Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Le gouvernement provincial a récemment dévoilé sa « Stratégie en matière de ressources infirmières », en réponse aux appels répétés à l’action face à la pénurie de personnel infirmier dans les hôpitaux du Nouveau-Brunswick. (GNB)
Bien que le document aborde plusieurs thèmes, le recrutement d’infirmières formées à l’extérieur de la province semble être l’axe principal d’intervention. (Radio-Canada) Logique, puisqu’il faut embaucher immédiatement du personnel certifié.
Cela dit, les programmes de formation sont plus ou moins abandonnés à leur sort. Rien de plus ne sera versé aux universités, tant que les résultats ne seront pas au rendez-vous, sous la forme d’un nombre accru de diplômé.e.s. Alors que les 8,7 millions $ qu’on leur a coupé en mars dernier suffisaient à peine à assurer le nombre minimal de sièges… Dur d’y voir autre chose que le bon vieux réflexe de faire passer la facture sur le dos des étudiant.e.s encore une maudite fois. Qui va payer pour les dépenses supplémentaires, si le gouvernement refuse de faire partie de la solution?
Le ministre Holder a déclaré qu’il « finance des résultats ». Non, il attend des résultats sans devoir les payer. On parle d’éducation, calvâse, pas d’un bonus de performance; s’il faut se donner une cible, aucun problème, mais il faut d’abord que les moyens de l’atteindre soient en place. Et tout ça sort de la bouche du ministre de l’éducation postsecondaire!
Dire qu’on « finance des résultats », c’est comme dire au dépanneur que tu vas payer ta tank de gaz une fois que tu l’auras brûlée.(CBC)
Pourtant, selon Holder, « la conversation et la relation [avec les universités] n’a jamais été mieux »... ce qui me fait craindre à la fois pour la lucidité du ministre et le bon sens des universités.
À la section « énoncé du problème » de la stratégie, on peut lire que 41% des infirmières de la province sont présentement âgées de plus de 50 ans. (GNB)
C’est déjà inquiétant, et encore pire quand on regarde l’angle adopté par le Syndicat des infirmières et des infirmiers du N-B (SIINB): « 41% des infirmières immatriculées (II) du Nouveau-Brunswick sont admissibles à la retraite au cours des cinq prochaines années. » (SIINB) La convention collective en vigueur fixe l’âge minimal d’éligibilité à la retraite à 55 ans. (SIINB, Article 36) Dans un métier aussi dur, la tentation doit être forte d’en profiter.
Le vieillissement a aussi un impact sur les besoins en soins de santé: selon l’ICIS, les citoyen.ne.s de 65 ans et plus ont compté pour 48,5% des hospitalisations au Nouveau-Brunswick en 2017-2018. (ICIS) En clair: sur 10 personnes admises à un hôpital dans notre province, 5 sont âgées de 65 ans et plus.
Gardons en tête que ce segment de la population représente aujourd’hui « seulement » 20,8% de tous les citoyen.ne.s de la province (Statcan) D’après les projections de Statistique Canada, la marque des 30% sera dépassée en 2038. (Statcan)
Donc le problème est double: la transition vers la retraite signifie un revenu fixe, mais un coût de la vie en augmentation constante. Réduire ses dépenses est souvent la seule solution, ce qui affecte les revenus de taxation, et ceux de l’impôt dont l’État a besoin pour assurer les services publics, la santé au premier chef. Tout ça avec moins d’infirmières.
Le gouvernement du N-B semble confronté à un Catch-22 dans les règles de l’art. (Merriam-Webster)
Et pourtant une analyse interne des effectifs en soins hospitaliers datant de 2009 souligne essentiellement les mêmes enjeux. (GNB (p. 42-52) Au minimum, le gouvernement (on en compte trois depuis le dépôt de ce document) était conscient des risques associés au vieillissement à la fois du personnel infirmier et de la population depuis 10 ans.
