sécurité de la communauté universitaire et - qu’on le veuille ou non - la gestion de risques passera toujours devant les demandes étudiantes.
Sans vouloir pistrailler sur vos espoirs, le faible nombre de cas de COVID-10 dans la « bulle Atlantique » ne changera pas grand-chose aux décisions qui seront faites à court terme - n’oublions jamais que les universités sont des milieux très cosmopolites, et que les nôtres ont développé une forte dépendance aux étudiant.e.s internationaux. (HESA)
Ce ne sont pas ces étudiant.e.s qui posent un risque en soi: c’est plutôt le voyage qui doit les mener jusqu’à nous. Ironie du sort, celui-ci les place dans des situations semblables à nos salles de classe, en contact étroit et prolongé avec des gens provenant de partout. Et puis, évidemment, tout ce beau monde ne peut pas forcément s’amener ici en criant lapin, en raison des restrictions toujours en vigueur sur les voyages et de la longueur du processus d’entrée pour celles et ceux qui pourraient être jugés admissibles (Canada)
C’est pourquoi, dans la région Atlantique, on ne se surprend pas qu’un mode de livraison « mixte » pour le semestre d’hiver ait déjà été confirmé à (DAL) et à (Saint Mary’s). Ça se voit aussi ailleurs au Canada, et bien que toutes les institutions ne soient pas pressées de dévoiler leurs plans, celles qui l’ont fait prévoient pratiquement toutes une forme ou l’autre d’enseignement à distance. (Eduvation) Aucune université du N-B ne s’est encore prononcée publiquement sur la question pour l’instant.
Pensons aussi qu’en Nouvelle-Écosse les 3 institutions qui ont accueilli une partie importante ou la totalité des étudiant.es sur le campus ont connu des ratés. (CTV News) On constate bien qu’en dépit des plans les mieux réfléchis, tout dépend au final de l’exercice du libre-arbitre au niveau individuel; et les universités ne font certainememnt pas exception à cette règle sans âge.
Avec la deuxième phase de la pandémie qui s’amorce en (Ontario), au (Québec) et en (Colombie-Britannique), le mess qu’on sait aux (États-Unis), de même qu’une forte recrudescence des cas en (Europe), parions que c’est une question de temps avant qu’on vous propose à nouveau de payer le gros prix pour une floppée de promesses vagues et pratiquement impossibles à tenir. Ou, comme le dirait Mémère, avant qu’on essaye encore de vous vendre un cochon dans une poche.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
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Un cochon dans une poche
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