Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Les stages non-rémunérés
Chaque année, des centaines d’étudiant.es universitaires contribuent au fonctionnement des services publics de la province en complétant des stages non-rémunérés. Il ne s’agit pas d’un enjeu neuf pour la FÉÉCUM - on en parle depuis 2013. (FÉÉCUM)
On ne parle pas de quelques dizaines de personnes affectées non plus: malgré un mouvement à la baisse dans les inscriptions en éducation ainsi que la santé et ses domaines connexes, les données sur les diplômes décernés dans les universités publiques du N-B nous indiquent qu’on y comptait 775 diplômé.es en 2017, et 673 en 2018. (CESPM)
Bien entendu, ces chiffres en déclin n’ont plus grand-chose à voir avec le millier de stagiaires qu’on voyait annuellement (FÉÉCUM) aux débuts de la campagne #MonStageMeRuine. Sauf qu’à bien y penser, ça ne fait qu’une raison de plus pour investir dans le but d’attirer plus de jeunes dans ces professions essentielles (et plus que jamais). Si la perspective d’un travail dans le domaine de la santé à lui seul ne semblait déjà plus suffire à permettre le remplacement du personnel qui s’apprête à partir à la retraite, difficile de penser que le niveau (ou au minimum la perception) de risque plus élevé causé par la pandémie agira comme stimulant pour augmenter les inscriptions.
Ajoutons enfin qu’il s’agit de professions à très forte majorité féminine. On parle de 80% et plus - ce qui peut s’expliquer en partie par le fait que les premières personnes dans ces rôles ont souvent été des membres de congrégations religieuses. Ça créé certaines… attentes, disons, à l’égard des femmes dans ces domaines. (FÉÉCUM)
Les stages, spécifiquement ceux en fin de programme, durent plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Les étudiant.es y sont évalué.es d’après leur capacité à accomplir les tâches attendues des membres du personnel régulier de manière autonome, en devant parfois se conformer à des normes plus élevées que celles appliquées en milieu de travail, au niveau des rapports ou de planification, par exemple.
Soyons bien clairs qu’il ne s’agit pas de se tourner les pouces et de regarder les autres travailler, mais bien de participer activement au travail. Et puis, comme les débouchés pour ces stagiaires après l’obtention du diplôme se concentrent largement dans les services publics relevant du gouvernement provincial, il ne semble pas exagéré de dire que ces stages sont à tout point de vue une formation en milieu de travail. Pour tout autre employeur qui embauche du nouveau personnel au N-B, les heures de formation ou d’intégration en milieu de travail - où il est acquis que la personne ne peut s’acquitter des tâches qui lui incombent de manière autonome et sans aide - sont rémunérées, soit dit en passant.
Il y a eu passablement d’indignation exprimée à l’égard des stages non-rémunérés après l’obtention du diplôme, où de jeunes professionnel.les en début de carrière pouvaient travailler sans salaire pour X compagnie avec pour seule récompense la vague promesse d’un emploi éventuel dans leur domaine d’étude. Plusieurs entreprises du secteur privé ont bénéficié de ce système, et continuent de le faire malgré les modifications apportés par le gouvernement fédéral à la Loi sur les normes de travail. Ces modifications s’appliquent à la fois aux stagiaires (i.e. diplômé.es) ainsi qu’aux étudiant.es stagiaires (i.e. aux études).
Ceci dit, ces nouvelles règles encadrent les stages non-rémunérés uniquement dans les milieux relevant du fédéral… et maintiennent l’exception pour les stages faisant partie des programmes de formation. En revanche, certaines protections s’ajoutent au chapitre des conditions de travail pour les étudiant.es stagiaires. (Radio-Canada) Le raisonnement pour la division en deux classes semble axée sur la question du profit; on devine qu’il est moralement répréhensible d’exploiter le travail des stagiaires pour augmenter les profits (secteur privé), mais que cette même exploitation devient magiquement justifiable quand il s’agit de réduire les dépenses (secteur public).
Marx doit se rouler (les yeux) dans sa tombe.
Qu’importe le secteur où il prend place, pourtant, du travail reste du travail. Ainsi, ce sont des centaines d’étudiant.es dans les domaines de la santé (science infirmière, nutrition, kinésiologie et loisir), de l’éducation et des sciences sociales (psychologie, travail social) qui se retrouvent invariablement dans cette position année après année.
On leur demande (pour ne pas dire leur impose) de payer pour travailler. Ça fait partie de la game pour avoir *peut-être* la chance d’être employé.e dans le secteur public. J’ai beau me croiser les yeux, la différence avec le même situation dans le secteur privé est dure à voir.
Les stages restent quand même une partie importante du parcours universitaire, car ils constituent une excellente opportunité d’appliquer concrètement les apprentissages théoriques reçus en classe et les techniques pratiquées en laboratoire. Il ne fait aucun doute par ailleurs que les stagiaires apprécient énormément leur valeur formative.
Ce qui est moins apprécié, par contre, c’est la panoplie de frais et de dépenses additionnelles qui sont recommandées, requises, ou tout simplement obligatoires et qui s’ajoute à une facture déjà trop lourde. Pour ceux qui l’ignorent, les étudiant.es en stage sont inscrit.es à temps complet et doivent payer le plein prix de la scolarité même si elles et ils ne mettent pas le pied sur le campus. Ajoutez là-dessus au-delà de 1000$ de dépenses supplémentaire en moyenne et la frustration est compréhensible. (FÉÉCUM)
À l’heure actuelle, vu le nombre d’étudiant.es qui paient déjà plus cher que l’an dernier même pour apprendre à distance, plusieurs ont la triste chance de mieux comprendre comment se sentent les stagiaires la majorité du temps.
Et il y a plus: dans la plupart des programmes, il est déconseillé ou littéralement interdit de travailler à temps partiel pendant le stage. Mais que ce soit permis ou non, quand le succès académique dépend de l’effort que vous êtes en mesure de fournir, ça peut très bien ne faire aucune espèce de sens de travailler à temps partiel durant un stage de toute façon. Ce ne sont pas tant les règlements et restrictions imposées qui sont problématiques (mais elles le sont - ne vous méprenez pas) que la situation elle-même.
Il nous est arrivé de recevoir des plaintes de stagiaires qui avaient trouvé un employeur prêt à les payer et qui ont été forcés de refuser l’offre ou de travailler sans rémunération, car le stage n’aurait pas eu la même valeur académique en cas contraire. Est-ce que le travail aurait été différent? Non, Est-ce que l’apprentissage aurait été de niveau inférieur? Non - ceci dit, c’est un des arguments évoqués pour interdire les stages rémunérés dans certains programmes d’étude. En gros, si vous travaillez pour recevoir un salaire, vous ne travaillez pas pour les bonnes raisons, au yeux de certaines personnes.
Mouais.
Alors, qu’est-ce qu’on peut faire pour régler ça? Le gouvernement précédent avait créé un programme d’aide pour les stagiaires non-rémunérés, qui leur remettait une bourse de 1500$ durant le stage de fin de programme, qui fut éliminé par le gouvernement actuel dès son arrivée au pouvoir. (Acadie Nouvelle) C’est un exemple de solution qui - sans compenser entièrement les stagiaires - aide au moins à réduire l’impact des dépenses supplémentaires. Depuis l’annulation de cette bourse, ces dépenses ont d’ailleurs augmenté en science infirmière en raison de l’imposition d’un nouveau frais de stage de 500$.
Mais peu importe la solution choisie, on peut tous s’entendre sur le fait qu’investir dans les domaines visés par ces stages c’est se donner un outil de plus en tant que province pour affronter le problème grandissant de la pénurie de main-d’oeuvre. Ces services essentiels ont un impact quotidien pour chaque personne de la province, à chaque étape de sa vie; de la maternelle et de l’école (Acadie Nouvelle), à l’hôpital (Acadie Nouvelle), au foyer de soins (Radio-Canada).
Clairement, on peine à recruter dans ces domaines où le travail est souvent extrêmement difficile. Si on veut améliorer les conditions de travail - tant pour le bien-être des personnes qui travaillent dans ces secteurs que pour améliorer la perception de ces professions chez nos jeunes - il nous faut plus de monde pour assurer la relève. Améliorer la condition des stagiaires non-rémunérés est un outil possible pour y parvenir à long terme.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
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