Ce qu’on nous présente cette fois est le résultat de 18 mois de consultations et d’échanges avec divers intervenants du secteur de la santé. Alors l’approche se veut différente, moins technocrate, plus proche des besoins sur le terrain. Le gouvernement en ressort 21 mesures pour combler un déficit estimé de 1300 infirmières immatriculées (II) d’ici 2029.
Quoique « mesure » est probablement le mauvais mot. Disons « lignes directrices ».
Il serait bon de rappeler que l’AIINB parlait pas plus tard que le mois dernier d’une pénurie de 5000 infirmières (combinant probablement infirmières immatriculées, auxiliaires et praticiennes). Le gouvernement se limite aux II dans son document. On se l’explique mal si l’AIINB était à la table. Ceci dit, l’association n’est pas connue pour être jasante.
En temps normal, une stratégie présente des objectifs, des indicateurs de rendement, propose des mesures du succès, des estimés des coûts associés, identifie des sources de financement, esquisse des échéanciers, attribue des responsabilités. Rien de tout ceci ne figure au document présenté. Une stratégie de 10 ans pour faire face à un problème aussi complexe, tenant sur 6 pages, peut difficilement être complète. Sans être expert dans le domaine, le public a droit à plus d’explications. Du moins, on lui doit des objectifs clairs, quitte à l’assommer avec des chiffres. Veut, veut pas, ça en prend des chiffres un moment donné; et tout ce beau monde est là pour gouverner, pas pour faire semblant.
Ceci reste malgré tout un bel exemple de concertation d’un secteur d’importance critique, où les intérêts particuliers ne sont pas toujours faciles à concilier, par ailleurs. De ce côté, il faut rendre à César ce qui lui appartient. S’il s’agit d’une première étape (du moins, aux yeux du public), c’est une bonne première étape.
Il serait naïf en revanche - dangereusement naïf - d’y voir une solution. Les éléments de réponse sont nombreux, et les domaines d’action proposés semblent pertinents, tout en restant cruellement vague. Sans rien enlever aux efforts récents, l’analyse de 2009 était bien plus précis; et voyez où ça nous a menés.
De notre point de vue du moins, la question de l’examen NCLEX reste entière. Le point 2.4 suggère de « collaborer avec les parties prenantes, afin d’améliorer les processus reliés à l’examen d’admission à la profession », mais qu’est-ce que ça signifie? Belle chance ratée de parler de rendre ces processus conformes à la Loi sur les langues officielles, par ailleurs, en accord avec le rapport du Commissariat aux langues officielles. (CLO) Collaborer (et/ou améliorer les processus) sans atteindre de résultats, c’est quand même collaborer.
Tant qu’à collaborer, un groupe d’infirmières rattachées à l’école de science infirmière vient de déposer une nouvelle plainte au Commissariat aux langues officielles. (Radio-Canada) Pourquoi pas pousser un peu l’AIINB si c’est le temps de collaborer?
L’AIINB a réagi au dépôt du document en disant qu’elle « espère recevoir du soutien financier du gouvernement provincial pour effectuer la traduction de ces ressources ». (Acadie Nouvelle) Culotté un peu, vous ne diriez pas? Le soutien financier des frais de membre ne suffit-il pas à l’AIINB pour faire son boulot de sorte à respecter la loi?
Parlant de respecter la Loi; on peut s’entendre que la plupart des actions au cours des prochains mois et années viseront le recrutement à l’extérieur de la province, qui pour les besoins de la cause sera ciblé sur les pays et provinces où les exigences de certification sont en ligne avec celles du N-B. Mais, comme la LLO n’a été mentionnée nulle part dans le document, il faut se demander comment on pourra recruter des infirmières francophones quand celles formées ici sont victimes de circonstances défavorables en ce qui touche l’examen d’entrée à la profession. Il faudra clairement dépasser l’étape des changements procéduraux pour parler de l’examen lui-même, un moment donné.
Vous connaissez le proverbe: l’enfer est pavé de bonnes intentions
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.
Notre blogue
L'enfer est pavé de bonnes intentions
- Détails