Blogue 2 d’une série à ce sujet
Texte de réflexion par Pierre Losier, directeur général et Raymond Blanchard, agent de projets et de recherche.
Photo: Cédric Ayisa
Le 27 juillet, le nouveau recteur de l’Université de Moncton, Dr Denis Prud’homme, a commenté les allégations de harcèlement contre un professeur de l’institution dans une entrevue à Radio-Canada. Ce genre de réponse rapide en situation de crise pourrait annoncer - nous l’espérons - un changement important pour notre institution.
On va se dire les vraies affaires: l’Université de Moncton, historiquement parlant, n’est pas exactement une grande championne de la transparence. Ça cause son lot de problème pour une institution publique, quand les problèmes qui débordent dans l’espace public et qui ternissent sa réputation doit être réglés derrière des portes closes. On en a peut-être déjà parlé, mais si peu. (FÉÉCUM)
Donc, un recteur en entrevue pendant une crise, c’est rare; mais pourquoi ce serait positif?
Premièrement, que l’Université prenne même la peine d’envoyer son porte-parole officiel pour parler d’un sujet aussi chaud est une nouveauté en soi. Règle générale, on se serait contenté d’un bon vieux “pas de commentaire” (surtout quand c’est un dossier de ressources humaines) dans l’espoir de ne pas jeter d’huile sur le feu, en attendant que le public tourne les yeux ailleurs et oublie. On nous a ainsi habitués à ne voir que rarement les représentant.e.s officiel.le.s de l’Université dans les médias pour expliquer sa position. Le seul fait que le Dr. Prud’homme discute librement d’un sujet négatif pour l’image de notre institution permet d’espérer un vent de renouveau grâce à son arrivée.
Soyons bons joueurs: quand Raymond Théberge est entré en poste comme recteur, en 2012, il a vite abordé le sujet de la transparence - le problème n’est pas neuf - car l’institution se relevait passablement écorchée d’un énième scandale. (FÉÉCUM) Mais ce fut pour ensuite rapidement courber l’échine face à la machine institutionnelle. Sans revenir sur ses positions initiales, il a choisi le silence sur la question, et sur plusieurs autres malheureusement, par la suite. (FÉÉCUM) Cette fois par contre, il semble que les actions ne se feront pas attendre en vain.
Pour le moment il est permis de l’espérer. Mais il y a plus:
Deuxièmement, le recteur n’a pas seulement donné l’entrevue pour faire acte de présence, mais bien pour clarifier la situation. Loin de se contenter des réponses classiques attendues de l’Université, vides de contenu, il a abordé directement l’enjeu et parlé sans détours. On peut dire que la chose est plus facile quand l’institution parvient à décider d’une action, sauf que la chose n’est habituellement pas aussi rapide, ni aussi claire dans des situations liées au personnel; quelque chose de différent semble s’être produit cette fois.
D’abord, il nous informe que le professeur a été retiré de la liste d’enseignants au prochain semestre pour cause de suspension. Il sera suspendu avec salaire - ce que certain.e.s trouveront dur à accepter - mais rappelons que pour l’instant, toutes les personnes qui ont témoigné demeurent des victimes présumées aux yeux de l’institution. Sans dire que l’Université mette en doute les témoignages partagés, des processus stricts interviennent dans l’application de sanctions envers le personnel. Alors, jusqu’à ce qu’une enquête démontre que les victimes disent vrai (ce qui ne fait pas de doute tant le même patron s’y répète), la personne visée par les plaintes bénéficie de la présomption d’innocence. En bref, on ne peut le punir avant que sa culpabilité soit établie; c’est donc la question qui se trouvera logiquement au centre de l'enquête externe.
L’annonce d’une enquête externe par le recteur Prud’homme est un pas dans la bonne direction. D’ordinaire, l’Université aurait cherché à traiter une affaire du genre à l’interne; mais ce cas précis traite de comportements qui étaient (au mieux) un secret de Polichinelle. Tout le monde le savait, personne n’osait en parler, quoi - et encore moins agir. De façon réaliste, cette enquête arrive probablement 30 ans trop tard, mais comme mentionné au début, on peut espérer qu’un changement positif se produira enfin sous l’impulsion du nouveau recteur.
Sauf que vous connaissez le proverbe: une hirondelle ne fait pas le printemps. Cette fois par contre, cette hirondelle arrive plus tôt et elle n’est pas seule.
