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Diviser pour mieux régner
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Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Photo : Marc-Samuel Larocque, agent de communication
Il faut revenir sur la décision du gouvernement Ford de rendre certains frais afférents « non-essentiels » optionnels pour les étudiant.e.s des collèges et universités de l’Ontario.
Du peu que le gouvernement ait offert pour préciser sa pensée sur quel service serait affecté, tout ce qu’on sait est que les frais associés aux services étudiants et aux installations utilisées par les étudiants seraient protégés.
Il est clair que la majorité des frais universitaires tombe dans ces deux catégories. Autrement dit, les étudiant.e.s ne sauveront pas grand chose grâce à cette décision du gouvernement ontarien. En revanche, les frais d’association étudiante sont directement menacés. Sans le dire en ces termes, le gouvernement Ford cherche à mettre fin à la syndicalisation étudiante. Ou, au minimum, à compliquer la vie au mouvement étudiant tant qu’il sera possible de le faire (HESA).
De son point de vue, il faut dire que ces associations ne sont probablement pas de grandes alliées. Les associations étudiantes ne jouent pas sur des terrains traditionnellement privilégiés par les conservateurs.
Parce que ça conteste l’ordre établi, que ça revendique au lieu d’écouter, que ça lève le poing au lieu de serrer des mains, que ça ouvre la porte au changement sociétal, que ça questionne les valeurs de l’élite dirigeante, ou simplement parce que ça va finir par coûter cher, ces enjeux (pensons à la diversité sexuelle et à la culture du consentement, par exemple) ne trouve pas d’oreille attentive chez les gouvernements conservateurs, de manière générale. Au mieux, certains éléments de l’aile plus progressiste y seront réceptifs.
Dans le jargon du milieu: y’a pas de traction. On peut en parler, oui, mais sans rien espérer.
Plus que toutes ces raison, par contre, particulièrement dans le contexte actuel où la montée d’une nouvelle génération rend plusieurs milieux propices à amorcer des changements en profondeur, je soupçonne que c’est sur la question de la liberté d’expression que le gouvernement Ford en aura le plus long à reprocher au mouvement étudiant.
L’Ontario a été un champs de bataille particulièrement féroce sur la question. À vrai dire, c’est plutôt envers la suppression du discours que les critiques ont été les plus virulentes. Plusieurs questionnent, par exemple, pourquoi untel a le droit de prêcher publiquement pour la reconnaissance de l’identité de genre et que tel autre n’a pas le droit de prêcher les vertus de la race blanche. Et les universités, qui sont des terrains tout indiqués pour l’un et l’autre (du moment que le discours demeure respectueux, mais soyons réalistes) se sont retrouvées en plein coeur de la tempête. L’extrême-droite a testé les limites, disons.
Que voulez-vous, y’en a pour qui ça a l’air que c’est pas fair.
Ça résume le tout de façon très simpliste, sans trop s’éloigner de la vérité. À l’origine de cette querelle (ce qui lui a servi de catalyseur, du moins) se trouve l’intolérance hautement académique d’un dénommé Jordan Peterson. Au départ, M. Peterson - un prof (oui, encore) à l’Université de Toronto - s’est fait remarquer par son refus obstiné de se conformer aux dispositions de la Loi C-16 qui élargit la définition des droits de la personne au Canada pour inclure l’identité et l’expression de genre (Égale). À l’Université de Toronto, c’est spécifiquement contre la nouvelle politique voulant que les profs devraient se référer à l’étudiant.e en usant le pronom préféré par ce dernier qu’il a atteint le statut de martyr de la liberté d’expression et de grand penseur de la droite alternative (FÉÉCUM).
Il s’avère d’ailleurs que Ford a rencontré Peterson en privé l’automne dernier, pour « discuter de liberté d’expression sur les campus universitaires et collégiaux de l’Ontario ». (CBC)
Mais bref, le débat a donné lieu à des affrontements particulièrement désolants dans les universités de la grande région de Toronto, très importante pour Doug Ford. Googlez « Ford Nation » et vous comprendrez pourquoi; d’un point de vue politique, tenir cette région, c’est tenir la province.
Or, dans ces affrontements, c’est le plus souvent l’extrême-droite qui perdait des plumes. Le milieu universitaire reste ouvert aux différences d’opinion, mais peu réceptif aux propos haineux. Mais contre mauvais coeur, bonne fortune; certains prophètes (et/ou profiteurs) de l’intolérance déguisée en liberté d’expression capitalisent sur la résistance à leurs idées, à leurs paroles et, il est vrai parfois, à leur présence dans l’espace universitaire pour ajouter à leur crédit en tant que pourfendeurs de la libre-pensée et de la libre-parole auprès de leur base ultraconservatrice. Dans le cas de Peterson, à coups de 80 000$ par mois. (Guardian)
Quel martyr!
Alors, si ce n’est pas pour économiser des dépenses importantes aux étudiant.e.s, pourquoi le gouvernement Ford s’attaque-t-il aux associations étudiantes, sinon pour tenter de réduire au silence un opposant? Si on compare la carte du vote électoral (The Record) et celle des universités de la province (Google), on comprend vite pourquoi les politiques du gouvernement Ford sur les frais afférents ont l’air d’une vendetta personnelle. Et encore, il n’attaque pas de front les associations; il veut que les frais de membre puissent être récupérés au choix par les étudiant.e.s. Le principe est le même que pour un régime d’assurance collective, sans devoir fournir la preuve d’une protection alternative.
Que ce soit clair: le conservatisme en tant qu’idéologie politique apporte une contribution importante, principalement sur les questions de nature fiscale, commerciales et économiques. Les réformes politiques proposées par les gouvernements conservateurs ont aussi tendance à s’avérer plus viables à long terme que celles proposées par les gouvernements d’orientation plus socialiste, bien que généralement moins audacieuses.
Sauf qu’ il faut aussi marquer des points avec l’électorat pour se maintenir en position de pouvoir; si les gouvernements libéraux le font en promettant mer et monde à tout un chacun sur la ligne de crédit du peuple, les conservateurs le font parfois en jouant la carte de la peur. Notamment, la peur du changement, de la différence, et des dettes.
Il serait difficile de trouver un moyen plus efficace de miner le consensus social. Quin, regardez Trump: plate à dire, mais ça marche.
Le populisme du gouvernement Ford en fournit le parfait exemple; le discours du gouvernement Higgs sur les questions linguistiques en est tristement un autre. Sauf qu’au N-B, le gouvernement adopte une “stratégie” de tout dire pour ensuite tout contredire dès qu’il y a de la résistance, ce qui fait qu’il est difficile de deviner le fond de sa pensée. On voudrait croire qu’il y a du progrès, mais on a intérêt à rester sur nos gardes. Un peu comme les orateurs droitistes de l‘Ontario, l’impression est qu’il teste les limites de l’acceptable.
Ce qui est d’une tristesse indescriptible.
Le problème, à la base, pourrait se trouver dans la nature même du jeu politique: se faire élire ou réélire devient inévitablement tout ce qui compte.
Un outil efficace pour ce faire reste de canaliser les frustrations des gens sur des enjeux aux implications beaucoup plus profondes et complexes qu’il n’est commode de le communiquer. Énergie NB, le gaz de schiste, le bilinguisme en sont autant d’exemples chez nous. Mais ça débouche sur des gouvernements qui, s’ils sont champions à pointer un problème, n’ont pas pour autant la moindre idée de comment le régler.
Quiconque a déjà entrepris des rénovations à son domicile pourra vous le dire: même sans expertise en construction, n’importe qui peut démolir; reconstruire en revanche, c’est une toute autre histoire.
Malheureusement, les propos réfléchis et nuancés font de bien mauvais slogans.
Une fois élu, par contre, d’autres enjeux viendront s’ajouter, dont plusieurs seront imprévus et certains carrément indésirables. Il en résulte souvent des erreurs de parcours dont les répercussions se font sentir largement et longtemps, et qui mettent certains politiciens dans une position qui devient rapidement intenable. Intenable parce que les solutions proposées en période électorale ne sont pas des exemples de politique publique réfléchie, et intenable car elle force à fléchir sur ces positions très fermes qui, justement, portent au pouvoir.
C’est pratiquement inévitable, quand on choisit de diviser pour mieux régner.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.