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Des boucs émissaires
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Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Tout récemment, une journée de réflexion sur l’avenir de la francophonie canadienne (tenue à l’Université d’Ottawa à la fin janvier) a débouché sur un constat assez sombre.
Pour faire court, si l’économie va mal, les francophones mangent des coups.
Pas littéralement, mais au figuré, vous l’aurez compris: au sens où quand il lui faut faire face à un ralentissement ou à une stagnation prolongée de l’économie, le Canada anglais montre une tendance persistante à ressasser de vieilles rancunes contre les francophones:
- On ruine le pays avec le bilinguisme même si on parle tous anglais;
- On contrôle la politique fédérale;
- On veut imposer notre culture, mais pire, on reçoit de l’argent des taxes pour ça;
- On refuse de s’intégrer dans la société canadienne;
- On (comment, fouille-moi) sert l’intérêt de la France avant celui du Canada.
Vous connaissez la chanson.
Donc, ça revient par cycles. Mais ça a à peu près le même impact sur la situation économique qu’un chapelet sur la corde à linge peut avoir sur la température. C’est-à-dire essentiellement rien: sauf que l’être humain étant ce qu’il est, on peut mal rester inactifs face à une situation menaçante. Que la menace soit réelle ou non, il faut agir, même juste pour sentir qu’on agit.
On constate la même dynamique ces derniers temps dans l’opinion - et la politique - publique sur la question de l’immigration et particulièrement des réfugiés au Québec. (Radio-Canada)
En gros: « On est déjà assez dans la misère de même sans payer pour des étranges qui viennent ici pour nous imposer la charia pis embourrer nos femmes dans des niqabs ».
La logique est la même. Je cible le Québec, mais ce discours ne nous est pas étranger au N-B. (Codiac FM)
Mais soyons réalistes: la famille musulmane qui immigre au Canada n’est pas en mission colonisatrice - son but n’est pas de convertir qui que ce soit mais de vivre selon ses valeurs et sa culture sans demander rien à personne. Et l’idée qu’on leur vend pour les encourager à immigrer ici est justement celle d’une société multiculturelle, multiethnique, bilingue, assez diverse pour que chacun puisse s’y sentir libre de vivre sa vinaigrette en paix. Pas surprenant, alors, qu’à leur arrivée leur premier instinct ne soit pas de se garrocher au Tims pour un double-double, s’acheter une mackinaw pis des bottes de rubber, pis watcher la Soirée du hockey en chantant du Anne Murray. Non: ils demeurent eux-mêmes.
Pas pour l’imposer à qui que ce soit - mais parce que c’est ce que les Canadiens font et c’est ce qu’ils ont choisi de devenir: des Canadiens. Et comme arriver dans un nouveau pays et commencer sa vie à neuf peut être - comment dire? - déstabilisant, quoi de plus naturel que de chercher à s’accrocher aux quelques repères solides qui leur restent?
Leur langue, leur culture, leurs coutumes, leur religion. On ferait pareil à leur place.
Les personnes, et elles existent, qui craignent véritablement que les immigrants ou les francophones possèdent suffisamment de pouvoir de transformer entièrement le système de valeurs, la culture, sans mentionner le système politique et juridique du pays ou d’une province, et qui dénoncent cette menace (le plus souvent sur les médias sociaux) sont essentiellement en train de mettre leur chapelet sur la corde à linge.
Ça nous donne au moins un indice clair quant au vrai problème: la peur du changement. Au minimum, l’inconfort face à la différence. Ce n’est pas la crainte d’être absorbé par la culture de l’autre qui dérange, mais tout simplement le besoin de créer l’habitude de voir l’autre et d’accepter qu’il est notre égal dans sa différence.
Personnellement, la ou le Canadien par choix m’effraie bien moins que celui qui revendique son identité comme un droit sacré.
Revenons aux francophones, pour terminer. À la journée de réflexion évoquée en début de texte, Claude Couture, un professeur en sciences sociales à Edmonton, a dit:
« Je ne suis pas surpris par les mesures de Ford en Ontario ou par ce qui se passe au Nouveau-Brunswick [...] et qui va sûrement se produire bientôt en Alberta. [...] Le mouvement anti-bilinguisme est lié à la panique économique. Les gens sont mécontents et les francophones sont leur cible préférée. Je le sens chez mes voisins » (Acadie Nouvelle)
C’est fou comme ça peut avoir l’air simple, non?
