Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Ceux d’entre vous qui gardent un oeil sur la politique sauront que le premier ministre Blaine Higgs vient de déclencher des élections en vue d’un scrutin le 14 septembre. On pardonnera à la population de se demander pourquoi. (Acadie Nouvelle)
Ça nous laisse 28 jours pour faire notre choix, la durée minimale permise par la Loi électorale. (GNB) À titre de comparaison, la dernière élection s’est étalée sur une période de 33 jours, le maximum étant 38. Mais, certains s’en souviendront, le bal était déjà lancé depuis belle lurette quand la campagne a officiellement débuté. On l'attendait de pied ferme celle-là; pas celle-ci.
Qu’importe la durée, alentour du 15e jour, on en a pas mal tous déjà plein notre casque et les candidat.e.s commencent à se répéter. Et encore, ça c’est en temps normal quand les partis ont quelque chose de frais à nous proposer. Higgs est déjà en train de recycler ses restants de 2018 tout en vantant son “bilan”, alors si vous cherchez du neuf faudra chercher ailleurs. (Acadie Nouvelle) Il veut un gouvernement majoritaire pour réaliser son plan, et reste évasif sur son avenir politique si il ne l’obtient pas. (Acadie Nouvelle) Go toi la collaboration, coudonc.
Si on cherche la raison de l’élection, un sondage Angus Reid diffusé le 28 mai plaçait Higgs loin devant les autres chefs. (Acadie Nouvelle) Ces données sont cependant à prendre avec un grain de sel, vu le contexte inhabituel où elles furent collectées. Toute la gouvernance était axée sur la réponse à la COVID-19, et ses adversaires s’étaient sagement rangés derrière le gouvernement pour l’appuyer dans sa gestion de la pandémie, guidée par les conseils de la Médecin-hygiéniste en chef, Dre Jennifer Russell.
Elle mérite toute notre admiration mais, notre société étant ce qu’elle est, il faut qu’un homme récolte le crédit du leadership démontré par la Dre Russell. Et sans être statisticien, c’est là que s’arrête mon analyse de ce sondage qui semble avoir titillé la fibre électorale du premier ministre et de ses conseillers.
La Législature a été suspendue entre le 17 mars et le 26 mai, à l’exception du 17 avril, pour donner la sanction royale à deux mesures législatives liées à la gestion de la pandémie (GNB). Les données du sondage ont été collectées entre le 17 et le 25 mai, pour leur part. (Radio-Canada). Un sondage de Narrative Research sorti à la mi-juin (Narrative Research) présentait des chiffres semblables, à partir de données recueillies entre le 2 et le 26 mai. (Acadie Nouvelle)
Alors malgré toute sa “popularité” la décision de Blaine Higgs de forcer des élections en pleine pandémie pourrait nuire à sa réélection. Et « forcer » est le mot juste, sachant qu’il pouvait déjà compter sur la docilité de l’opposition au moins jusqu’au printemps prochain. (Radio-Canada) Mais ça, ce serait repousser le scrutin après le dépôt de son prochain budget, qui sera évidemment l’occasion d’annoncer - quelle horreur - un déficit immense. C’est rough sur le conservateur, ça. Je reconnaîtrai le premier que ce déficit n’est pas le résultat direct d’une mauvaise gestion des finances par son gouvernement, sauf que ce serait intéressant de voir comment il justifie le refus de millions de dollars en aide fédérale alors qu’on est autant dans le jus - et ce, pandémie ou pas. (Acadie Nouvelle)
Le seule choix logique était donc - fouillez-moi pourquoi - de tenir des élections en pleine pandémie, dans la province la plus âgée ET la plus vieillissante au Canada, alors que les personnes âgées sont à risque élevé de complications liées à la COVID-19. (Santé Canada) Soit dit en passant, lors de la dernière élection provinciale, les 65 ans et plus étaient non seulement les plus nombreux à se présenter aux urnes, mais aussi la population avec le taux de participation le plus élevé. Cette tendance ne date pas d’hier au N-B. (Élections N-B)
Malgré une situation « pas idéale », le vote dans les foyers de soins sera quand même possible en limitant le contacts avec le monde extérieur. La gestion du vote deviendra une tâche additionnelle pour les préposés de soins, qui sont déjà surchargés, faisant craindre un taux d’abstention élevé. (Acadie Nouvelle)
L’Association francophone des aînés du N-B avertit déjà que les obstacles au vote seront nombreux pour les personnes aînées. (Radio-Canada) À vrai dire, il serait surprenant que l’élection de septembre soit marquée par autre chose qu’un taux de participation historiquement faible. Ce qui pose un autre problème; ça vaudrait quoi, la majorité d’une minorité?