Il y a un troisième point positif dans cette entrevue: le mandat prévu pour l’enquête externe (à 1:45) serait de « faire l’analyse des plaintes qui ont été déposées et interviewer toute personne qui pourrait avoir de l’information pertinente dans ce dossier. » Il s’agit d’un mandat très large, ce qui sera important pour faire la lumière complète sur ce dossier. On en déduit que tous les gens qui n’ont jamais osé dénoncer les agressions (sous plusieurs formes) de ce professeur, qu’elles en aient été victimes ou témoins, pourront s’ajouter aux témoignages recueillis jusqu’ici. Ceci est très important pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme indiqué par le Dr Prud’homme, avant l’adoption de l’actuelle Politique concernant la violence à caractère sexuel (2017), les plaintes n’étaient pas systématiquement entrées dans un système qui fait en sorte qu’on puisse les retrouver. Clarifions que les plaintes étaient reçues, mais que tout document relatif traitée sous l’ancienne Politique en matière de harcèlement sexuel et de harcèlement sexiste (adoptée en 1991, soit dit en passant) était détruit après un délai de 2 ans, en l’absence d’une nouvelle plainte visant une même personne (UMoncton).
Ainsi, les victimes ayant porté plainte avant 2017 ne peuvent être comptées qu’au moyen des rapports statistiques produits chaque année par la personne conseillère en harcèlement - où les chiffres sont rapportés de façon aussi anonyme que possible afin de protéger les parties impliquées. On peut voir d’après certains témoignages dans le reportage de Wildinette Paul de Radio-Canada, que les inconduites du professeur remontent aussi loin qu’en 1997. Ça signifie 30 ans de victimes dont les histoires ont pu être effacées ou qui ont carrément été ignorées par l'Université. Par respect à toutes ces victimes, l’Université de Moncton doit faire en sorte que l’enquête externe puisse se dérouler sans obstacles au travail des enquêteurs. Que cette personne soit aisément accessible aux victimes, et que les témoins se sentent à l’aise de contribuer à l’enquête. Souhaitons que l’exercice ne s’avère pas qu’un nouvel écran de fumée, et qu’en bout de ligne les problèmes sous-jacents soient non seulement identifiés et compris dans leurs mécanismes, mais surtout réglés. Saus aucun doute, ce processus d’enquête devra être long et rigoureux pour que chaque personne d’intérêt puisse être entendue.
Ce qui veut dire qu’il sera probablement aussi coûteux, ce processus d’enquête… ce qui sera le véritable test de la profondeur de l’engagement de l’Université quant au changement de culture qui s’impose. Doit-on ajouter que ce ne serait pas très bien reçu de faire porter ce coût aux étudiantes et aux étudiants? Y’a des limites à laisser souffrir le monde.
Il semble invraisemblable qu’avec un mandat aussi large l’enquête externe ne puisse répondre à toutes nos questions; les personnes coupables d’actes répréhensibles devront donc répondre de leurs actes - ou de leur inaction, le cas échéant. Utilisons le pluriel car c’est non seulement le professeur en question qui est concerné, mais toute la structure qui l’a protégé par son inaction et son silence. On espère donc que tous les collègues, les directrices et directeurs du département d’art dramatique, doyennes et doyens de la faculté Arts et Sciences sociales (des Arts avant la fusion des facultés) et les différents administrateurs qui ont été présents durant ces 30 ans seront invités à participer à l’enquête. Et pas pour justifier à nouveau leurs (in)actions ni les gestes posés par le professeur. Que ce soit de façon consciente - ce qui serait infiniment pire - ou non, une multitude de gens a choisi de fermer les yeux, de banaliser les actions dénoncées, de décourager les étudiantes et les étudiants à faire des plaintes, de les pousser à retirer ces plaintes quand elles étaient déposées, bref à protéger ce professeur en perpétuant un système qui ne pouvait qu’augmenter le nombre de victimes. La question tient en un mot: POURQUOI?
Donc au 28e jour de son mandat, il est encore tôt pour juger de l’engagement du Dr Prud’homme, mais il est permis d’entrevoir des jours meilleurs pour l'Université de Moncton. Peut-être pas pour tout le monde, mais pour l’institution. Il faut qu’au terme de tout ceci, les étudiantes et les étudiants puissent sincèrement croire que la Politique est en mesure de les protéger, et que les plaintes de la communauté sont prises au sérieux.
Alors, la prochaine étape dans cette épreuve, qui sera cruciale, devra rendre le processus d’enquête véritablement accessible à toute « personne qui pourrait avoir de l’information pertinente dans ce dossier. » Et tout indique que ce sera déjà un gros contrat.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée