La communauté universitaire, c’est tout le monde sur le campus.
Blogue 3 d’une série à ce sujet.
Texte de réflexion par Pierre Losier, directeur général et Raymond Blanchard, agent de projets et de recherche.
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Depuis quelques temps maintenant, on parle des plaintes d’inconduite portées contre un professeur du département d’art dramatique l’Université de Moncton, et de la manière dont le système en place a pu protéger l’agresseur plutôt que ses victimes. Un trait qui se dégage de ces réflexions est que professeur.e.s et étudiant.e.s sont parfois traités de manière très différentes par l’Université, qui leur confère pourtant un statut égal en ce qui concerne la gestion des plaintes - sur papier. (UMoncton)
Pour faire (trop) simple: l’Université peut imposer ses règles aux étudiant.e.s et décider plus ou moins unilatéralement des conséquences qui s’appliquent à la transgression des limites, mais le corps professoral a le pouvoir d’approuver toute norme appliquée à son égard. À la rigueur, on peut comprendre que l’Université n’ait pas le même obligation envers les étudiant.e.s (i.e. sa clientèle) qu’envers le corps professoral (i.e. ses employé.e.s). Sauf que quand il est question d’assurer le « droit à l’intégrité de leur personne, le droit à leur dignité, le droit à la sauvegarde de leur réputation et le droit d’être traité avec respect » pour ces deux groupes en même temps, l’inégalité de statut se manifeste assez rapidement.
D’un point de vue étudiant, toute notion d’égalité dans les droits au sein de la communauté universitaire peut sembler n’exister que sur papier tant la réalité sur le terrain est différente. Ça tient énormément à la balance du pouvoir dans l’interprétation des règlements; deux perspectives sur un même énoncé peuvent en extraire un sens bien différent. Qu’une plainte confronte un.e membre de la communauté étudiante et un.e membre du corps professoral ou non, il est clair que les étudiant.e.s en sortent perdants plus souvent qu’à leur tour. (Macleans) Évidemment, les étudiant.e.s n’écrivent pas les règlements universitaires; mais les processus visant à dénoncer ou réparer des torts qui les touchent au plus près (on parle de leur corps et pas des études, ici) compliquent les choses d’une façon et à un degré difficile à justifier
Ceci dit, les cas de harcèlement ou d’agression sexuelle ne se produisent pas seulement entre professeur.e.s et étudiant.e.s mais aussi entre employé.e.s ou entre étudiant.e.s. Ici en particulier, nous voulons examiner la question des agressions entre personnes étudiantes.
Les statistiques sont assez alarmantes sur les campus Canadien en ce qui concerne les agressions sexuelles. Comme vous le présumez probablement, les femmes sont davantage affectées (quatre étudiantes du premier cycle sur cinq rapportent avoir été victimes d’une forme ou l’autre de violence lors d’un rendez-vous).
Malheureusement, ici encore il existe plusieurs barrières au dépôt d’une plainte (moins d’une victime sur trois a signalé l’agression sexuelle). Rien ne porte à croire que la situation soit différente à l’université de Moncton; ni pire, ni meilleure. Penser autrement serait choisir d’ignorer volontairement le problème. La Politique sur la violence à caractère sexuel entrée en vigueur à l’Université de Moncton en 2017 est un outil important pour réduire ou éliminer ces barrières, car celle-ci couvre tous les types d’agression, et s’applique uniformément peu importe la personne agresseure et la personne agressée. Ceci admet en outre la potentialité d’une agression sexuelle entre personnes étudiantes.
D’après l’article de la FCEE cité plus haut, on constate aisément l’existence d’une culture du viole chez les jeunes adultes masculin.
« ... 60 pour cent des Canadiens de sexe masculin ayant l’âge de fréquenter un collège ont dit qu’ils commettraient une agression sexuelle s’ils étaient convaincus qu’ils ne se feraient pas prendre. Une autre enquête nationale a démontré que 20 pour cent des étudiants de sexe masculin croyaient que les relations sexuelles forcées étaient acceptables si l’homme avait dépensé de l’argent lors du rendez-vous, si la compagne était sous l’effet de la drogue ou ivre, ou s’il s’agissait d’un couple qui se fréquentait depuis longtemps. »
Ouf.
L’étude date de 2015, mais il est permis de douter que cette perception ait réellement changé au cours des 5 dernières années. Par contre, c’était avant #MeToo et les campagnes de dénonciation qui ont suivi dans son sillage, et pour cause car les problèmes dénoncés persistent à bien des niveaux. (FÉÉCUM) Quand même, si on prenait pour acquis que la moitié des hommes sondés en 2015 s’était miraculeusement éveillée suite à #MeToo… il en resterait encore un sur trois qui ne voit pas de problème à commettre une agression sexuelle dans certaines circonstances. Cette culture du viol a notamment été dénoncée comme profondément ancrée chez certaines équipes sportives universitaires. On se rappelle le cas des Gee Gees de l’Université d’Ottawa, dont deux joueurs avaient été accusés de viol, et le reste de l’équipe de complicité par son silence. (Ottawa Citizen) Malgré tout le bruit qu’a généré l’affaire, et l’attention médiatique qui vient avec, en bout de ligne la réponse de l'Université ne diffère pas énormément de ce qui s’est fait ailleurs au même moment, soit la création de comités et l’adoption d’une politique sur la violence sexuelle. Oui, le programme de hockey a été fermé pendant deux années, l’entraîneur a été congédié, les personnes accusées ont subi des conséquences - on ne peut dire le contraire - sauf que les mesures mises en place, à elles seules, ne peuvent pas être interprétées comme un changement. Ce qui a “changé” vu d’ici, c’est surtout que l’Université n’a plus l’obligation d’en parler, et que sa job est faite - sur papier. (UOttawa) Les cyniques diront que c’est un retour au statu quo.
Bien que le problème soit souvent constaté chez les équipes sportives (masculines) de haut niveau, comme partie intégrante d’une virilité exaltée, il faut jouer l’autruche pour croire que la culture du viol n’est pas aussi présente dans le reste de la communauté étudiante. Il serait faux de croire que toutes les étudiantes qui se disent victimes de violence à caractère sexuel sont victimes d’un athlète. La grande majorité des victimes de violence sexuelle connaissent leur agresseur, doit-on le rappeler. Dû à la popularité des sports universitaires et à la visibilité dont jouissent les athlètes en tant que représentant.e.s des institutions, les incidents qui les impliquent reçoivent davantage l’attention des médias, tandis que bien d’autres peuvent être passés sous silence ailleurs dans la communauté universitaire.
En somme, si le public n’a pas d’intérêt (ou même s’il en démontre) pour ces affaires, en dépit de la gravité et de la fréquence des incidents liés à la violence sexuelle, les universités n’ont pas d’intérêt à faire plus de bruit qu’il ne faut à ce sujet non plus si elles n’y sont pas contraintes. Cette façon de faire est commune à la majorité des institutions, et a davantage à faire avec l’importance de gérer la réputation que la résistance à régler des problèmes.
Sauf que quand le silence est une stratégie efficace pour ce faire, quel changement devrait-on être en droit d’espérer?
Il ne semble pas y avoir d'université qui ait trouvé la solution miracle à ce problème; mais chaque petit geste compte. Pour avoir un impact réel cependant, ces petits gestes doivent d’abord s’appuyer sur une volonté réelle de changement au sein de la communauté universitaire. À titre d’exemple, à McGill (Global News), chaque membre de la communauté universitaire doit suivre une formation de 45 minutes en ligne avant de pouvoir entrer sur le campus. Comme pour toute formation obligatoire, une partie de la population ne la suivrait pas du tout si on lui laissait le choix et n’en retiendra pas grand chose. Mais si on arrive à conscientiser la moitié des gens, en bout de ligne on serait déjà gagnant.
Depuis l’entrée en vigueur de la politique à l’Université de Moncton, plusieurs actions ont été entreprises pour changer la culture. Demeurons conscients qu’il faudra plus qu’une poignée d’employé.e.s et d’étudiant.e.s qui essaient de faire connaître la politique pour causer un réel changement de culture; c’est une étape d’un processus beaucoup plus large. On peut même penser que ce changement de culture doit s’opérer avant même qu’une personne arrive sur le campus. Ceci dit, nous avons toutes et tous un rôle à jouer en tant que membre de la communauté, dans l’application de la Politique, et l’atteinte de ses objectifs dans une perspective plus large. Ce rôle peut se jouer en parlant du consentement à nos proches, en cherchant à répondre aux questions autour de nous, en identifiant et en contrant les mythes à propos de la violence sexuelle quand on les rencontre, en dénonçant les agressions dont nous pouvons être témoins, en écoutant les victimes, et de plusieurs autres moyens encore. (FESFO)
Le dernier rapport de l’Ombud à l’Université de Moncton dénombre « 13 plaintes déposées au bureau de l’ombud, dont 11 de nature sexuelle. De ces dernières, cinq ont été déposées en lien avec la Politique sur la violence à caractère sexuel. » Si l’Université suit la tendance canadienne au chapitre de la violence sexuelle (Radio-Canada), ça porte à croire qu’il y a encore beaucoup de victimes qui n’osent pas dénoncer leur agresseur. Qu’on le veuille ou non, certains incidents peuvent ne pas sembler « assez graves » pour les rapporter , qu’on en soit victime ou témoin. En plus, en raison des mythes prévalents la question du consentement, certaines victimes peuvent très bien croire que ce qui leur est arrivé est de leur faute; ou alors c’est ce qu’on leur aura dit quand elles en auront parlé.
Le premier geste concret que chacun.e de nous peut faire, aujourd’hui et maintenant, c’est probablement de mieux écouter les victimes. Si ça signifie que vous devez en apprendre plus long sur la violence sexuelle et le consentement, à vous de jouer. Dès qu’on entend une victime partager son histoire et que notre réponse est de juger qu’il ne s’est rien passé ou qu’elle est responsable de ce qui lui est arrivé, c’est un signe qui ne ment pas. Quelqu’un souffre et on n’a pas la capacité de comprendre pourquoi: c’est un problème.
Un bon point de départ pour n’importe qui serait de se familiariser avec cette pyramide la culture du viol, ainsi qu’avec l’iceberg des cyberviolences qui illustrent combien de gestes, paroles, et incidents d’apparence anodins, qu’on dédramatise sans même s’en rendre compte, peuvent ajouter au fardeau porté par les victime et compliquer leur chemin vers la guérison.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
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