Mais pensons-y: la montée du CoR, fondé en 1989, a coïncidé avec l’une des pires récessions de l’histoire récente au Canada (Enclyclopédie Canadienne); celle du People’s Alliance, fondé au lendemain de la crise financière mondiale de 2008, survient à un moment où le N-B flirtait avec l’idée de vendre Énergie NB à Hydro-Québec pour se départir d’une dette importante (La Presse); la force de la droite ultraconservatrice dans l’Ouest du pays est intimement liée au cours du pétrole. Le NPD de Rachel Notley n’aurait jamais accédé au pouvoir en Alberta si le prix du pétrole était demeuré élevé - ironiquement, c’est la lenteur de la reprise économique dans ce secteur qui semble destinée à la faire tomber. (L’Actualité)
Mais ce secteur, pour toute la richesse (et la misère, disons-le) qu’il a créé en Alberta et ailleurs au pays, n’est pas éternel car il s’appuie sur une ressource non-renouvelable. Les réserves touchent à leur fin, le dernier grand boom est fini et on voit la fin arriver. (CBC)
Ça a quelque chose d’effrayant. Imaginez un N-B sans forêts, ou un Québec sans hydro.
Ajoutons à ça la perte d’acceptabilité sociale de l’exploitation des sables bitumineux, plus polluante que prévu (Radio-Canada), et l’impact de plus en plus grand sur les habitudes et les opinions causé par la rapidité du changement climatique.
Alors, dans leur situation présente, ça fait peut-être du bien de taper sur les minorités; ça permet de reprendre contrôle de leur vie, ou du moins d’avoir l’impression de le reprendre.
Et ici au N-B, où l’économie tourne au ralenti comme ce fut le cas pour la majeure partie de la dernière décennie (un peu inévitable avec une économie de poisson qui s’épuise, de bois quasiment donné, pis de téléphones à l’ère du texto), on constate une nouvelle montée du sentiment antifrancophone. On l’a déjà vu et, tristement, on le reverra. Mais pensez aussi une seconde à quel point il doit être inconcevable pour un anglophone dans une région anglophone que dépenser du temps et des fonds publics sur les questions liées au bilinguisme puisse sembler un bon investissement?
Kris Austin et cie jouent sur ce sentiment. Mais on le voit déjà, ça ne peut pas durer éternellement si les résultats promis ne sont pas au rendez-vous. Et comme les solutions mises de l’avant pour atteindre les résultats (lesquels? On cherche!) vont à l’encontre de la Constitution, hé ben, on verra où ça finira par les mener.
Récemment encore, quand Ambulance N-B (ANB) a été convoquée devant une commission parlementaire et que les députés ont eu l’occasion de poser leurs questions aux responsables du service, il fut répété que les ambulances ne sont jamais mises hors service en raison des exigences linguistiques. Même des députés conservateurs commencent à questionner publiquement le discours adopté par le chef Blaine Higgs et son bras droit Kris Austin, en s‘arrêtant juste avant de dire le mot « mensonges ». (Radio-Canada).
Il est vrai que ANB a de nombreux postes de paramedic bilingue à combler, mais tout ce que ça nous dit, c’est que le N-B a besoin de plus de travailleurs bilingues, pas de moins de droits pour les francophones. Mais ça, c’est l’option difficile; la peur c’est plus simple.
Et vous l’aurez deviné, Kris Austin a contesté la réponse d’ANB. Ce serait essentiellement un hara-kiri politique de l’accepter.
Mais dans le fond, il doit aussi vouloir plus de francophones dans la province - vu qu’on naît tous bilingues, avec la promesse d’un emploi dans la fonction publique, ça ferait d’une pierre deux coups - car son pouvoir s’appuie sur l’illusion que la majorité anglophone du N-B, ou du moins sa part unilingue, est traitée comme une minorité sur ses propres terres.
S’il doit maintenir cette position, ça va lui en prendre plus, des boucs émissaires.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.