Si ça vous chicote, le nombre de votes exprimés n’est pas un critère dans la Loi électorale, seulement le pourcentage des voix récolté par chaque candidat.e.
À l’autre bout du spectre, la participation chez les 18-24 ans (i.e. les étudiant.es) a connu un important (re)bond à la dernière élection provinciale. Ce regain est dû en partie aux bureaux de scrutin installés sur les campus, qui demandent environ 6 mois de travail avec Élections N-B pour devenir une réalité. Inutile de vous dire qu’il n’y en aura pas cette fois-ci. (Acadie Nouvelle) On semble donc content d’oublier ces jeunes qui coûtent cher, rapportent peu, et ont le grand malheur d’être trop peu nombreux pour changer l’issue d’une élection, du moins aux yeux de certains. On ne va nommer personne.
...*tousse*
Bref, la faible participation à prévoir sera excusable et justifiée, vu les circonstances. Évidemment, on nous assure que des élections sécuritaires sont possibles et que toutes les ressources disponibles y seront consacrées. L’une des mesures avancées par Élections N-B, par exemple, est de multiplier les occasions de voter par anticipation. (GNB)
Si l’espoir est permis pour ce qui est de voter en sécurité, il y a 28 jours de campagne qui nous séparent du scrutin, pendant lesquels les candidat.es butineront de-ci de-là le nectar de votre appui. Les partis sont libres de choisir quelles mesures de sécurité seront appliquées par leurs candidat.e.s, ce qui risque de semer la confusion chez l’électorat - et de nourrir le feu des accusations partisanes. Certains ont toujours l’intention de faire du porte-à-porte. (Radio-Canada)
Tout ça doit aussi se passer en pleine rentrée scolaire et universitaire, alors qu’on aura tous d’autre feux à éteindre à part des élections, ne l’oublions pas. Sans vouloir être pessimiste, quelles sont les chances que tout ça se passe sans accrocs? En dépit des meilleurs plans, ce qui semble logique sur papier peut rapidement se montrer irréalisable sur le terrain, tant à l’école (DSF-S) qu’à l’Université. (Acadie Nouvelle)
Le seul fait d’être conscient des risques ne saurait garantir la sécurité de la population pendant la campagne électorale - ou la rentrée. Pour tout le monde impliqué, le facteur décisif sera l’application des mesures d’hygiène et de distanciation - en espérant qu’une deuxième vague de la pandémie ne survienne pas en septembre. Et que ferait-on, alors?
Qu’à cela ne tienne, Blaine Higgs est confiant que la Loi sur les mesures d’urgence lui permet d’interrompre les élections au besoin. (Radio-Canada) Toutefois, la directrice générale des élections dit que le processus ne peut être ni interrompu, ni reporté, et que si le premier ministre possède bel et bien ce pouvoir, elle ignore d’où il lui vient. (Radio-Canada)
Oh, mais ce n’est pas de gaité de coeur que Blaine Higgs déclenche des élections, à l’en croire. Il affirme qu’on lui a forcé la main en refusant les termes de l’entente dont il a exigé la signature pour continuer de gouverner. (Radio-Canada) Alors, n’allez pas croire que c’est pour capitaliser sur la popularité et l’aura de leadership dont l’auréolent la gestion de la pandémie. Évidemment, les partis d’opposition accusent Higgs d’avoir pipé les dés en leur proposant des conditions inacceptables, et rappellent qu’ils s’étaient déjà engagés à collaborer le temps que dure la pandémie. Le noeud du problème semble être la manière étrange dont Blaine Higgs conçoit la collaboration, qui se résume à ne pas lui mettre de bâtons dans les roues, à ne rien proposer de nouveau, et à ne pas espérer qu’il recule sur ses positions. (Radio-Canada)
Cibole, même l’Alliance dit qu’il est celui qui force des élections. Ça n’a pas été long par contre que le premier ministre a laissé entendre qu’il pourrait abaisser les exigences linguistiques dans la fonction publique, question d’attendrir leurs amours. (Acadie Nouvelle)
À qui la faute reste malgré tout une question secondaire en dépit de l’attention qu’elle reçoit, car le risque est là et on le sait: on connaît aussi des moyens efficaces de limiter ce risque. Mais on ne contrôle pas la manière dont chacun choisit d’appliquer ces moyens.
Malheureusement, ne pas les appliquer du tout reste une option.
En clair, il y a le risque et il y a la récompense.
Fait que spinne, mais spinne égal.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
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Spinne, mais spinne égal
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